Bon, si cest comme ça, je vais chez ma mère! lança Jacques.
Et toi, reste ici toute seule!
Églantine se retrouva, comme un vase cassé, sans amoureux, sans travail et sans projets. Et la SaintSilvestre qui sannonçait
Tous les nerfs, ma fille! sexclama sa mère en entendant les dernières nouvelles fracassantes. Cest bien lui le coupable, ton petit garnement: il ta tout fait tourner! Tu crois que cest à cause de qui?
Alors? sourit Martin. Commence à faire la paix je tattends!
Dans la vie dÉglantine Durand il ny avait que deux malheurs: non, pas des dragons ni des routes. Bien que le premier fût parfois sujet à débat.
Les deux malheurs étaient son mari adoré et sa «chère» patronne. Comme souvent, les choses tournaient à lenvers pour les autres aussi.
Ils nétaient pas un couple qui se trompait! Aucun na trahi lautre! Ils empoisonnaient simplement le quotidien dÉglantine chacun leur tour.
Jacques était intelligent, fin, brillant interlocuteur, et débordait de romantisme. Mais tout cela nétait que des paroles.
Quand il sagissait de «travailler un peu», il se révélait malade, fatigué, débordé, voire même affamé! Et Martin aimait bien manger de bons plats.
Bref, tout cela se déroulait comme dans un conte français bien connu:
«Bulle, va manger ta soupe!»
«Où est ma grande cuillère?»
Avant le mariage, quand les rendezvous étaient brefs, tout le monde était satisfait: dîner léger avec une pizza commandée, intimité de qualité, conversation pétillante avec des blagues à toute berzingue le combo parfait pour le futur !
Églantine, folle amoureuse, ne vit pas que son fiancé était en quête permanente de soi et demploi:
«Je le trouverai je te le dirai! Tu seras la première à le savoir!» plaisantait le brillant homme.
Et ils riaient aux éclats, pensant que cétait «super drôle!»
Le talent desprit de Martin était tel quil lappela affectueusement «Petit Elfe» et «Elfette». Elle le surnomma «Martineau» en retour.
Pas du tout une «singe», mais le «K» contenait une petite farce : un poisson, une petite blague Les singes, on les connaît tous, non?
«Martineau» sonnait plus lourd, plus sérieux, sans être offensant; Églantine ne voulait pas blesser son chéri.
Le mariage sonna et Martin emménagea chez Églantine: le trentenaire joyeux navait pas encore de chezlui
Les blagues daujourdhui ne paient pas le loyer! conclut la mère dÉglantine, qui naimait guère son gendre.
Mais qui larrêta? Ce nest pas Molière ni le Boudin qui le fait!
Le premier quiproquo survint lorsquil fallut payer le loyer. La femme navait pas dargent et fit ce que toute bonne épouse ferait : demander à son mari.
À propos, il savéra que Martineau était toujours à la maison! Oui, il cherchait: un emploi et lui-même!
Et le mieux, cétait depuis le canapé: cest plus confortable pour réfléchir, non?
«Et si demain on vous appelait à la guerre, vous seriez encore épuisé?»
Paye avec tes sous! proposa le «ciel bleu» Martin.
Les miens sont épuisés: aujourdhui jai tout dépensé en courses! répliqua la jeune femme, qui navait pas imaginé la vie de couple ainsi.
Alors prends ce qui a été offert, je reconstituerai plus tard!
Quand? demanda la femme.
Quand? Eh bien, quand la soupe sera prête pour le chat! plaisanta le mari, qui se mit à rire de sa propre blague.
On leur offrit à la noce deux cents mille euros: un bel argent, mais leurs parents cessèrent daider après le mariage: «Que ton mari te nourrisse!»
Jacques, qui jusquelà vivait aux frais de ses parents, se retrouva privé de tout soutien: «Tu es parti? Partis!»
Le salaire dÉglantine sépuisait rapidement. Elle se tourna alors sur ses économies, puis encore plus. Pas étonnant que les réserves destinées au «jour noir» fondent comme un flocon de neige.
Quand elle fouilla le coffre tant attendu, il était vide. Daprès ses calculs, il devrait encore contenir quelque chose.
Le coffre, pourtant, était dune pureté désolante: Martineau avait pris les «restes» pour de nouveaux écouteurs!
Jacques ne comprenait pas pourquoi on ne pouvait pas simplement les garder: les vieux ne fonctionnaient plus! plaisanta le brillant mari.
Et toi, que ferastu, Renaud? sécria Églantine.
Quoi? Inventez quelque chose! Tu es ma petite génie!
Elle eut une idée, mais la gonfla et se tut: cétait trop loin de la bienséance. Le lendemain, elle emprunta à sa mère «jusquau prochain salaire».
Et cela larrêtatil? Pas du tout! Il ne se lança pas à la recherche dun travail tout de suite.
Il plaisanta comme dhabitude: «Je ne supporte pas lindifférence, surtout dÉléonore!»
Et il se rua à la réconciliation: «Ça suffit de souffler, ma petite elfette! Tu mas manqué»
Ils se réconcilièrent, elle aussi, le cœur encore jeune. Mais un arrièregoût subsistait.
Emprunter à la mère «jusquau salaire» devint une habitude qui naidait pas le moral.
Un jour, la bellemaman perdit patience:
Alors, Martin, tu as au moins gagné un sou? Ou tu continues à vivre aux frais dÉglantine?
Martin resta muet: il ne savait quoi répondre, la vérité était dure à avaler.
Il vaut mieux faire comme si on navait rien entendu
Le second malheur dÉglantine était sa patronne, surnommée «la boss», ou «Marta», comme lappelaient les subordonnés. Églantine travaillait comme analyste économique.
Marta savéra être une étrange créature: une vieille tante solitaire, détestant tout le monde simplement parce quils étaient nés sans son ordre.
Elle haïssait hommes et femmes: trois mariages ratés, toujours trompés. À cinquante ans, elle dirigeait son service, sans enfants, sans amoureux, avec deux chats et un tango deux fois par semaine.
Les ordres de licenciement pleuvaient à droite et à gauche.
Quand lemployé Pierre, qui venait de découvrir un cours de tango, fit une blague maladroite sur le fait que la patronne devrait plutôt guider un chapiteau, tout se décida en «six secondes», comme on disait au service.
«Vous ne travaillez plus ici!» lança la boss, sans émotion.
Et cétait fini! Suppler de prières ou de justifications nauraient rien changé: «Cétait juste une blague, vous avez entendu les rires?»
Églantine tremblait devant Marta, comme beaucoup dautres. Mais tant quelle était sous la protection de la providence, elle survécut.
La veille, une nouvelle dispute éclata avec son mari, de plus en plus fréquente. Cette fois, la petite étincelle devint un tas de griefs accumulés. Pour la première fois, il évoqua le divorce
Le lendemain, Églantine arriva au travail avec un seul but: rédiger un SMS à son complice.
Elle décida de lappeler non plus «Martineau», mais «Martineau», pour le blesser davantage.
Tout était prêt, elle rédigea: «Ne pense pas, petite martineau, que je suis effrayée par tes mots! Jirai moimême tu vas mâcher tes coudes! Arrête de te la jouer crocodile, sinon je te livre au zoo: ils attendent déjà leurs nouveaux résidents!»
Elle signa non pas «elfette», mais officiellement «Durand», pour que tout le monde sache quelle était sérieuse.
Églantine sourit, satisfaite: le message était à la fois drôle, comme le voulait son mari, et avait exprimé tout ce quelle voulait dire, sans rancune.
Le Nouvel An approchait: «Comment le rencontrestu, tu le passes?» Elle se demandait si le divorce était inévitable: ils navaient même pas encore passé une année ensemble!
Soudain, la patronne entra en trombe:
«Amusezvous, Durand! Le rapport annuel manque de chiffres! Corrigezle rapidement ou vous serez virée!»
Marta, satisfaite de son petit remontant dadrénaline, sortit en riant: «Le monstre a fait son travail!»
Églantine resta figée: en présence dune «boss», on se levait toujours la mauvaise passe sépaississait.
Elle parcourut le rapport, dénicha lerreur et envoya un SMS à la patronne, préférant ne pas la voir en personne: «Je corrige tout avant le déjeuner.»
En même temps, elle envoya un texte à son mari.
Trois minutes plus tard, Marta lappela:
«Qui est le petit singe parmi nous?» demandatelle sans sourire, fixant son téléphone. «Vous me livrez au zoo, Durand?Ha!»
Le cœur dÉglantine se serra, sa poitrine se serra comme si elle avait avalé une pierre. Elle avait confondu les SMS
Et la patronne, par malchance, sappelait Marta le surnom de «singe» lui convenait parfaitement
Quelque chose de ce genre avait déjà été raconté ou filmé: une histoire humoristique, un film comique. Mais aucune des deux ne riait à ce momentlà.
Églantine resta immobile, le regard vers le sol: expliquer quoi que ce soit était vain! Tout semblait trop surréaliste pour être vrai: «Ne pense pas que je suis effrayée, je pars, je te livre au zoo!»
La patronne croyait que ses employés étaient devenus insolents! «Écrire une telle chose? Cest hors de tout cadre!»
Elle déclara: «Alors, vous vouliez partir? Votre rêve se réalise: vous ne travaillez plus ici!» (elle aurait aimé les envoyer dans les toilettes).
«Le calcul arrive aujourdhui: vous navez plus à travailler! Dailleurs, profitez dune petite visite au zoo!»
Puis, après un moment de silence, elle ajouta: «Vos propres chats reviennent sûrement!»
En gros, la «boss» lemporta! Il aurait fallu être plus minutieuse, Durand, toucher du doigt chaque détail
Églantine sortit du bureau, se prépara: cela lui prit une bonne heure et demie.
Enfin, avec largent reçu, elle paya rapidement! Et avec son cactus, elle rentra chez elle
Bon, commence à réconcilier! sourit le mari, apparu dans le hall. Le moment est venu: tu avais promis de régler ça pour le déjeuner!
Martin, ayant reçu le SMS destiné à la patronne, comprit que lamour était revenu et quelle venait en paix! Et surtout, il était à lheure!
Tu mapportes un cactus au lieu de fleurs? continua lhomme joyeux. Et cest normal: les hommes nont pas besoin de roses! Jattends!
Ton «comportement» est là où je lai mis! cria soudain Églantine, les nerfs à vif. Il attend, vous voyez! Tu sais où je vais mettre ce cactus? Parce que je viens dêtre licenciée à cause de toi!
En fait, cétait la bonne réponse! Si elles ne sétaient pas disputées hier, elle naurait pas dû envoyer ce SMS. Et il naurait rien eu à renvoyer.
Ce quiproquo naurait même pas eu lieu: la chaîne logique était bien construite.
Pourquoi cest à cause de moi? demanda vraiment Martineau, étonné. Encore une erreur?
«Ce nest pas tes oignons!» sécria Éléonore.
Mais je ne comprends pas! sétonna lhomme, ignorant ses menaces de licenciement: «Ce sont de petites choses, on survivra!» «Alors, tu ne veux pas te réconcilier?»
Bon, si cest comme ça, je vais chez ma mère! sécria Jacques. Et toi, reste là toute seule!
Églantine se retrouva, comme un seau percé, sans amoureux, sans travail, sans perspectives. Et la SaintSilvestre qui sannonçait
Tous les nerfs, ma fille! conclut la mère, entendant les nouvelles fracassantes. Tout est de sa faute, ton petit garnement: il ta tout emporté! Tu penses que cest à cause de qui?
Pourquoi taccrocher à lui? Il est comme une bulle de savon: il brille, mais à lintérieur il ny a rien!
Choisis bien tes prétendants, chère! Et ne fais pas rentrer nimporte qui à la maison!
Allez, ne pleure pas: personne nest mort. Reposetoi un peu, on te nourrira à deux!
Sa mère linvita à passer le Nouvel An chez elle: son amie promettait de venir avec son fils charmant et célibataire
La grandmère se joignit à la mère:
Un petit échec, laissezle faire du bruit ailleurs! Il se croit malin à voler du vinaigre gratuit, il a dévoré toute la maison!
Et, comme la mère, elle ajouta: «Choisis mieux tes prétendants, ma petite!»
Églantine et Martin finirent par divorcer: ils ne se comprenaient plus, deux êtres misérables et cruels lun envers lautre!
Comme le disait le vieux comique, il aurait fallu faire les choses plus minutieusement.
Souviensten, Durand! Et surtout, fais attention aux SMS: tu verras bien ce que cela peut engendrer







