Ma mère ne venait pas. Tous les enfants avaient déjà été récupérés par leurs parents, il ne restait plus quÉmile Dupont. Il jouait tranquillement avec son petit camion dans le coin du groupe. Lanimatrice, Madame Marielle Laurent, jetait un regard désapprobateur à sa montre. Émile poussa un lourd soupir, regarda la petite lucarne sombre, puis la porte.
«Madame, cet aprèsmidi, jai vu un gros chien près de la clôture», lançatil, espérant quelle le comprenne, «Il doit encore être là. Maman reste dehors, elle a peur dentrer. Peuton le faire sortir?»
«Il ny a aucun chien, ne tinvente rien. Je vais encore appeler sa mère.»
Madame Laurent sortit son téléphone et composa une nouvelle fois le numéro de la maman dÉmile. Personne ne répondit. Elle lança un regard anxieux à sa montre.
«Il doit bien sêtre passé quelque chose», pensatelle. «Jamais cela narrivait. Le père dÉmile nest pas en jeu, sa mère est très responsable, elle adore son fils. Même si elle est en retard, elle aurait appelé pour prévenir.»
«Émile, habillonsnous, allons chez moi.»
«Ma mère?» balbutia le petit garçon. «Elle arrivera, et nous, on nest pas là.»
«Nous lui laisserons un mot,» répondit Madame Laurent, «elle le lira et viendra nous chercher. Je lui donnerai ladresse et mon portable. Il se fait tard, allonsy, mon chat a faim.»
«Vous avez un chat? Vraiment?» senthousiasma Émile. «Puisje jouer avec?»
«Oui, allons.»
Lappartement de Madame Laurent plaisait à Émile. Il faisait chaud, cosy, et lodeur des tartes aux pommes flottait dans lair. Un grand chat roux, paresseux, laissait Émile le caresser et supportait patiemment les bêtises dun petit garçon. Après quelques tasses de thé, le garçon sassoupit.
Madame Laurent déposa doucement le petit sur le lit, puis, téléphone à la main, se rendit à la cuisine. Après de longs échanges avec la police et la brigade des accidents, elle apprit quune jeune femme avait été admise aux urgences du CHU de Lyon, gravement blessée dans un accident de la route, inconsciente.
«Quand elle se réveillera, diteslui sil vous plaît que tout va bien pour son fils. Il restera chez moi. Quelle ne sinquiète pas, nous lui rendrons visite.»
De retour dans la chambre, Émile, les joues humides, fixait Madame Laurent, les larmes coulant.
«Où est ma maman?» sanglotatil. «Je veux rentrer chez moi, chez maman. Je ne veux pas rester ici. Chez moi, maman pleure, le lit pleure, les jouets mattendent. Emmenezmoi chez moi, je veux ma maman.»
«Mon petit, ne pleure pas,» tenta de le rassurer Madame Laurent. «Ta maman est occupée, elle travaille. Calmetoi, sil te plaît. Ici cest sûr. Je taime, et le chat taime aussi.»
«Non, elle mattend,» sanglota le garçon. «Je ne peux pas sans maman.» Puis il demanda timidement : «Maman nestelle pas partie au ciel?»
«Non, mon petit, elle nest pas partie. Tout va bien. Pourquoi cette question?»
«Mon père est déjà au ciel,» réfléchittil, «et grandmère aussi. Ils me regardent den haut. Quand je suis sage, ils sont heureux. Et si maman partait aussi?»
Madame Laurent lenlaça tendrement, le pressa contre son épaule. Il se blottit, le nez contre son bras.
«Ne ten fais pas, ta maman est forte. Tout ira bien. Demain, on partira la voir en premier. Elle nest pas au travail, elle est à lhôpital. Elle est malade.»
«Comme moi? Elle a mal à la gorge?» se redressa Émile.
«Oui, la gorge et un peu le bras. Ça ira, elle guérira et tu pourras rentrer avec elle.»
«Il faut du lait chaud avec du miel. On lui apportera du lait?»
«Bien sûr, on le lui apportera. Maintenant, dors et ferme les yeux. Je te raconterai une histoire.»
«Madame Laurent, pourquoi vivezvous seule?» demanda soudain Émile.
Ce fut une question qui surprit Madame Laurent; elle se mit à pleurer.
«Javais un fils et un mari. Ils étaient partis à la campagne, je restais à la maison pour faire le ménage. Un accident est arrivé. Depuis je vis seule avec le chat. Jai eu de la peine de ne pas être là.»
«Ils sont allés au ciel?»
«Oui, au ciel,» soupira Madame Laurent.
«Madame, ne pleurez pas,» intervint le petit, «làdessus ils vous regardent. Quand vous êtes joyeuse, ils le sont aussi, et quand vous pleurez, ils pleurent aussi. Ma maman me la toujours dit. Ne les rendons pas tristes.»
Madame Laurent essuya ses larmes, létreignit et lembrassa.
«Allez dormir, il faut se lever tôt demain. Jaimerais que tu restes chez moi tant que ta maman sera à lhôpital. Avec le chat, ce sera plus gai. Daccord?»
«Daccord,» acquiesça Émile, «je taiderai. Je sais faire la vaisselle. Puisje pourrai tappeler grandmaman?Pas à la crèche, seulement ici.»
«Oui, mon petit. Bonne nuit.»
Madame Laurent resta longtemps près de la fenêtre, essuyant ses larmes. Émile dormait paisiblement dans son lit.
Des années passèrent.
Émile se réveilla à laube, sauta du lit, sétira. De la cuisine arrivait lodeur des croissants tout juste sortis du four. Il entra.
«Maman, pourquoi vous êtes levée si tôt?» demandatil, en donnant un petit bisou à Madame Laurent.
«Je nai pas pu dormir. Jai pensé que vous vous réveilleriez avec votre mère, et jai préparé des croissants. Un petit bonheur pour vous deux. Viens, je te mets du lait. Et quand le temps viendra, je retrouverai les étoiles.»







