Glashka, prête à te marier ?

Élodie, tu veux te marier?

Et toi, tu acceptes? lança le bras musclé de Michaël Zoltan, qui savançait comme un ours en peluche. Élodie, en repoussant dun geste vif sa main, répondit sans hésiter. Michaël ricana, ses dents se décrochèrent en un rictus, tandis quil dévisageait les courbes généreuses de Clémence Agapova, la plus ronde du village.

Alors, on se lance? insista le gaillard, tentant denvelopper Élodie dun bras. Sinon, on senvole au grenier et on se roule dans la paille donne-moi au moins un appui.

Sans réfléchir, Élodie poussa Michaël dans un buisson dorties où il atterrit comme un hélicoptère, les bras battants en lair. Le rire éclata dans le club où les jeunes sétaient rassemblés.

Hé, la boule de neige! sécria Michaël en se relevant, frottant son dos contre les feuilles et crachant sous les pieds dÉlodie. Tu crois que je ris de toi? Cest toi qui te maries à mes blagues.

Élodie se détourna, les lèvres pincées. Sa copine Nathalie posa une main douce sur son épaule. Tu ne connais pas Michaël, ma chère? Il ne fait que sourire à tout le monde.

Élodie esquissa un sourire. Elle ne pleurait pas, elle était déjà habituée aux farces. Elle savait que Nathalie était facile à calmer, quon ne lappelait pas «boulette», même si elle était solide comme un chêne.

Allons, le film commence bientôt, proposa Nathalie, et elles franchirent le crépuscule du petit bistrot villageois.

Élodie retint son robe en soie et sassit sur les bancs de bois grinçants du club, vestige des années soixantedix. Le confort manquait, mais le cinéma, avec ses images débordantes, était une fête.

Elle soupira en admirant les héroïnes élancées à lécran. Sa grande sœur Marie était différente, fine comme un roseau, héritage du père maigre. Son frère Colin, plus jeune, était tout aussi svelte. Leur mère, Claudine, était ronde et pleine, comme un pain de campagne, et Élodie avait suivi ses pas. Bien que la mère de Claudine fût vigoureuse, le couple pèrefille fonctionnait comme un duo de danseurs, même si lun était maigre comme une brindille et lautre dodue comme un coussin. Les villageois disaient que deux bottes formaient une paire.

Élodie soupira, pensant que le mariage ne lattendait ni ici ni ailleurs.

Le dimanche, les filles lattirèrent vers le centre du canton, où un camion venait darriver, prêt à se loger dans un petit abri de bois aux bancs branlants. Elles rebondirent comme des balles sur le gravier. Le trajet les mena jusquau bâtiment du conseil municipal, baigné de soleil, où la musique retentissait des hautparleurs. Plus loin, une barrique de kombucha attendait, et les filles sy précipitèrent, riant, plissant les yeux sous les rayons dété.

Regarde, quelle boule de velours, chuchota Élodie, se demandant si cela parlait delle. Mais aucune amie nétait comme elle. En se retournant, elle aperçut deux garçons sous un arbre. Lun, pensif, était perdu dans ses rêves ; lautre, le regard narquois, scrutait Élodie de la tête aux pieds, puis poussa son compagnon vers le côté.

Élodie sapprocha des copines, voulant se cacher des yeux gras qui semblaient vouloir la pincer.

Les filles, on pourra encore danser? annonça Nina.

Le soir tombe on rentre quand?

On arrivera à temps! Loncle Victor a promis de nous prendre à la maison des arts. Vous venez ou pas?

On y va!

Le bal du centre culturel était différent du club du village, où les célibataires sécriaient sans cesse. La musique était souvent un accordéon grinçant.

Des colonnes blanches encadraient la salle, la foule était nombreuse, et la musique changeait. Un orchestre de la région viendrait pour les fêtes.

Élodie admira le bas de sa robe bleue, heureuse de lavoir choisi, et courut pour rattraper les filles. Personne ne linvita, elle le savait. Mais les jeunes femmes tourbillonnaient, souriantes, heureuses.

Elle resta près du mur, comme observée. Pourquoi ne pas regarder? Ses cheveux châtain clair, tressés en deux nattes, son nez retroussé et ses joues rosées reflétaient une chaleur intérieure, une lueur despoir.

Peutêtre danseronsnous pourquoi rester là?

Le garçon quelle avait vu sur la place, à côté du moqueur, était alors reconnaissable.

Daccord, acquiesçat-elle.

Il était plus grand quelle, silencieux, puis demanda doucement: Comment tappellestu?

Élodie, Élodie.

Et moi, cest Stéphane.

Doù vienstu?

De Berville.

Ah, cest tout près.

Où habitestu maintenant?

Ici, dans le village.

Avant?

Jétudiais en ville, puis je travaillais.

Il laccompagna jusquà la voiture, voulut dire quelque chose, mais resta muet. Elle pensa quil était ennuyé, doù son approche.

Je tai vue tourner près de la boulette, lança son ami Yvan.

Pourquoi lappeler comme ça? Elle a un prénom, répondit Stéphane avec un sourire,:Élodie.

Oh, Stéphane, on dirait que tu tes épris

Pourquoi «épris» tout de suite? Cest juste une fille gentille, jolie, et apparemment très douce.

Stéphane, ne le prends pas mal, cest pour rire. Mais sérieusement, tu devrais la revoir, ou rester seul.

Je ne suis pas seul, jai Valérie et Victor, je dois les soutenir. Et une fille pourquoi une fille aurait besoin denfants dautrui? Elle en aura les siens.

Stéphane caressa ses cheveux sombres, salua Yvan et rentra chez lui. Il avait grandi ici, parti à luniversité, puis était revenu quand sa mère était décédée. Lannée passée, sa mère était morte ; bouleversé, il revint au village, où son petit frère Victor (sept ans) lembrassa les genoux, et sa sœur Valérie (dix ans) le saisit la main, refusant de le laisser partir.

Tia Zoé, amie de la mère, venait souvent, pleurant les orphelins, puis essuyant ses larmes avec un mouchoir, et disait à Stéphane: Il faut que tu te maries, Stéphane. Tu deviens le pilier de la famille, il faut épouser une femme avec un enfant, pour être à égalité. Je connais une fille, Séréna Kudriavtseva, plus jeune que Victor, qui pourrait convenir.

Je lai déjà rencontrée, répondit Stéphane, mais ce nest pas mon destin.

Tu nas pas le choix, la jeune fille ne taimera pas sinon. Réfléchis, pourquoi porter un fardeau quand tu peux partager la charge?

Stéphane resta silencieux, ne voulant pas discuter davantage. Plus tard, en rentrant, il repensa à ces paroles. Il désirait que la fille de Berville marche à ses côtés. Lorsquelle arriva près de la voiture, elle le regarda, semblant attendre quil prononce quelque chose, quil linvite, ou quil promette de revenir. Mais il resta muet, trop timide. Elle nétait pas mariée, alors pourquoi accepter des enfants étrangers? Pour Stéphane, les frères et sœurs étaient pour toujours, il ne les abandonnerait jamais.

Élodie se souvint chaque jour du regard timide de cet homme aux yeux gris, sans le connaître, mais voulant le voir. «Eh bien,» se disaitelle devant le miroir, «la boulette, cest bien la boulette. Même si Nathalie lappelle parfois «notre petite boule», cest toujours un goût amer.»

Le dimanche suivant, les filles linvitèrent de nouveau au centre, mais Élodie déclina. «Quy faire?», pensat-elle, se rappelant Stéphane. Si elle lappelait, il resterait muet.

Lundi, le travail aux champs était intense ; les filles, épuisées, sallongèrent sur lherbe, certains assis, dautres allongés.

Oh, Élodie, jai tout oublié, sexclama Nathalie, sagenouillant près delle et murmurant, le garçon qui était au bal la semaine dernière veut te voir dimanche prochain. Un orchestre viendra, il ta demandé.

Moi?

Oui, il a même demandé pourquoi tu nétais pas venue.

Alors nous y allons tous.

Tous, mais il attendra surtout toi.

Les joues dÉlodie rougirent. Dabord ravie, puis elle pensa: «Il ne fera pas comme Michaël Zoltan, il nappellera pas à la paille, il ne veut peutêtre que samuser.»

Elle vécut toute la semaine avec ces pensées.

Elle ne se rendit ni sur la place, ni au bal. Séparées de leurs amies, Élodie et Stéphane trouvèrent un banc à lombre dun square.

Jai voulu te revoir, avoua Stéphane, jouant nerveusement avec son béret. Mais jai pensé que tu ne voudrais pas ou que tu aurais déjà un fiancé.

Aucun fiancé,
Et moi, aucune fiancée, balbutiat-il. Mais jai des enfants.

Élodie le regarda, surprise, un jeune homme avec des enfants!

Ma petite sœur et mon frère, dix et sept ans. Le père nest plus, la mère non plus. Je suis devenu leur aîné. Il plongea son regard dans le sien, comme pour dire: «voilà qui je suis.» Cest pourquoi je ne tai pas appelée, mais je taimais déjà.

Et moi je tai aimé aussi, murmurat-elle.

Alors jai décidé de te parler maintenant, avant que la douleur ne grandisse. Tu sais tout sur moi.

Y atil eu un changement? demanda Élodie. Tu me plaisais alors, et tu me plais toujours.

Stéphane, incertain, létreignit doucement. Il murmura, haletant: Élodie, les enfants, Valérie et Victor, ils mobéissent, ils grandiront, auront leurs propres familles, je le jure, ils ne sont pas un fardeau.

Un fardeau? Ils sont mes petits, mes frères.

Lautomne arriva, la famille Agapova nettoya le potager, et le soir, le feu crépita dans lâtre. Élodie, toujours dans sa robe bleue, regardait lhorloge.

Claudine soupira: Voilà, le fils du milieu se marie. Un bon parti, même sil a des enfants.

Le père, tapotant la table, acquiesça: Avec un tel garçon, même avec des enfants, notre Élodie ne sera pas perdue. Ils élèveront leurs propres enfants.

Ils arrivent! sexclama Claudine. Tout le monde se prépare.

Élodie, comme une feuille détachée dun arbre, sélança dehors, oubliant son manteau, pour rejoindre le futur époux.

Sa petite sœur Valérie et le petit Victor coururent vers elle, la saisissant par les mains. Leurs regards disent tout. Stéphane était là, et maintenant aussi Élodie.

Lâchezla, ria Stéphane, laissezmoi la serrer.

Allez, tourteaux et tartes! chantèrent les enfants, puis ils entrèrent tous dans la maison. Élodie oublia les surnoms moqueurs du passé, ceux lancés avec colère ou plaisanterie, et ne se souvint plus, sauf si quelquun murmurait tendrement «boulette».

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Glashka, prête à te marier ?
Dans notre école, une fille orpheline a brillamment suivi son chemin.