Dans un petit café du Marais, à Paris, Irène éclate: «Quoi?» Elle manque de laisser tomber sa tasse. «Linfidélité nest pas une raison? Tu tu es sérieuse?»
Marine répond, dun ton posé, comme si ce nétait pas son mariage dont il sagissait: «Bien plus.»
Irène sénerve: «Il ta trahie!»
Marine, fatiguée, remue son café avec la cuillère et sourit: «Laisse tomber. Nous nous sommes trahies bien avant.»
Irène fronce les sourcils, se penche plus près: «Tu dis ça maintenant pour paraître forte?»
Marine lève les yeux, sans colère ni larme, seulement de la lassitude: «Non. Je nen peux plus de faire semblant davoir une famille.»
Une courte pause. Irène parle plus doucement: «Attends, donc tu penses que linfidélité, ce nest quun vent?»
Marine agite la main: «Pas du tout, mais ce nest pas le plus important. Lessentiel, cest ce qui existait avant, et ce qui est arrivé après.»
Elle pousse la tasse, comme pour enlever un obstacle invisible: «Tu veux que je raconte? Mais ne minterromps pas.»
Irène rapproche sa chaise, attentive: «Vasy, je técoute.»
Marine inspire profondément: «Tu sais, on était un couple ordinaire. On sest rencontrés, mariés, on a eu des enfants, un prêt immobilier, des travaux toute cette course incessante, le quotidien qui semmêle.»
Puis, subitement, elle réalise: «Nous vivons encore à côté, mais depuis longtemps, plus ensemble.»
Un petit sourire bref se dessine sur ses lèvres, sans joie. «André a toujours été insatisfait, de tout et de tous. Tu sais, ce type Il ne fait rien de mauvais, mais il rend tout mauvais. Il est froid. Même quand il ne parle pas, tu te sens toujours coupable, indigne.»
Irène hoche la tête, cest trop familier. «Il rentre tard au bureau, parfois jusquau petit matin,» dit Marine en regardant par la fenêtre. «Je ne lui demande rien. Vraiment. Je suis adulte. Si un homme veut cacher quelque chose, il le fera. Sil veut partir, il partira. Et sil ne part pas, cest quil est satisfait.»
Ce nest pas moi, mais lui. Elle se sent seule, superflue, lassée depuis longtemps. Marine frissonne, comme si un souvenir la transperçait. «Puis» sinterromptelle un instant. «Puis il y a eu ce voyage. Tu dois ten souvenir.»
Irène acquiesce: «Je men souviens. Tu disais que tu étouffais chez toi, dans ce silence oppressant, sous les reproches incessants que tu avais besoin de bouger.»
«Exactement! Alors je suis partie» répond Marine. La mer, le bruit des vagues, le soleil. On dirait quelle est sur une autre planète. Soudain, elle se surprend à sourire, sans raison, parce quà côté il y a quelquun qui écoute, qui ne juge pas, qui ne pousse pas. Simple, ordinaire, sans romance, juste de la chaleur, et cela suffit.
Irène fronce à nouveau les sourcils: «Mais tu savais que cétait enfin»
Marine ne rougit pas: «Bien sûr, mais à ce momentlà, pour la première fois depuis des années, je me sens vivante, désirée. Tu comprends? Et le plus terrible, ce nest pas linfidélité. Cest que personne à la maison na même remarqué que je suis revenue complètement changée.»
Elle tape du doigt sur la table, créant un rythme. «Puis André a découvert nos messages. Par «hasard» comment un «hasard»?» souritelle de travers. «Il sait toujours dénicher ce quil veut.»
«Et alors?» demande Irène.
«Des cris. Des accusations. Une valise. Un départ. Un retour. De nouveaux cris. De nouvelles accusations. Et la phrase que je noublierai jamais.»
Marine imite dune voix sèche: «Je suis un homme. Jai le droit. Et toi je ne peux plus te regarder et je ne pourrai jamais pardonner.»
Irène souffle doucement: «Quelle horreur.»
Marine hausse les épaules: «Eh bien, je ne suis pas un ange non plus. En bref, on sest épuisés lun lautre, on na plus la force de vivre ensemble. Donc linfidélité nest pas la cause, ma chère Irène. Cest le symptôme, la dernière goutte.»
Irène, après un silence, demande: «Et après?»
Marine répond: «Puis, après un moment, quand on comprend quon ne peut plus cohabiter, même formellement, il annonce quil veut le divorce.»
«Tu as eu peur?» lance Irène.
«Non. Je nai rien ressenti. Je le regarde et je sais que cest simplement la fin dun chapitre. Logique, rationnel.»
Les enfants, au passage, acceptent tout avec maturité. Pas dhystérie, pas de rebondissements. «Et tu las laissé partir? Sans rien?»
«Bien sûr.» sourit Marine, sereine. «Quel intérêt de retenir quelquun qui est déjà parti? Il nest plus «hors de la maison», Irène, il est sorti de nous»
Irène reste muette. Marine poursuit: «Et le plus surprenant, cest quaprès son départ, la maison devient paisible. Silencieuse légère. Comme si quelquun avait enlevé le sac à dos géant du dos que je traînais depuis dix ans sans jamais le poser.» Elle sourit. «Cest pourquoi je dis : linfidélité nest pas un motif de divorce.»
Irène demande: «Alors, quel est le vrai motif?»
Marine la regarde droit dans les yeux. «Quand on vit avec quelquun et quon se sent seul. Longtemps. Des années. Quand on nexiste plus dans son univers. Quand la maison avec lui est pire que dêtre seule. Voilà le vrai motif.»
Elle se penche en arrière sur le dossier de la chaise. «Linfidélité nest quun point que lautre place à ta place.»
Irène se jette en avant, frappant même la table: «Marine ! Tu plaisantes ?» Elle crie: «Je suis totalement contre toi! Jai plein damies qui sont passées par là. Certaines ont divorcé après une infidélité, dautres ont pardonné Mais aucune, entendstu, na jamais justifié la trahison! Cest absurde, douloureux, humiliant. Comment peuxtu dire ça ?»
Marine répond calmement à la colère de son amie: «Irène, je ne défends personne. Je ne me mens plus. Jaffirme: linfidélité nest pas un coup dans le dos. Cest la dernière marche que lon grimpe ensemble, jour après jour, heure après heure. Ensemble. Tu comprends?»
Irène reste figée, et Marine ajoute doucement: «Et tu sais souvent celui qui trahit est celui qui a perdu tout espoir en premier. Celui qui a tout donné, supporté, sauvé puis sest brisé.»
Donc le traître nest pas toujours celui qui part ailleurs. Parfois cest celui qui est resté, mais qui ta abandonnée depuis longtemps. Disle à tes connaissances, peutêtre comprendrontelles enfin ce qui leur est arrivé.







