Petit trésor de mon cœur

Béatrice venait daccoucher il y a cinq jours, après une césarienne planifiée. La jeune femme se remettait lentement des suites de laccouchement. Sa petite fille, Amandine, était le premier enfant tant attendu. Béatrice et Alexandre étaient mariés depuis sept ans ; pendant ce temps, la grossesse de Béatrice avait été interrompue trois fois à un stade précoce. Alors quils commençaient à perdre espoir de fonder une famille, Béatrice est soudainement tombée enceinte.

Au troisième mois de gestation, elle fit un rêve où sa défunte mère était assise sur un terrain de jeu, observant des enfants qui jouaient dans le sable. Sa mère sassit à côté delle, la caressa doucement la tête et, dune voix apaisante, lui dit :

Bientôt, petite Amandine verra le jour et éclairera ta vie damour et despoir.

À son réveil, Béatrice était convaincue que son bébé porterait le prénom que sa mère venait de prononcer. Elle nimaginait aucun autre nom pour son premier enfant. Alexandre accepta, affirmant que, puisque le nom de famille et le prénom patronymique reviendraient à lui, Béatrice pouvait choisir le prénom de leur fille.

Après laccouchement, Béatrice était encore très affaiblie et demanda à son mari de soccuper des formalités denregistrement. Alexandre se rendit à la mairie de Lyon avec les papiers nécessaires pour inscrire la naissance dAmandine. Béatrice ne pouvait imaginer la surprise qui lattendait.

À son retour, Alexandre était accompagné de sa mère, Madeleine, avec qui les relations avaient toujours été tendues. Béatrice, encore sous le choc de lopération, navait guère envie de voir la bellemère, mais, réprimant irritations et colère, elle laccueillit poliment. En ouvrant le livret de famille, le cœur de Béatrice manqua un battement : le prénom inscrit était «Ada», et non Amandine. Ses jambes fléchirent, ses mains tremblaient de frisson.

Elle vérifia plusieurs fois, refusant daccepter ce quelle lisait. Mais le document, noir sur blanc, indiquait bien le nom «Ada». Après un moment de désarroi, elle fixa son mari et demanda :

Ada ? Questce que cela signifie ? Quastu fait ? Qui est cette Ada ?

Alexandre, un peu embarrassé, répondit :

Mon fils, apporte à ta femme un verre deau, sinon elle va sévanouir. Calmonsla.

Madeleine, dun ton indifférent, ajouta :

Rien danormal, ce nest quune petite confusion.

Alexandre revint rapidement avec un verre deau glacée. Les larmes montèrent aux yeux de Béatrice ; elle peinait à parler, à respirer, sous le choc.

Cest le fruit de tes actions, nestce pas ? sécriat-elle, toujours incrédule. Vous avez forcé Alexandre à changer le prénom de notre fille ? Comment osezvous ? Je suis la seule à pouvoir la nommer ! Comprenezvous le désastre que vous avez créé ?

Madeleine, dun ton calme, répliqua :

Ce nest pas une dramatisation. Jai simplement préservé notre vieille tradition familiale. Chez nous, on nomme les filles daprès les grandsmères et arrièregrandmères. Ma propre grandmère sappelait Ada, une femme digne qui a mené une vie honnête et lumineuse. Tu devrais être heureuse que ta fille porte ce nom respectable. Je suis sûre quAda grandira forte et courageuse, tout comme elle.

Ma fille a son propre destin, et il ne faut pas mêler le souvenir dune vieille femme décédée depuis longtemps. Ce que vous avez fait est monstrueux ! Qui vous a donné ce droit ? Jai envoyé mon mari à la mairie, pas vous. Pourquoi ne pouvezvous pas agir sans votre accord ? Souvenezvous une bonne fois pour toutes : cest Amandine, pas Ada. Jirai moimême à la mairie pour corriger cela.

Béatrice se rendit à la mairie, la petite dans les bras, refusant de la laisser aux soins dAlexandre et de Madeleine. En colère contre son mari, quelle jugeait à nouveau soumis à la volonté de sa mère, elle expliqua la situation aux agents de létat civil, insistant pour que le prénom soit modifié. On lui indiqua quil fallait laccord des deux parents.

De retour à la maison, Alexandre, le visage empreint de remords, tenta de la prendre dans ses bras. Béatrice le repoussa brutalement et, dune voix chargée de déception, déclara :

Pour changer le prénom de notre fille, il faut laccord de chacun de nous. Si tu refuses, je ne passerai plus un jour avec toi. Notre petite nest pas Ada, cest Amandine. Ce que tu cèdes à ta mère nuit à notre couple. Réfléchis à qui compte vraiment pour toi. Ma tante sappelait Ada ; elle se souvient des moqueries à lécole, «Ada vient de lenfer». Mais ce nest pas la raison. Je ne laisserai pas ta mère imposer de telles décisions qui altèrent le destin de notre enfant. Tu me rends nerveuse, et cela pourrait même affecter mon allaitement.

Alexandre, le regard contrit, sexcusa :

Pardonnemoi, Béatrice. Jai été négligent. Ma mère ma menacé de me priver de lhéritage si je nappelle pas la petite Ada. Nous rectifierons tout, ne ten fais pas. Demain, nous irons ensemble au service de protection de lenfance pour déposer la demande.

Grâce à sa persévérance, le prénom fut finalement changé. Béatrice ne revit plus jamais Madeleine. Elle décida de divorcer dAlexandre un an plus tard, réalisant quil resterait toujours le fils choyé de sa mère. Elle comprit quelle avait besoin dun partenaire solide, capable de défendre sa famille, et non dun «filspanier» qui vivreait toujours dans lombre de sa propre mère.

Cette épreuve lui enseigna que le respect mutuel et la défense de ses propres valeurs sont les seules bases dune relation durable. En protégeant son enfant et en affirmant son identité, on apprend que la vraie force réside dans la capacité à dire non aux influences qui ne nous appartiennent pas.

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