Je rentrai chez nous à Paris pour le souper que ma femme Camille Laurent avait préparé ce soir-là. Je voulais linterroger, le sujet était épineux, alors je commençai dune voix lourde : «Jai quelque chose à te dire». Elle ne répliqua pas, se remit à cuisiner, mais je lus la peine dans ses yeux, un éclat de tristesse qui ne ment pas.
Je dus poursuivre le dialogue, et je crachai que nous devions divorcer. Elle sarrêta net et demanda dun ton tremblant : «Pourquoi?» Je neus aucune réponse, je fuis la question.
Furieuse, elle explosa, jetant tout ce qui était à portée de main. «Tu nes pas un homme!», hurlatelle. Le silence sinstalla ; je me retirai dans la chambre, incapable de mendormir, tout en entendant ses sanglots. Il métait impossible de lui expliquer que mon cœur appartenait à Mélisande Dupont, que je ne laimais plus depuis longtemps, que je ne ressentais plus que de la pitié.
Le lendemain, je préparai les papiers du divorce et du partage des biens. Je laissai à Camille la maison, la voiture Renault et trente pour cent des actions de ma société. Elle sourit, déchira les documents et déclara quelle ne voulait rien de moi, puis éclata de nouveau en larmes. Tenir compte de nos dix ans de mariage me fit peine, mais sa réaction ne fit que confirmer mon désir de mettre fin à notre union.
Ce jourlà, je rentrai tard, je sautai le dîner et me jetai sur le lit. Camille était assise à la table, le stylo à la main. Au milieu de la nuit, je la réveillai ; elle écrivait toujours, imperturbable. Je ne ressentais plus la moindre intimité avec elle.
Au petit matin, elle me présenta ses conditions. Elle insista pour que nous gardions de bonnes relations, tant que notre fils, Thomas, aurait besoin de stabilité avant ses examens dans un mois. Son deuxième caprice me sembla absurde : chaque matin, pendant un mois, je devais la porter hors de la chambre jusquà la porte, comme rappel du jour où, à lépoque de notre mariage, je lavais introduite chez moi.
Je ne contestai rien. Au travail, je confiai la requête à Mélisande, qui se moqua de moi, qualifiant ces exigences de tentatives pathétiques de manipulation.
Le premier jour, en soulevant Camille, je me sentis maladroit, comme deux étrangers. Thomas, en voyant son père porter sa mère, sexclama avec innocence : «Papa porte maman!». Camille me murmura : «Ne lui dis rien». Je la déposai près de la porte, doù elle séloigna vers larrêt de bus.
Le deuxième jour, le geste devint plus naturel. Jobservai, étonné, les petites rides qui marquaient son visage et quelques cheveux argentés. Tout lamour quelle avait mis dans notre mariage, comment la rembourser?
Peu à peu, une petite étincelle surgit entre nous, grandissant chaque jour. Elle devint de plus en plus légère à mes yeux, mais je gardai le silence sur Mélisande.
Le dernier jour, je la trouvai près du placard, en pleurs, confessant quelle avait beaucoup maigri. Thomas, curieux, demanda quand papa la porterait à nouveau, comme une tradition. Je la soulevai, transporté par le souvenir du jour de notre noces. Elle menlaça doucement au cou. Le seul souci qui me tourmentait était son poids.
Je la reposai sur le sol, saisis les clés de la Renault et fus à latelier. En rencontrant Mélisande, je lui déclarai que je ne voulais plus divorcer, que nos sentiments sétaient refroidis parce que nous nous étions négligés. Elle me donna une claque, senfuit en sanglotant.
Mon désir était de revoir ma femme. Je sortis précipitamment, achetai le plus beau bouquet chez le fleuriste du quartier, et, quand le vendeur me demanda ce quil devait inscrire sur la carte, je répondis : «Pour moi, le bonheur sera de te porter dans les bras jusquà la mort.»
Je rentrai chez nous, le cœur léger, le sourire aux lèvres, montai les marches et fus dans la chambre. Camille était allongée, immobile elle était morte.
Plus tard, japprendis quelle luttait courageusement contre un cancer depuis plusieurs mois. Elle ne mavait jamais parlé de sa maladie, et moi, absorbé par Mélisande, ne lavais pas vue. Camille était une femme dune sagesse étonnante : pour que mon fils ne me voie pas comme un monstre à cause du divorce, elle avait imaginé toutes ces «conditions de séparation».
Jespère que mon histoire pourra aider quelquun à sauver sa famille. Beaucoup abandonnent sans savoir quils sont à deux pas de la victoire.







