Égor, le Petit Explorateur

Madame ne venait pas. Tous les enfants avaient déjà été récupérés par leurs parents, il ne restait que le petit Eugène Morel. Il jouait tranquillement avec son petit camion dans un coin de la salle de petite enfance. Lanimatrice, Madame Dupont, jetait un regard mécontent à sa montre. Eugène poussa un soupir lourd, fixa le cadre sombre de la fenêtre, puis la porte.

Madame Dupont, jai vu un gros chien près de la clôture ce matin, lança-t-il, Il doit encore être là. Maman a peur dentrer. On pourrait ly pousser, le chasser ?

Il ny a aucun chien, ne minvente rien. Je vais encore appeler sa mère.

Madame Dupont décrocha le portable et composa une nouvelle fois le numéro de la mère dEugène. Personne ne répondit. Elle scruta lhorloge, linquiétude se lisant sur son visage.

« Il a dû se passer quelque chose, » pensa-t-elle. « Ce nest jamais arrivé. Le père dEugène nest plus, la mère est très responsable, elle aime son fils. Même en retard, elle aurait prévenu. »

Eugène, habillonsnous, allons chez moi, proposa-t-elle.

Maman ? sembrouilla le garçon. Elle viendra, mais nous, on reste ici.

Nous lui laisserons un mot, improvisa Madame Dupont, Elle le lira et viendra nous chercher. Je lui donnerai ladresse et mon numéro. Il se fait tard, allonsy. Mon chat a faim.

Vous avez un chat ? Un vrai, vivant ? sexclama Eugène, les yeux brillants. Je pourrai jouer avec lui ?

Bien sûr, viens.

Lappartement de Madame Dupont séduit immédiatement Eugène. La chaleur et le confort enveloppaient la petite pièce, le parfum des tartes aux pommes flottait dans lair. Un gros matou roux, paresseux, laissait Eugène le caresser, tolérant patiemment les bêtises dun garçon. Après un verre de thé, le petit sassoupit.

Madame Dupont posa doucement le garçon sur le lit, puis, téléphone à la main, séclipsa vers la cuisine. Après de longs appels avec les policiers et le service des accidents, elle apprit quune jeune femme était entrée aux urgences avec de graves blessures suite à un accident de la route. La patiente était inconsciente.

Quand elle se réveillera, diteslui que tout va bien pour son fils. Il restera chez moi. Quelle ne sinquiète pas. Nous lui rendrons visite, demanda la voix tremblante au téléphone.

De retour dans la chambre, Eugène, les joues mouillées, fixait lanimatrice.

Où est ma maman ? sanglotat-il. Je veux rentrer à la maison, chez maman. Je ne veux pas rester ici. Chez moi, maman pleure, le lit aussi. Tous mes jouets mattendent. Emmenezmoi chez moi, je veux ma maman.

Mon petit, la rassura Madame Dupont, ne pleure pas. Ta maman est au travail, elle est occupée. Calmetoi, ici cest sûr. Je taime et le chat taime aussi.

Non, elle mattend, sanglota Eugène, je ne peux pas être sans elle. Il baissa les yeux, puis demanda dune voix timide, Estce que maman est partie au ciel ?

Non, mon cœur, elle nest pas partie. Tout va bien. Pourquoi cette question ?

Mon papa est parti au ciel, continua le garçon, et ma grandmère aussi. Ils me regardent den haut. Quand je me comporte bien, ils sont contents. Et si maman sen allait aussi ?

Madame Dupont lenlaça tendrement, le pressant contre son épaule. Il se blottit, le nez contre son dos.

Ne ten fais pas, ta maman est forte. Demain, on ira la voir dès le matin. Elle nest pas au travail, elle est à lhôpital, elle est malade.

Elle a mal à la gorge, comme moi ? sinterrogea le petit.

Oui, un petit mal de gorge, et un léger coup au bras. Tout ira mieux, elle guérira, et tu rentreras avec elle.

Elle voudra du lait chaud avec du miel. On lui apportera du lait, nestce pas ?

Bien sûr, on lui apportera. Maintenant, dors, ferme les yeux, je vais te raconter une histoire.

Madame Dupont, pourquoi êtesvous seule ? demanda soudain Eugène.

Cette question surprit lanimatrice. Elle se mit à pleurer, les larmes roulant sur ses joues.

Javais un fils et un mari. Ils sont partis à la campagne, je suis restée pour faire le ménage. Un accident Je suis maintenant seule avec le chat. Jai eu tellement de peine de ne pas être là pour eux.

Sontils allés au ciel ?

Oui, au ciel, soupira Madame Dupont.

Madame Dupont, ne pleurez pas, le consola Eugène, ils vous regardent. Quand vous êtes joyeuse, ils le sont aussi ; quand vous pleurez, ils pleurent. Cest ce que ma maman ma toujours dit. Ne les rendons pas tristes, restons forts ensemble.

Madame Dupont essuya ses larmes, lenlaça et lembrassa.

Allons dormir, il faut se lever tôt demain. Jaimerais que tu restes ici tant que ta maman sera à lhôpital. Le chat et moi serons plus heureux. Daccord ?

Daccord, acquiesça Eugène, je taiderai. Je sais faire la vaisselle. Puisje pourrai vous appeler « grandmaman » ? Pas à la crèche, seulement ici.

Oui, mon petit, dors bien.

Madame Dupont resta longtemps près de la fenêtre, essuyant les traces de ses larmes. Eugène dormait paisiblement dans son lit.

Les années passèrent. Un matin, Eugène se leva tôt, sauta du lit, sétira. Lodeur des croissants frais séchappait de la cuisine. Il entra.

Grandmaman, pourquoi vous levezvous si tôt ? demanda-t-il en embrassant Madame Dupont sur la joue.

Je nai pas pu dormir, répondit-elle, Jai pensé que vous et votre maman vous réveilleriez, alors voici des croissants. Ça me fait plaisir de vous voir heureux. Je vous sers du lait, et quand le temps viendra, je me reposerai au ciel, comme les autres.

Eugène sourit, comprit que la perte et la présence se mêlaient comme le beurre dans la pâte. Il réalisa que lamour, même dans la douleur, pouvait guérir les cœurs.

Ainsi, même lorsquune tempête vient troubler nos vies, la solidarité, lécoute et lespoir nous permettent de reconstruire, car « lunion fait la force » et le souvenir des êtres chers nous guide vers la lumière.

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