J’ai préservé la bonté dans mon cœur

Maëlys Dubois, après avoir quitté la classe de troisième, sinscrivit à linstitut de formation des professeurs dans un petit bourg du Limousin. Elle était laînée dune fratrie où son petit frère, Mathieu, faisait encore ses premiers pas à lécole primaire.

Chez les Dubois, la bienséance était un art : les parents inculquaient le respect, la politesse et la générosité comme on aurait offert un pain frais chaque matin. Aucun deux nenvisageait le drame qui allait soudain se glisser dans leur quotidien. Un matin, la mère, Marie, séteignit comme une chandelle soufflée par le vent.

Un frisson glacé parcourut Maëlys. «Comment vivre sans ma mère?» murmurait-elle, bien que son père, Jean, fût toujours là, mais la place de la maman dans son cœur était comme le premier rayon de soleil dune aube dété.

Jean, le visage creusé de larmes, serra ses enfants contre son cœur au moment des obsèques, les mots se perdant dans le silence, les larmes coulants comme une pluie fine sur les pavés de SaintÉmilion. Peu à peu, le quotidien reprit son cours, mais le poids de la perte demeurait lourd comme un sac de pommes de terre. Mathieu, en classe de CE2, tentait dépauler sa sœur et son père.

Quand Maëlys était en dernière année détudes, le père séteignit également, un second choc qui les fit vaciller comme des chandelles sous un vent violent. Après les funérailles, les deux frères et sœurs restèrent blottis, les yeux fermés, le silence plus pesant que les pleurs.

Il fallait que Maëlys termine sa formation tout en soutenant Mathieu. Un internat aurait pu accueillir le petit, mais son cœur, trempé dune pitié infinie, refusait de le séparer de la seule famille qui lui restait. Elles navaient plus que lune et lautre, ni grandsparents, ni oncles.

Seul un souffle despoir venait de Colette, la cousine aînée. Au moment où le cercueil était descendu, Colette savança, posa une main douce sur lépaule de Maëlys et dit:

«Maëlys, si le besoin se fait sentir, appelmoi. Mon mari et moi aiderons toi et Mathieu.»

Colette, orpheline de sa propre mère, savait ce que cétait dêtre livrée à soimême. La mère de Maëlys, avant de séteindre, avait même proposé daccueillir Colette dans son foyer, tandis que celleci vivait plus tard avec son époux à la périphérie de Bordeaux.

Se rappelant les mots de Colette, Maëlys saccrocha à cette planche de salut et la sollicita:

«Colette, si je termine mes études, ne pourraistu pas prendre Mathieu chez toi pendant un temps?Je ne pourrai pas le laisser seul, tu comprends?Je viendrai le weekend.»

Colette secoua la tête, son mari sopposant fermement à lidée dun «enfant dun autre». Ainsi, le cauchemar de linternat sinstalla dans lesprit de Maëlys, qui se promettait que rien ne la séparerait de son frère tant quelle aurait la force de ses dixhuit ans.

«Mathieu, je dois finir, obtenir mon diplôme. Tu pourras tenir cinq jours tout seul, je reviendrai le weekend, daccord?»

Mathieu, la voix tremblante mais déterminée, rétorqua: «Je suis déjà grand, je peux le faire, ne tinquiète pas.» Mais Maëlys voyait le tourbillon de ses propres doutes reflété dans ses yeux.

Les weekends, elle cuisinait, lavait, balaya, mais chaque fois quelle partait pour lécole, son cœur se serrait comme un nœud. Elle regardait Mathieu, le petit bonhomme qui grandissait, et sentait une vague de tristesse à lidée de le laisser. Pourtant, il sen sortait, studieux, ne dérangeant pas sa sœur.

Après le diplôme, Maëlys devint institutrice de CP au Collège JeanJaurès à Lyon, le travail la soulageait. Mathieu obtint son baccalauréat, puis intégra lécole militaire de SaintDenis.

«Je suis si fière de toi, mon petit frère, sexclamaelle en létreignant.»

«Sans toi, je naurais jamais tenu le cap. Ta présence a été mon pilier, même si nous navons plus de parents, tu as remplacé leurs soins.»

Maëlys, tout en sémouvant, le serra contre elle, les larmes se mêlant à leurs rires.

Puis, le destin fit surgir Laurent Moreau, avocat au tribunal de Paris, lorsquelle fut convoquée pour interroger un élève en difficulté. Leur première rencontre fut une brève conversation au guichet du tribunal ; Laurent, dun sourire rare, linvita à prendre un café dans un petit bistrot du Marais.

«Je suis Laurent, trentedeux ans, autrefois marié, maintenant père dun garçon qui vit avec sa mère à Orléans.» Il raconta son divorce, la distance avec son fils, la complexité des liens familiaux. Maëlys, émue, accepta de le revoir.

Leur relation sépanouit: promenades le long de la Seine, bouquets de roses sur les quais, promesses murmurées sous la pluie. Un an après, leur fils Lucas vint au monde dans la maison de campagne que Laurent avait achetée près de la Loire.

Les vacances dété se passèrent à la ferme où Mathieu, revenu de lacadémie militaire, lia rapidement son amitié avec Laurent, partageant rires et barbecues sous les chênes.

«Maëlys, tu rayonnes, on dirait que tu portes le soleil dans tes poches, sexclama Mathieu.»

«Et toi, quand te marieras?»

«La prochaine fois, jarriverai avec deux valises!» répondit le frère, hilare.

Les années sécoulèrent, la petite famille prospéra, Lucas grandit, brillant à lécole et pratiquant le foot. Laurent, père aimant et époux dévoué, était le pilier de la maison.

Un jour, Colette, en larmes, appela Maëlys:

«Mon fils a eu un accident, une femme est morte, le conducteur a heurté un panneau davertissement. Nous avons besoin daide, seulement toi peux nous sauver.»

Laurent prit laffaire, trouva des circonstances atténuantes, et Colette put éviter les frais davocat, ne payant que la compensation aux proches de la défunte.

Colette, penchée sur Maëlys, sanglota:

«Pardonnemoi, Maëlys, cest mon châtiment. Jai trahi la promesse faite à ta mère, qui ma élevée comme une fille.»

Maëlys, la main posée sur son épaule, la rassura avec la même douceur quelle avait toujours montrée.

Ainsi, Maëlys, à la fois sœur, enseignante, épouse et amie, continua à naviguer dans ce rêve où les souvenirs se mêlaient aux nuages, les larmes aux rires, et où chaque promesse était un fil dor tissé dans le tissu de la vie.

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