J’avais dix ans lorsque ma mère m’a annoncé qu’elle allait se remarier.

Lyon, 12 mars

Jai dix ans quand ma mère, Marie, mannonce quelle va se remarier.
Je la déteste pour cela, tout comme cet inconnu qui souriait trop et parlait dune voix chuchotée.
Mon vrai père, Jean, était parti quand javais six ans, et je continuais à rêver quil reviendrait un jour.

Un aprèsmidi, un homme sinstalle dans notre salon, comme sil sappropriait un espace qui ne lui appartenait pas. Je ne lui parle plus depuis des mois, je lignore, je tourne le dos.
Marie me supplie de lui donner une chance, mais je ne veux rien entendre. Ce nest pas mon père, il ne le sera jamais !
Il sappelle Pierre.

Le temps, ce grand sculpteur qui renverse les certitudes, ma appris que je me trompais : Pierre est devenu bien plus quun simple « beaupère ».

Durant les premières années, je fais tout pour le repousser. Il me parle, je reste muette, il moffre des cadeaux que je refuse, il me propose de sortir, je décline.
Marie pleure, elle me reproche de briser son bonheur, mais mon cœur reste lié à ce père qui est parti et nest jamais revenu.

Le tournant arrive à treize ans, avec mon premier amour, un camarade de classe, lors dune sortie au cinéma du centreville.
« Tu ne peux y aller que si un adulte temmène », me dit ma mère. Quelle contrainte !
Jappelle mon vrai père, Jean, en le suppliant de venir. Il promet, mais après une heure dattente il nest pas là.

Soudain, la voiture sarrête devant le cinéma : cest Pierre.
« Ta mère ma appelé. Elle a dit que tu étais là. Allonsnousen », me ditil.
Sur le chemin du retour, il ne dit rien. Quand nous arrivons, il coupe le moteur, se tourne vers moi et, dune voix calme, déclare :
« Je ne suis pas ton père, je ne le serai jamais, sauf si tu le veux. Mais je suis là. Si tu as besoin de parler, je serai présent, non par devoir, mais par envie. »

Ces mots mont bouleversée. Pour la première fois, je le regarde vraiment, non plus comme un intrus mais comme quelquun qui a choisi dêtre à mes côtés, contrairement à mon père biologique.

Depuis ce jour, tout change. Nous commençons à parler, dabord peu, puis de plus en plus. Il ne me demande jamais de lappeler « papa », il ne cherche pas à remplacer qui que ce soit, il est simplement présent.

À quinze ans, après une violente dispute avec Marie, je fuis la maison. Pierre me suit en silence, jusquà ce que nous nous arrêtions sur un banc du parc.
« Tu ne devrais pas être avec ta mère ? » lui demandeje.
« Je suis à tes côtés et à ceux de ta mère. Vous deux comptez pour moi. »
Nous parlons pendant une heure ; il ne me fait pas la morale, il mécoute. Puis il affirme :
« Être père, ce nest pas une question de sang, cest dêtre là, dans les bons jours comme dans les moments où lon a envie de disparaître. »

Mon vrai père appelait tous les six mois, promettait des choses quil ne tenait jamais, oubliait mon anniversaire, avait une autre famille.
Pierre, au contraire, assistait à chaque pièce de théâtre scolaire, maidait avec les devoirs, ma appris à conduire, veillait sur moi quand javais de la fièvre.

À dixhuit ans, le jour de mon bac, Pierre était à mes côtés.
« Peutêtre devraistu appeler ton père », me suggèretil.
Je réponds : « Tu es là, lui ne lest jamais. »

Lorsque je me suis mariée, les deux hommes étaient présents, mais cest Pierre qui ma conduite jusquà lautel. Ses yeux brillèrent démotion :
« Jamais je naurais imaginé que tu me demanderais de faire ça », ditil.
« Tu le mérites », répliquaije. « Tu as été père même quand je ne te le voyais pas. »

Après la cérémonie, mon père biologique sapproche :
« Pourquoi ne suisje pas venu me chercher ?! Je suis ton père ! »
Je le regarde calmement et réponds :
« Un père, cest celui qui reste. Pierre est resté, toi, non. »

Jamais je ne regrette rien. Aujourdhui, je comprends ce qui méchappait enfant : la famille nest pas une question de sang, cest un choix.
Pierre me choisit chaque jour, et moi, je le choisis encore, non comme un second père, mais comme mon vrai père.

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