Les Tulipes Épanouies

Je me rappelle, cela faisait bien longtemps, lorsquun jeune homme, Henri, errait dans le flot ininterrompu des passants du boulevard SaintMartin, à Paris. Soudain, une femme dâge moyen, dune quarantaine dannées, apparut, souriante, la tête coiffée dun bonnet de fourrure, le bras vêtu dune grosse parka en duvet, des pantalons épais et des bottes de neige robustes. Elle tendit un petit bouquet de tulipes blancrose.

Bonjour, Monsieur. Vous, oui, vous. Achetez des tulipes, jeune homme.

Henri, surpris, sarrêta, le vent du froid le poussant comme un ruisseau de montagne.

Pardon ? demanda-til, sapprochant. Cest étrange de vendre ici, au milieu de la foule qui ne regarde jamais autour delle.

Pourquoi donc ? répliqua la femme, serrant le bouquet contre sa poitrine. Ici, tout le monde court sans se soucier des autres.

Vous naimez pas les fleurs ? demanda-telle en souriant, le visage éclairé dune chaleur inhabituelle, douce comme celle dun proche, bien que Henri ne lait jamais vue auparavant.

Henri baissa les yeux.

Je naime pas les fleurs, elles sont muettes, elles meurent vite, cest une perte dargent.

Mes fleurs sont vivantes, répondit-elle mystérieusement, inhalant le parfum des tulipes. Vous ne croyez pas ?

Henri haussa le col de son manteau, grelottant.

Non, je sais comment les marchands exagèrent.

Prenezles quand même, insista-telle. Laissez le froid quitter votre demeure et quil soit remplacé par le printemps.

Les prévisions annoncent encore deux semaines de froid, dit Henri avec un sourire, Vos tulipes chasseront le gel? Il sexcusa dun ton humoristique quand elle secoua la tête.

Vous ne moffenserez pas, dit-elle doucement. Alors, prenezles, par pure gentillesse, pour celui que vous aimez.

Henri, amusé, rétorqua :

Vous ne renoncez jamais, hein? Quelle persévérance!

Dans une maison sans fleurs, le froid règne toujours, conclut-elle.

Il plaisanta :

Et le chauffage coupé, aussi.

Il faut bien que je parte, ajouta-telle, en séloignant, mais elle tendit le bouquet encore une fois.

Prenezles, même si vous les jetez en chemin ou les laissez dans le métro, vous verrez bien chez vous si jai raison.

Henri fouilla dans sa poche et sortit quelques euros froissés.

Voilà, prenez, et merci.

De rien, je fais simplement mon métier, répondit la vendeuse en glissant un nouveau bouquet dans une simple boîte.

Henri, les mains tremblantes, serra le bouquet contre son cœur et poursuivit son chemin. Peu à peu, le vent cessa dêtre mordant, une chaleur douce envahit sa poitrine. Il sarrêta, se retourna, et vit la femme qui continuait dappeler les passants, sa voix claire perçant le bruit des voitures, le flot des piétons, le vacarme de la ville. Son appel résonnait encore :

Mademoiselle, oui, vous! Achetez des tulipes.

De retour chez lui, Henri retira son manteau, descendit à la salle à manger et sortit de larmoire le vieux vase de sa grandmère. Il le rince sous le robinet, le sèche avec un chiffon à rayures, le remplit deau fraîche et y déposa les tulipes. Le vase trônait près de la fenêtre, les tiges plongeant dans la lumière du matin.

Les tulipes étaient vraiment magnifiques : la base dun rose foncé, presque mûr, séclaircissait graduellement jusquà devenir blanc pâle au sommet.

Plus tard, la porte souvrit avec un cliquetis, et entra Léa, une jeune femme au sourire fatigué, les cheveux mouillés par la pluie.

Salut, Henri, lançatelle, en secouant son chapeau mouillé. Le temps est affreux, on dit que le froid durera encore deux semaines.

Je lai vu au bulletin ce matin, répondit Henri en prenant son manteau. Mais nous avons du thé chaud et des biscuits, comme tu aimes.

Ça tombe bien, sesclaffa Léa, en se réchauffant les mains, puis elle sarrêta, inhalant lair.

Cest quoi cette odeur, Henri? demandatelle.

Quelle odeur? rétorqua Henri, surpris.

Celleci, fitelle, entrant dans la cuisine, le nez froncé. Un parfum chaud, légèrement sucré.

Henri haussa les épaules en remplissant une tasse deau bouillante. Léa retira son cardigan et savança vers la salle où le parfum se faisait plus présent. Elle sarrêta, les yeux brillants, découvrant les tulipes.

Tu as acheté les tulipes? sexclamatelle, enchantée, alors que Henri apportait un plateau avec deux tasses fumantes et une assiette de biscuits. Tu ne supportes jamais les fleurs, même les cadeaux forcés.

Le vendeur était insistant, admitil, étonné de voir les fleurs écloses, diffusant ce parfum discret et sucré.

Elles sont magnifiques, Léa, pressatelle son visage contre les fleurs, les yeux fermés, savourant larôme.

Henri sourit, ému, lorsquelle le serra fort contre elle, posant sa tête sur son épaule.

Le jour était terrible, Henri, mais maintenant il fait à nouveau chaud, comme le matin, murmuratelle, les yeux pétillants. Merci.

De rien, réponditil, caressant ses cheveux. Je navais même pas su que les tulipes sentaient

Cest difficile à décrire, admitelle en prenant sa tasse de thé, un sourcil étonné lorsquil rit.

Jai compris lodeur des tulipes.

Et quelle estelle?

Elle sent le printemps, conclutil en lenlaçant à la taille.

Ils restèrent longtemps assis, buvant du thé, parlant à voix basse. Sur la table, dans le vieux vase de la grandmère, les tulipes continuaient de diffuser le doux parfum du printemps, remplissant la pièce et leurs cœurs dune chaleur qui, même après les longues semaines de gel, ne semblait jamais séteindre.

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