Fils ingrat, un fardeau plus lourds qu’un étranger (une histoire simple)

Cher journal,

Aujourdhui, je me retrouve assise sur le banc de larrêt de bus devant ma petite maison à SaintAubin, les yeux perdus dans le vide. Ma sacoche en toile et un sac en papier, où jai rangé presque toutes mes affaires, reposent à côté de moi. À quaranteetun ans, je suis la grandmère de la famille Sémon, mais je ne sais plus où aller.

«Tu las virée, Rimma, sans aucune pitié, et tu las bien fait», se souvient encore la voix de ma fille Nadège lorsquelle me poussait du haut du pas de la porte. «Va donc, vieille, dici et ne tavise plus de revenir».

Il y a trois ans encore, nous vivions à cinq sous le même toit de cet appartement de trois pièces : moi, ma fille Nadège, mon petitfils Léon avec son épouse Nathalie, et notre arrièrepetitfils, Arthur. Tout semblait harmonieux, comme une bonne ratatouille partagée à la maison.

Le désordre a commencé le jour où Léon a fait la connaissance dune nouvelle comptable, Rimma, venue de la ville de Montpellier pour travailler dans lusine de SaintAubin. Personne ne sait pourquoi elle a quitté sa ville. On lui a donné une chambre dans le foyer des ouvriers, on la embauchée, et elle a pensé que la vie serait simple. Mais le destin en a décidé autrement. Rimma sest mise à scruter les hommes et a choisi Léon, déjà marié parce quen France, on ne dit pas «la femme est un mur», mais «on ne lève pas son épaule sur la mariée».

Un aprèsmidi davril, Léon est rentré du travail, a fait ses valises et na vu que son reflet. Avant de partir, il a déclaré, les yeux remplis dune nouvelle conscience :

À quarantecinq ans, je viens tout juste de saisir ce quest vraiment la vie et lamour!

Nathalie, sa femme, na rien dit. Elle a attendu que les examens dArthur à lécole se terminent, puis elle a préparé son départ :

Nous irons à Bordeaux, Arthur doit préparer son entrée à luniversité ; nous reviendrons vivre dans la vieille maison de mes parents. Elle est depuis trois ans fermée, mais on la réparera. Si on ne peut pas le faire, mon frère nous aidera. Quant à moi, je trouverai rapidement un travail denseignante.

Deux jours plus tard, le frère de Nathalie est arrivé avec une petite camionnette, chargé les cartons, et ils sont partis. Avant de fermer la porte, Arthur a serré ma main et ma dit :

Ne tinquiète pas, grandmère, je reviendrai te rendre visite.

Il est revenu deux fois, tant que Nadège était encore en vie. Après le décès de Nadège, Léon et Rimma ont emménagé dans notre appartement et Arthur nest plus jamais revenu.

Ma vie est devenue un cauchemar. Rimma a commencé à imposer ses règles. Dabord timide, elle minvitait à la table et me servait ce quelle préparait pour elle et Léon. Puis elle a interdit de sortir de ma chambre :

Tu laisses trop de miettes dans la cuisine, je préfère nettoyer ton espace une fois par semaine plutôt que dessuyer le sol trois fois par jour.

Depuis ce jour, Rimma me faisait manger de la bouillieflocons davoine, de lorge ou du millet. Je la buvais au petitdéjeuner, au déjeuner et au dîner, toujours avec du thé en guise de dessert.

Récemment, Rimma a annoncé que son fils arriverait dans une semaine. Elle et Léon débattaient où le placer, craignant quaprès la colonie il ne trouve pas demploi.

Le matin même, Léon est parti travailler et Rimma ma donné un papier :

Voici ladresse dune maison de retraite, allez-y, et ditesmoi merci de ne pas mavoir expulsée dans la rue.

Elle a glissé le papier dans ma main et a claqué la porte derrière elle.

Jai marché jusquà larrêt de bus, mais au-delà, je ne sais plus où aller. Ma vue est floue, je ne peux plus lire les adresses. Un jeune homme se tenait là, je lai interpellé :

Mon garçon, lis ladresse, dismoi quel bus prendre.

Il ma regardée dun air surpris :

Madame, où allezvous, Maman? Arthur est arrivé, il vous cherche. Je vais lappeler tout de suite.

Cinq minutes plus tard, Arthur est venu en trombe. La voisine de la veille, qui était infirmière dans la maison de retraite, lavait prévenu : Rimma voulait placer leur grandmère en internat. La voisine, ancienne aidesoignante, avait donné ladresse à Rimma.

Arthur a pris mes affaires et ma dit :

Je vais vous conduire comme une reine en taxi jusquà la ville. Maman a déjà préparé une chambre pour vous. Et aujourdhui, nos pommiers sont en fleurs, quelle beauté!

Quand Rimma et Léon ont appris quArthur memmenait en ville, ils ont été soulagés, mais seulement quelques instants. En examinant les documents, il est apparu que la propriétaire de lappartement était toujours MarieSémon depuis le premier jour. Son mari, même décédé, avait conservé un droit doccupation à vie. Rimma et Léon ont donc dû retourner au foyer des ouvriers.

Jai vendu lappartement et les euros récoltés les ai donnés à mon arrièrepetitfils, afin quil puisse sacheter un logement à Bordeaux. Les prix y sont plus élevés, alors il na pu acquérir quun studio, mais il est dans un immeuble récent et spacieux. Il prévoit de se marier bientôt, et ainsi, aura enfin un toit pour sa jeune famille.

Je repense à tout cela en attendant le prochain bus, le cœur lourd mais un brin despoir dans les yeux.

MarieSémon.

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