«Vincent, à cause de toi je ne pourrai pas aller à lanniversaire! Et je le veux!», lance Amandine, les yeux brillants.
«Quel est le problème?» demande Vincent. «Léa et Guillaume sont nos amis communs, les amis de la famille. Ce sont donc aussi tes amis quils le sont pour moi.»
«Exactement!» sexclame Amandine. «Comment cela se passe? On ma invitée, et je suis la seule à arriver! Que doisje dire?»
«Tu peux dire la vérité: je nai aucune envie dy aller, pas juste à eux, mais nimporte où.»
«Ou tu peux avouer que jai de nouveau le dos gelé et que je me traîne à la maison comme un loch; cest partiellement vrai, mon dos me fait mal, alors cest une excuse infaillible.»
Vincent garde un regard sérieux, presque triste, comme sil ne plaisantait pas. Amandine scrute son visage, cherchant un indice dhumour, mais il reste impassible.
«Vincent, il tarrive quelque chose?», demande Amandine.
«Non,» répondil immédiatement. «Comment le saistu?»
«Nous avons toujours été proches de Léa et Guillaume. Cest lanniversaire de Guillaume et tu ne veux pas y aller! Ce serait amusant, non?»
«Amandine, si tu le souhaites, vasy! Tu peux mentir sur ce qui te passe par la tête, tant que je reste en vie!»
«Et après, je te dis tout, jinsisterai,» ajoute Vincent, le regard fixe sur sa femme. «Sérieusement, je ne veux tout simplement pas y aller. Je préfère rester à la maison»
«Tu nes même pas allé à lanniversaire de Léa,» remarqueelle pensivement. «Et Camille et Antoine? Ça fait combien de temps que nos deux familles ne se sont pas vues? Deux ans? Non, trois!»
«Je le répète,» incline la tête Vincent, «personne ne ta empêchée. Tu aurais pu rendre visite, partir en piquenique, aller à la campagne chez Antoine. Tu ny es jamais allée.»
«Parce que venir seule, cest indécent!», sexclame Amandine. «Que penseront les autres de notre couple? Si je viens seule, cest que nous nous disputons!»
«Je ne men soucie pas du tout,» sourit Vincent, «les ragots des autres ne matteignent pas.»
Amandine réfléchit à ces mots. Il a raison, peu importe les jugements, mais le problème était plus profond quune simple sortie.
«Vincent, je ne vais pas contester, mais peuxtu mexpliquer ce qui tarrive?» demandeelle, tentant de rester calme. «Tu as tellement changé que je ne te reconnais plus, même en tant que mari!»
«En quoi suisje différent?», réplique Vincent.
«Ton comportement,» répondelle. «Tu fuis les gens et tu dis que tu préfères rester seul dans le silence.»
«Ce nest pas normal,» lanceil. «Peutêtre que tu es malade?»
«Ou que tu es guéri?», rétorque Vincent avec un sourire énigmatique.
***
Amandine a toujours pensé que leur mariage était heureux. Nestce pas le bonheur de résoudre les problèmes simples ensemble? Partager le budget, les corvées, les cercles damis, tout cela crée une vraie famille, une famille solide qui vit comme un seul organisme.
Avec leurs beauxparents, les relations sont excellentes. Le père dAmandine est un homme bienveillant, et les parents de Vincent sont toujours prêts à aider, parfois même avant quon ne le leur demande. Les parents dAmandine et de Vincent sentendent à merveille ; la mère dAmandine, Madame Isabelle Martin, appelait Vincent «mon petitfils» dès le premier jour.
Leur logement na jamais posé problème. Les deux familles se sont réunies, ont ajusté quelques détails, déplacé quelques meubles, et les jeunes ont finalement obtenu un bel appartement à Paris. Aucun souci avec la voiture : la famille a offert à Vincent une toute nouvelle 4×4 importée, flambant neuve, pour la naissance de leur premier petitenfant.
Leur cercle damis est vaste et chaleureux. Personne na jamais eu besoin dappeler un plombier ou un électricien: ils sentraident, comme le dit le vieux proverbe français «À cœur vaillant, rien dimpossible». Parmi leurs amis, il y a des spécialistes de tous les métiers, toujours prêts à offrir leurs compétences.
Dans leurs professions respectives, Amandine et Vincent sentraident sans attendre de contrepartie, suivant le dicton «Main dans la main, on avance mieux». Leur communauté nest pas la plus grande, mais elle est vivante et joyeuse. Les fêtes, anniversaires, sorties culturelles et simples moments de détente se partagent toujours, parfois en petit comité, parfois en grande assemblée, mais jamais en isolement.
Le temps passe rapidement quand la vie est douce. Les années saccumulent, les cheveux blanchissent, et les sujets de conversation évoluent: les douleurs, les remèdes, les projets. Le corps vieillit, même si lâme reste jeune.
Les activités familiales se déplacent de plus en plus vers les maisons de campagne, les centres de bienêtre, le confort devient primordial. Et le plaisir continue tant que le confort est présent.
Un jour, alors que le vent souffle doucement sur le balcon, Vincent dit: «Amandine, si tu veux, pars à la fête, mais je préfère rester à la maison. Le travail ma épuisé, jai besoin de calme, et je pourrai aider Kévin avec ses maths.»
«Vraiment?» sétonne Amandine. «Ce sera amusant, tu seras parmi les amis, tu te détendras!»
«Je serai comme une pierre qui pèse,» répond Vincent avec un sourire forcé. «Ils me demanderont ce qui ne va pas, que répondre?Le patron a encore inventé une nouvelle tâche débile? Ou je pourrais parler de la roue qui a sauté sur la route?»
«Tu ne men voudras pas si je ny vais pas?», demandeelle.
«Pas du tout,» répondil, plus détendu. «Je passerai du temps avec Kévin, regarderai un film, respirerai. Toi, amusetoi!»
Vincent se pose souvent la question «Pourquoi?» chaque fois quon linvite à un événement. «Aller en taxi, accepter un verre, écouter les ragots, puis rentrer tard Pourquoi perdre du temps? Je préfère mentir gentiment et rester chez moi.»
Amandine a longtemps accepté daller seule aux fêtes, mais cela devient de plus en plus inconfortable. Elle ressent quelle nest plus vraiment la femme du mari, mais une invitée parmi dautres couples.
Il nest pas vrai quil se dispute avec qui que ce soit; il reste sociable, aide ses amis en bricolage ou en plomberie. Mais il ne vient plus à lanniversaire dun enfant, et son père change le mitigeur chez eux le même jour. Les amis semblent présents, mais la connexion seffrite.
Amandine ne comprend pas ce qui se passe avec son époux, alors elle consulte sa mère, Madame Isabelle. «Tu devrais parler à ton mari, pas à moi,» conseilleelle. «Le fait quil sisole est inquiétant.»
«Questce que cela signifie?», demande Amandine.
«Que tu deviendras bientôt superflue,» répondelle. «Il faut que tu lui parles pour comprendre la cause.»
Quand un homme se retire dans la solitude, il ne sarrêtera pas avant dy être plongé complètement. Peutêtre estil malade, cachetil quelque chose, séloignetil des amis, des proches, et finira par quitter tout le monde.
«Il se porte bien,» balbutie Amandine, incertaine.
«Ou bien il a dautres intérêts,» suggère Madame Isabelle, en faisant un geste ambigu. «Les vieux amis et la famille passent au second plan quand de nouvelles perspectives apparaissent à lhorizon.»
La conversation était inévitable, mais il fallait un déclencheur: le refus de Vincent daller à lanniversaire de Guillaume.
«Ne me traite pas de fou,» affirme Vincent, «mais je me suis demandé ce qui compte vraiment dans la vie. Jai trouvé la réponse: le temps. Ce bien limité, sans lequel il ny a rien.»
«Nestce pas trop tôt pour réfléchir au temps?», interroge Amandine.
«Tu dis tôt, moi je dis tard!», répliqueil. «Il y a deux ans, nous avons enterré mon père. Il nest plus, et je me suis dit que, au lieu de marcher, jaurais préféré passer du temps avec lui, parler, rester en silence ensemble. Mais cette chance nest plus.»
«Cest la vie,» sourit Amandine. «On ne vit pas éternellement, on ne sait jamais combien de temps on a.»
«Daccord,» acquiesce Vincent. «Nos parents ne sont pas éternels, nous non plus. Notre fils Kévin grandira, fondera sa propre famille, et il naura plus de temps pour nous.»
«Alors, au lieu de payer la prime dAntoine, je devrais jouer au ballon avec Kévin au parc!», lanceil, convaincu. «Cest plus important.»
«Oui,», murmure Amandine, pensive.
«Nous gaspillons notre temps sur des choses futiles, alors que nous devrions nous concentrer sur ce qui compte vraiment: la famille, les parents, les enfants.»
Amandine garde le silence. Vincent continue: «Plutôt que lanniversaire de Guillaume, jaurais préféré regarder un film avec toi, préparer le dîner, parler de choses agréables, jouer à la loterie avec Kévin.»
Amandine ne se rend pas à lanniversaire de Guillaume. Elle le félicite seulement au téléphone, puis passe la soirée avec Vincent. Le lendemain, ils rendent visite dabord à la mère de Vincent, puis, après le déjeuner, aux parents dAmandine. Ce moment partagé vaut plus que nimporte quel rassemblement damis.
«Cest dommage de perdre du temps dans des futilités quand les choses essentielles manquent de temps!» conclut Vincent, tandis que le vent léger fait frémir les rideaux de leur salon.







