Bonjour, salua doucement le nouveau lecteur, dun ton poli.
Bonjour, répondit Élise avec la même courtoisie.
Jai besoin dun livre, il chercha ses mots, comme sil hésitait entre lauteur et le titre, puis, plus sûr de lui, déclara, vous avez celuici, je lespère, il balaya les imposantes étagères de la bibliothèque municipale de Lyon et ajusta ses lunettes.
Il faut patienter quelques minutes, il est en haut du rayon, sexcusa Élise en se dirigeant vers les rayons. Le visiteur parcourut la salle de lecture du regard.
Cétait Julien, un ingénieur timide du service darchitecture, toujours en train de fouiller de vieux plans et délaborer de nouvelles maquettes. Lorsque la bibliothécaire revint, le livre en main, il esquissa un sourire chaleureux.
Élise sassit à la table et commença à remplir la fiche demprunt, apprenant que le nom du jeune homme était Julien. Il signa, mais resta indécis, planté sur place, le livre serré contre lui.
Merci, saperçutil quil navait pas encore remercié.
De rien, lui répondit-elle.
Un silence soudain sinstalla dans la salle ; ils se regardèrent sans oser parler. Le temps ségrena, invisible pour eux. Enfin, Élise rompit le calme.
Julien, il vous faut un autre ouvrage ?
Euh enfin, non balbutia-til, puis, rassemblant son courage, ajouta :
Vous connaissez mon prénom, mais le vôtre, si ce nest pas un secret ?
Élise, réponditelle modestement.
Ah, Élise un prénom si joli, typiquement français, je le trouve toujours élégant, ditil, puis se tut. Elle perçut sa timidité et le comprit, car elle était ellemême de nature réservée.
Merci encore, répéta Julien, je rendrai ce livre en parfait état. Au revoir.
Je nen doute pas, au revoir, répliqua Élise avec courtoisie.
Julien, vêtu dun pantalon bien repassé, dune chemise impeccable et dune cravate discrète, tenait son costume comme une seconde peau, ses chaussures brillantes comme des miroirs. Il quitta la bibliothèque, tandis quÉlise continuait à penser à lui.
Nous sommes comme des âmessœurs, se ditelle soudain, je le comprends, je le ressens
Puis, reprenant ses esprits, elle sourit.
Mais enfin, je nai jamais prêté autant dattention aux visiteurs
Julien, sortant de la bibliothèque, se sentait étrange.
Quelle Élise charmante, cest vraiment à la bibliothèque quelle doit être, se critiquail. Mes mots de compliment se sont éteints, ma timidité mentrave. Je ne pourrai plus travailler sereinement tant que son image restera gravée dans ma tête
Après le déjeuner, il peinait à se concentrer sur ses plans ; chaque trait dencre rappelait le visage dÉlise.
Quelle illusion, se disaitil, essayant de se distraire, mais sans succès.
Le lendemain, pendant la pause déjeuner, il revint à la bibliothèque, prétextant vouloir un autre ouvrage.
Bonjour, Élise, elle leva les yeux, son regard plein de promesses.
Bonjour, lui souritelle comme à une vieille amie, besoin dun autre livre ?
Julien, rouge de honte, prit son courage à deux mains et déclara :
Non, je suis venu surtout pour vous. Jai compris que je devais être honnête Vous me plaisez beaucoup pardonnez mon audace.
Le regard dÉlise sillumina, ses joues rosirent à leur tour.
Pourquoi demander pardon ? Vous mavez plu hier déjà, jai mal dormi toute la nuit.
Julien, soulagé, répliqua :
Moi aussi. Je nai même pas fermé lœil.
Un silence gêné sinstalla, puis Julien, rassemblant ses mots, demanda :
Élise, puisje vous raccompagner chez vous après le travail ?
Oui, réponditelle modestement, un léger sourire aux lèvres.
Depuis ce jour, leurs rencontres se muèrent en promenades dans le parc du Rhône, où Julien, passionné, parlait de ses projets, et Élise, la lectrice, évoquait les livres qui lavaient marquée.
Julien, les livres sont comme des personnes, chacun porte son âme, disaitelle, et il ne sétonnait pas de cette comparaison, comprenant que son travail était son refuge, tout comme les pages létaient pour elle.
Lautomne arriva, les soirées se prolongeaient autour dun thé dans la cuisine dÉlise, parfois dans un silence complice :
Oui, même le silence est agréable à deux
Ils partageaient rêves et joies. Élise rêvait de Venise, en lisait tant que ses récits lemmenaient sur les canaux. Julien lécoutait, imaginant déjà leurs balades en gondole.
Un dimanche, Julien frappa à la porte dÉlise avec un bouquet de roses rouges.
Voilà, ma chère Élise, épousonsnous, jai longtemps nourri ce projet Acceptezvous ?
Oui, réponditelle, simplement et avec joie.
Leur mariage fut sobre, non par manque de goût, mais parce que le temps ne pressait rien. Ils vivaient à leur rythme, heureux davoir trouvé lun lautre. Les années passèrent, mais ils ne purent avoir denfant. Au lieu de se désespérer, ils adoptèrent un chat noir, quils nommèrent « Barbeau », et achetèrent une petite maison de campagne à la lisière dune forêt.
Leur quotidien se résumait à travailler, à cultiver le jardin, à lire le soir et à écouter le ronronnement de Barbeau. Julien fabriquait des nichoirs, Élise tricotait des chaussettes, les voisins chuchotaient sur leur vie paisible :
Ils mènent une existence ennuyeuse, toujours la même chose.
Mais ils ne sennuyaient jamais. Chaque matin, Julien préparait du café dans une vieille cafetière, le servait dans de jolies tasses, tandis quÉlise jetait du pain aux mésanges qui picoraient près de la fenêtre. Lété était consacré à la campagne, lhiver à lécoute du crépitement du feu dans la cheminée. Les mots étaient superflus quand le cœur comprenait tout.
Ils vieillissaient doucement, profitant de la retraite, du silence du bois, du chant des oiseaux, des champignons dautomne. Les voisins les respectaient pour leur lenteur et leur sérénité.
Un jour, Julien revint du marché avec une belle bouteille de vin rouge et des fruits. Élise, surprise, le regarda, car ils ne buvaient que très rarement. Il sortit deux verres du buffet, les essuya avec le torchon quelle utilisait toujours lorsquelle faisait la vaisselle, et les posa devant elle.
On porte un toast ? demandatil.
Non, réponditil en glissant deux billets davion de sa poche, pour Venise.
Élise resta figée. Ils avaient rêvé de ce voyage depuis toujours, le reportant toujours à plus tard : le travail, la campagne, la santé de Barbeau…
Mais nous sommes vieux, bégayatelle.
Nous ne sommes pas vieux, nous sommes simplement plus mûrs, rétorqua Julien, et cest le moment.
Ils embarquèrent, naviguant sur les canaux de Venise, riant comme des adolescents, Élise coiffée dun chapeau de paille, Julien armé dun appareil photo. Au crépuscule, au bord du lagon, il lui répéta :
Je suis si heureux avec toi, ma chère Élise, je taime plus que tout
Je te remercie davoir osé me proposer ce mariage, je sais combien cela a été difficile pour toi Et merci de réaliser mon rêve. Plus rien ne me manque, tant que nous restons ensemble.
Ils rirent, le cœur léger, et poursuivirent leur route sans hâte.
Ainsi, ils apprirent que lamour ne se mesure pas à la vitesse des gestes, mais à la constance du partage. Même lorsquon prend le temps, la vie reste riche de moments précieux. Le véritable secret, cest de chérir chaque instant, car cest dans la lenteur que lon trouve la plus belle des réponses.







