La Veuve et ses Cinq Enfants : Un Récit Touchant.

28février2025

Cher journal,

Je me retrouve à arpenter, encore une fois, ce sentier enneigé qui serpente entre les bâtiments du 12ᵉ arrondissement. «Impossible de ne pas aimer ses enfants», me répètemoi souvent Élisabeth, mais la fatigue, la colère et ce sentiment dimpuissance me submergent. Avant que tout ne se passe, Victor était encore vivant et jattendais notre cinquième bébé. Une voisine du sixième étage, persuadée que javais fermé la porte et que je nentendais plus ses remarques, avait un jour lancé à son mari :

«On ne fait des enfants que pour les allocations, et ils finissent toujours abandonnés!»

Jai pleuré jusquà avoir la toux à cause des sanglots. Oui, je parvenais à travailler avec quatre enfants à charge, mais je nétais jamais seule: ma mère venait tant quelle le pouvait, puis nous avons engagé une nounou. Jaimais mon boulot et je ne pensais pas labandonner simplement parce que mes petits nétaient pas encore autonomes. Quand ils grandiraient, que deviendraitelle?

Cette réflexion sest avérée juste. Quand Victor a disparu, mon salaire, bien quéprouvé, couvrait à peine les besoins de la maisonnée. Jai gardé ma retraite intacte, la faisant fructifier sur des comptes dépargne afin que mes enfants puissent, un jour, disposer dun capital pour se lancer dans la vie dadulte. Mais être veuve avec cinq enfants reste un défi que je peine à relever.

Toute la nuit, la neige a tout recouvert ; les allées, déjà étroites, sont désormais méconnaissables. Jaurais dû stationner ma voiture ailleurs, mais jai dabord dû traîner Éric et Léa jusquau jardin denfants, puis revenir, ce qui na pas été aisé. En regardant mes bottes, jessayais déviter la neige qui sincrustait, sans voir lhomme qui savançait vers moi. Nous nous sommes percutés, il a réussi à rester debout, moi je suis tombée dans la poudre blanche. Il ma tendu la main pour maider à me relever, mais a laissé échapper un gros ballon rouge en forme de cœur.

«Quelle farce pour la SaintValentin!», me suisje jurée intérieurement.

Hier, jusquà minuit, jai aidé ma fille du milieu, Anaïs, à coudre ses bottes en feutre et à rédiger un exposé sur la fête pour mon fils Paul, tout en tentant de calmer ma grande aînée, Victoire, qui faisait une crise parce quun énorme bouton était apparu sur son front. Elle était persuadée que le garçon qui lui plaisait lui offrirait une carte de SaintValentin et linviterait à sortir. Pendant ce temps, les plus jeunes ont dérobé des marqueurs acryliques et ont tagué le buffet, le parquet et même leurs camarades. La directrice du matin, en plaisantant, les a qualifiés de «Papous» et a suggéré dacheter du dissolvant à lacétone.

«Excusezmoi, je ne vous ai pas vu,» sest excusé lhomme.

En moi se disputaient deux émotions: la colère de ne pas avoir remarqué cet énorme gaillard, et la gêne de voir son ballon séchapper, sûrement destiné à une bienaimée. Cest le second qui la emporté.

«Ce nest pas grave, cest ma faute. Dommage le ballon.»

Il a levé les yeux vers le ciel.

«Rien. Les oiseaux célébreront aussi.»

«Votre femme sera contrariée, non?»

«Cest pour ma fille,» a souri lhomme. «Jirai en acheter un autre.»

Des larmes ont subitement jailli de mes yeux. Lhomme semblait désorienté, ne sachant que faire.

«Pardon,» sanglotaije. «Ce nétait pas intentionnel.»

«Ce nest rien Un problème?»

Je ne me plains jamais, je garde pour moi le poids dêtre veuve de cinq enfants, mais cet inconnu était si étranger que je me suis sentie épuisée.

Il a alors dit :

«Il faut que vous rencontriez ma femme. Elle est obsédée par le troisième enfant, et je lui dis: «Attends, prends du temps pour toi, ne te précipite pas.» Ce nest pas que les enfants soient mauvais, au contraire, jen veux un troisième aussi, mais je mégare. Désolé, je suis vraiment nul pour réconforter.»

«Allez,» aije haussé les épaules. «Parfois je me dis que je devrais les aimer à la folie, mais je suis surtout irritée, et lamour me paraît absent.»

«Il est là,» a rétorqué lhomme avec assurance. «Il est simplement enseveli sous la neige, comme ce chemin. Vous vous souvenez de ce qui pousse en été ici?»

«Quoi?»

«Des pâquerettes.»

Jai compris le soustexte, mais le vide en moi restait présent.

Il ma raccompagnée jusquà ma voiture, ma souhaité une belle journée. En remontant, jai retouché mon maquillage et suis partie au travail, le cœur lourd. Les souvenirs de SaintValentin où je trouvais sous le rétroviseur une petite carte ou des fleurs me reviennent. Victor nest plus depuis quatre ans, et ces journées accentuent ma mélancolie. Aujourdhui, jattends encore la réunion où SergeLaroche va nous assommer pendant trente minutes avec ses résultats.

Au bureau, latmosphère est animée: même si les fêtes ne sont pas vraiment célébrées, je remarque des fleurs ici et là, des chuchotements, des rires. Les hommes semblent tendus, comme toujours quand on doit deviner les attentes des femmes. En entrant dans mon bureau, jai cru me tromper de porte, je me suis reculée: un bouquet de roses rouges reposait sur le bureau. Cétait pourtant mon espace, et je me suis approchée, observant les fleurs comme on observerait un animal étrange, sans savoir sil mordrait ou ronronnerait.

Une petite carte y était attachée.

«Je noserais jamais, mais pourquoi pas aujourdhui. Dans tes yeux je vois lunivers, ton sourire règle mon humeur. On dîne?L.»

Je me suis demandée qui parmi mes collègues pouvait signer dune initiale «L». Peutêtre Léon, Louis ou Luc? Ils travaillaient tous avec moi, mais aucun ne montrait dintérêt. Le bouquet aurait pu arriver par hasard. En bas, la carte indiquait un restaurant à 19h. Jai dabord pensé à Léon, avec qui jai été attirée avant ma cinquième grossesse, quand je venais tout juste de reprendre le travail et que mon mari était distant. Nous avions déjeuné ensemble, javais même senti des papillons, mais un test de grossesse a mis fin à cet élan. Puis Victor est tombé malade, et Léon a disparu de ma mémoire.

Toute la journée, je me suis demandé si je devais accepter ce rendezvous. Jai scruté Léon, Louis, Luc; ils se comportaient comme dhabitude. Étaitce une plaisanterie? Qui viendrait avec les enfants? Ma mère ne sort plus depuis six ans, je nai pas dargent pour une nounou, la fille aînée fuirait sûrement. Alors, je n’irai nulle part.

Éric et Léa mont remis un cœur déformé, on apprend même aux crèches à faire des cartes de SaintValentin. Jai empaqueté les enfants dans leurs combinaisons et les ai traînés à la voiture sous la neige, repensant à cet homme du matin qui portait le ballon rouge. La pensée ma mouillé les yeux.

Les enfants sagitèrent dans la voiture, se disputant quel dessin animé mettre, réclamant un arrêt au magasin pour des Kinder parce que cétait la fête. Épuisée, jai cédé, acheté trois barres pour les aînés et des raviolis, faute dénergie pour cuisiner.

En rentrant, la surprise mattendait: lodeur de pommes de terre rissolées et de compote de cerises. Victoire a annoncé quun garçon lavait invitée à un rendezvous, donc plus damies, plus de petitami, mais elle a trouvé du réconfort dans le fait que son bouton sétait agrandi. Elle a décidé de préparer le dîner. Les enfants ont rangé leurs chambres et ont essuyé les marqueurs sur la table blanche. Jai été émue, les ai serrés dans mes bras et jai compris que je les aimais, non seulement quand ils sont sages, mais toujours. En fouillant dans le placard, jai trouvé une petite robe noire que je navais pas portée depuis des lustres, et jai pris le parfum de la fille aînée, le gloss des moyens.

«Maman, je sors à un rendezvous!», sest exclamée Victoire.

Éric a pleuré, je lai consolé, promettant de revenir bientôt.

Je suis arrivée au restaurant, le cœur battant, incertaine de ce qui mattendait. Un rendezvous avec un inconnu, ou avec quelquun que je connais sans le savoir? Cela me rappelait le tirage au sort du «Secret Santa». Si cétait Léon, je choisirais un cadeau simple; si cétait le directeur des ressources humaines, SergeLaroche, je ne lui offrirais quun vélo, un peu comme le facteur Pechkin.

À mon arrivée, je pensais déjà rebrousdir le chemin, quand jai aperçu SergeLaroche, debout, le dos droit, les yeux fixés sur la porte. À ma vue, il a rougi, sans quitter le regard. Jai été prise de panique, de colère, de fascination.

«Je craignais que tu ne viennes pas,» a-t-il déclaré.

Nous ne nous tutoyions jamais, mais ce jour étrange me faisait accepter nimporte quoi. Après un souffle, je suis passée derrière la serveuse qui nous a indiqué une table près de la fenêtre. Des cœurs suspendus au plafond descendaient comme des décorations, et jai pensé que cétait peutêtre ma fille qui devait sortir ce soir, pas moi. Jai dû imaginer un plan de fuite, mais je nai pas pensé à demander à ma fille dappeler en prétextant un incendie.

La conversation se bloquait. Serge était nerveux, alternant parole et silence, mobservant dun air si triste que jai eu envie de compatir. Je rêvais de fuir, de ne plus mâcher les aubergines grillées ni découper le steak juteux. «Quil se passe quelque chose!», pensaisje. «Les plus jeunes repeindront les murs, les moyens laveraient le chat, Vicky comprendra quelle a trahi et lappellera pour se réconcilier».

Mes prières se sont exaucées : au troisième morceau de steak, mon téléphone a sonné. Le nom affiché appartenait à ma fille aînée.

«Maman, feu!» a-t-elle hurlé. «Paul a essayé de faire des bâtonnets de fromage, lhuile a pris feu»

Un frisson a traversé mon corps, mon cœur sest serré comme sil allait éclater.

«Questce qui se passe?» a demandé Serge, inquiet.

«Incendie» aije soufflé.

Il a réagi avec un calme surprenant: dune main il a sorti la carte, a appelé la serveuse, de lautre il a contacté les pompiers, ma demandé ladresse, tout en organisant les enfants «Mettez vos chaussures, courez dehors, frappez aux portes, ne tentez pas de sauver les objets.»

En quinze minutes, nous étions de retour chez moi. Le camion des pompiers était déjà garé devant limmeuble, les voisins formaient un cercle autour des enfants en pleurs, de la fumée séchappait de la fenêtre. «Je ne dirai plus jamais que je ne les aime pas,» me suisje promise. «Je serai la meilleure mère possible.» Jai serré mes enfants contre moi, étonnée des manteaux et bonnets étrangers qui les recouvraient. Le monde regorge de gens bienveillants, je le sais.

Heureusement, le feu a été maîtrisé rapidement ; seule la cuisine a subi des dommages, les autres pièces sentaient la brûlé. Même le chat de Victoire a été sauvé.

«On ne peut pas dormir ici,» a conclu Serge. «Il faudra des réparations. Pourquoi ne pas venir chez moi?»

«Comment?» aije demandé, la peur au creux de la gorge.

Serge ma regardée droit dans les yeux :

«Comme tu veux. On peut simplement passer la soirée chez moi, ou rester définitivement.»

Les enfants lont observé, curieux, comme sils le découvraient pour la première fois. Éric a de nouveau hurlé, Paul fronça les sourcils, Léa a demandé sil y avait des dessins animés.

«Oui,» a répondu Serge. «Et un chat et un chien. On y va?»

«Quel chien?» a interrogé Paul, les yeux plissés.

«Un bouledogue, exactement comme Victor,» aije pensé doucement.

«Un beagle,» a confirmé Serge, et jai compris que Paul était conquis: cétait le chien quil réclamait depuis un an.

Victoire, évaluant la situation, a dit :

«Je vais rassembler nos affaires. Éric, arrête de crier, allons récupérer tes petites voitures.»

Jai regardé ma fille avec gratitude. Elle ma lancé un clin dœil à la façon la plus féminine qui soit. Elle grandit si vite! Et Paul ne verra jamais cette évolution

«Daccord,» aije répondu. «Nous passerons la nuit chez toi, merci. Demain je réfléchirai à ce que je ferai.»

«Maman, regarde!» a crié Anaïs, et jai levé les yeux. Un ballon rouge en forme de cœur flottait dans le ciel. Jai souri.

«Les oiseaux fêtent aussi,» aije murmuré.

Serge a discrètement pris ma main. Sa paume était douce, chaude, inhabituelle. Mais je nétais pas pressée de le laisser memporter

Je referme ces pages en sachant que, malgré la neige, le feu et les ballons perdus, lamour que je porte à mes enfants ne fait que croître.

À demain.

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