La Prophétie de Grand-Mère Babette

Tu sais, ma petite, on a accueilli chez nous une vieille mamie, presque une inconnue, une lointaine parente que personne navait vraiment connue. En plus dêtre aveugle, elle était un peu déboussolée, on dirait quelle avait perdu la boule. Cest un geste un peu fou, mais on a quand même décidé de la prendre.

On vit dans un petit hameau, quelque part autour de Saint-PrivatdeVu, cest simple là-bas. On nest pas riches, on a trois gamins et, grâce à mon frère, deux petitsenfants. Une grande tribu, des gens rustiques, un peu bourrus, pas très instruits, mais avec du bon sens. On na pas envoyé la vieille au foyer ni rien du tout, elle habitait au bout du village, loin de nous, et elle ne pouvait plus se débrouiller du tout. Alors on la accueillie.

On lui a apporté ses quelques haillons, la changé de vêtements, mis un foulard propre comme il faut, et on la fait sasseoir sur le lit. On a accroché un tapis avec des cerfs sur le mur, même si elle ne voit rien. On sest débrouillés avec du chou, des pommes de terre, du riz, des nouilles chinoises, du thé avec un peu de sucre. On la aidée à aller aux toilettes, on la aidée à shabiller quand il le fallait, et elle balançait sans arrêt des phrases incohérentes, dune voix toute fine.

Un jour, la vieille, qui sappelle Floriane Mirzot, a crié : « Il y a un voleur dans la grange ! ». On est allés voir, et cétait le voisin bourré qui essayait de piquer nos pommes de terre et notre chou. Quelle coïncidence, hein? Puis, un autre jour, elle a prévenu : « Rinat ne doit pas prendre la route pour la ville, sa voiture va se crasher ». On a cru aux prédictions de notre mamie, alors on a empêché Rinat dy aller avec son pote. Le pote sest vraiment écrasé, et Rinat aurait pu y perdre la vie sil était resté à côté.

Elle a continué à dire des choses étranges, même si elle ne se rappelait plus rien, ne voyait plus, et même la cuillère narrivait pas à atteindre sa bouche. Puis, elle a commencé à quémander un ticket de loterie. Son père est allé au grand supermarché de Chartres, a acheté le ticket, et devine quoi? On a gagné un sacré paquet de billets! Trois cent mille, quatre cent mille, peutêtre cinq cent mille euros, on ne sait même plus exactement, on parle juste de « plein dargent ».

On a acheté à la mamie un nouveau peignoir, plein de biscuits, plein de belles choses, même une nappe magnifique. Elle ne voit plus avec les yeux, mais on dit quelle voit dune autre façon, alors on veut que tout soit joli autour delle. Tout le monde laime, même si elle continue à rêver éveillée, à oublier tout, à ne plus pouvoir manger toute seule ni aller aux toilettes. Mais elle sourit toujours, assise sur la nappe, dans son joli peignoir et son foulard élégant, comme une petite poupée. Elle fait glisser ses chapelets entre ses doigts et murmure doucement des choses gentilles, en hochant la tête.

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