Cercle de soutien : Ensemble dans l’entraide et la solidarité

Cercle de soutien

Quand je repense à mes premiers mois avec mon nouveau-né, je ne retrouve pas seulement lodeur du lait et les tétées nocturnes, mais aussi ce sentiment sourd de solitude. Tout le monde autour de moi vante la merveille dêtre mère, la façon dont les enfants transforment la vie, mais personne ne parle de la peur dêtre seule avec un bébé qui pleure, la tête non lavée, au troisième jour.

Mon mari, Thomas Martin, travaille en équipes et rentre tard. Ma mère habite à Lille, elle vient une semaine puis repart. Mes amies qui nont pas encore denfants viennent deux fois avec des cadeaux, puis me disent quelles « ne veulent pas déranger » et « me laissent mhabituer ». Je hoche la tête, souris au téléphone, et je reste ensuite dans la cuisine en vieux tshirt, à écouter mon fils gazouiller et à me demander si quelque chose ne va pas en moi, parce que je ne ressens pas un bonheur continu.

Ce qui est le plus dur nest pas le manque de sommeil, cest la honte de se plaindre. On a limpression que dire que lon est fatiguée, cest perdre le mérite dêtre une bonne mère. Je me tais. La nuit, je feuillette des forums sur mon smartphone, je lis les récits dautres mamans, et le simple fait de savoir quil existe des femmes qui, elles aussi, ne mangent pas à heures fixes et pleurent en silence, me soulage.

Les années passent. Mon fils, Hugo, grandit, il entre à la crèche. Je reprends un travail à mitemps, je revois des gens, je ne parle plus que de couches et de purées. Mais ce sentiment, celui dêtre seule dans la cuisine à faire semblant de tenir le coup, reste comme une écharde sous la peau. Quand, dans le groupe de voisinage du quartier, quelquun annonce que la Maison des Associations cherche des textes pour le concours de la Fête des Mères, je ne pense pas dabord à mon enfant, mais à combien nous parlons peu dentraide.

Je tourne en boucle cette idée pendant deux jours. Le soir, après avoir couché Hugo et débarrassé la table, jouvre mon ordinateur portable. Au lieu dun texte pour le concours, jécris un long message dans le chat du quartier.

« Bonsoir les mamans du quartier, je propose de créer un petit cercle dentraide. Quand mon fils était tout petit, le soutien me manquait. Si on se réunissait, partageait nos expériences, sentraidait avec les enfants ou les courses, ce serait formidable. »

Je relis, jajoute que je peux garder un enfant deux heures si quelquun doit aller à la maison de santé ou à un entretien, puis jappuie sur « envoyer ». Mon cœur bat plus fort, comme si je confiais un secret intime.

Le chat reste muet quelques minutes. Je commence à douter, quand soudain une participante écrit : « Je soutiens, jy pensais depuis longtemps mais je nosais pas proposer. » Une autre répond : « Jai vraiment besoin, jai deux enfants, mon mari fait des gardes, je nai même personne pour garder les courses. »

À la fin de la soirée, une dizaine de personnes ont mis un « + » ou se sont déclarées intéressées. Nous convenons de nous retrouver samedi dans la salle de la Maison des Associations. Jappelle, jexplique que nous aurons besoin de deux heures de salle, la responsable me confirme quil y a de la place, à condition dapporter des chaussons dintérieur et de surveiller nos enfants nousmêmes.

Le samedi est gris, la neige fine tombe. Jarrive un peu en avance, jaide la responsable à mettre les chaises le long du mur, je vérifie que le thermos ne fuit pas. Je prépare du thé simple et des sablés pour atténuer le malaise du premier rendezvous.

Les premières à arriver sont une jeune maman avec une poussette, son petit garçon de trois ans fonçant directement vers le toboggan. Elle se présente comme Claire Dubois, enlève son foulard, regarde autour delle comme pour sassurer quelle est au bon endroit. Peu après, une autre femme arrive, sa fille serre un lapin en peluche. Puis viennent Marie Leclerc et ses deux garçons qui se disputent pour être le premier sur le trampoline.

Nous nous installons, certains sur les chaises, dautres sur le tapis. Dabord, les échanges restent polis : où acheter des bottes dhiver, quels dessins animés sont les moins bruyants. Je sens une légère tension, comme si chacune attendait que lune delles se plaigne et crée le malaise.

« Je vais peutêtre commencer, » disje quand la conversation retombe sur les prix. « Jai lancé tout ça parce quà lépoque javais très peur davouer que cétait difficile. Je pensais que dire que je suis fatiguée me ferait juger. Puis, en lisant les histoires dautres mamans la nuit, jai compris quon vit toutes la même chose, mais quon se tait. »

Je raconte brièvement mes débuts avec Hugo, sans dramatiser, en évoquant la peur de le laisser cinq minutes seul, le silence de la journée, le fait de ne pas dire un mot à un adulte. Claire hoche la tête, une autre maman, Catherine, regarde son bas et joue avec le col de son pull.

« Chez moi, cest pareil, » lance soudain Catherine. « Mon petit a huit mois, laîné a quatre ans, mon mari travaille sur un chantier et rentre tard. Parfois, je reste dans la cuisine et je crains que ma voix se brise si je parle. »

Ces mots font éclater la barrière. Une à une, les femmes se ouvrent. Lune parle de la peur que son enfant tombe malade, une autre du jugement de la bellemère qui dit quon « reste à la maison sans rien faire ». Une maman avoue redouter de retourner au travail, ne sachant pas comment son fils sadaptera à la crèche, et une autre confesse la honte dobtenir de laide de sa bellemère.

Nous parlons pendant près de deux heures. Les enfants jouent, viennent chercher de lattention, certains sont nourris dans un biberon, dautres changent la couche derrière un paravent. À un moment, je remarque que la pièce se réchauffe, non à cause du chauffage, mais parce que nous nous avouons nos faiblesses.

À la fin, nous décidons de créer un groupe de discussion dédié, où poser des questions sans gêne. Je propose le nom « Les Mères Solidaires », jajoute les participants, et dès le soir même, les premiers messages apparaissent :

« Demain jai le petit chez le neurologue, qui pourra le ramener de la crèche ? » écrit une maman.

« Jhabite à côté, je peux le récupérer, » répond une autre.

« Des expériences avec lallergie au lait ? » demande Claire.

« Nous avons traversé cela, je partage ce qui a fonctionné et le contact du pédiatre, » répondsje.

Lidée abstraite d« sentraider » devient concrète. Nous dressons un tableau des disponibilités : qui peut garder les enfants quelques heures, qui peut aller chercher à la crèche, qui peut aider à préparer le dîner. Ce nest pas une garde toute la journée, mais simplement un trajet ou une heure pendant que lautre va à la maison de santé.

Il se révèle quune voisine, Madame Lefèvre, a un diplôme dÉducation et accepte danimer chaque semaine des ateliers gratuits de chansons et de jeux de doigts pour les toutpetits. Une autre mère, Olivia Girard, experte en démarches administratives, aide plusieurs dentre nous à obtenir des aides auxquelles elles ne savaient pas avoir droit.

Lhistoire la plus marquante pour moi est celle dOlivier. Il arrive à la troisième rencontre, timide, la main tremblante, un bébé dun mois dans les bras. « Jhabite à létage du dessus, » ditil, embarrassé, « jai vu lannonce sur la porte. Puisjepeutje entrer ? » Nous répondons dun oui chaleureux. Olivier sassied, caresse son fils, puis murmure :

« Mon mari travaille loin, il reviendra dans six mois. Ma mère est à la campagne, elle ne peut pas maider. Je suis seule, parfois je pense que je ny arriverai pas. » Sa voix est faible, mais chargée dune fatigue qui me serre le cœur. Il a accouché récemment, cest un césarien, les points le font encore mal. Il porte les courses seul, le bébé dort mal la nuit, il nose même plus sortir les poubelles de peur de tomber dans les escaliers.

Le lendemain, une de nous passe chez Olivier avec une soupe et des boulettes maison. Une autre propose de venir le soir deux fois par semaine pour quil puisse prendre une douche et se reposer un moment. Nous nous relayons pour lui apporter des provisions afin quil nait plus à porter de lourds sacs.

Quelques semaines plus tard, Olivier sourit davantage lors de nos rencontres. Il raconte que son petit dort mieux et quil a pu se rendre à la maison de santé sans panique, rassuré de savoir que le groupe lattend si besoin.

Une autre histoire concerne une maman comptable, Sophie Bernard, qui redoute de « tomber » du métier après son congé maternité. Nous laidons à rédiger son CV, nous gardons sa fille pendant ses entretiens, et lorsquelle obtient enfin un poste, nous fêtons cela avec une tarte aux pommes et du thé.

Petit à petit, notre petit projet dépasse le simple samedi. La Maison des Associations nous accorde un créneau régulier pour des ateliers. Une maman obtient laccord de la bibliothèque pour organiser une lecture mensuelle. Nous échangeons des vêtements denfant pour ne pas racheter chaque saison les combinaisons que les toutpetits transforment en pièces usées.

Un jour, la directrice de la crèche du quartier, Madame Durand, nous contacte après avoir entendu parler de nos rencontres. Elle propose une réunion dinformation pour les parents, non pas comme un cours magistral, mais comme un dialogue sur la façon dont la crèche peut soutenir les familles et comment les familles peuvent sentraider.

Jaccepte de parler. Cest la chose la plus intimidante que jaie jamais faite : je ne suis ni pédagogue, ni psychologue, juste une maman qui se souvient de la solitude. Le soir avant la réunion, je me tiens dans le couloir de la crèche, le bruit des enfants et des cubes résonne. Mon papier griffonné tremble. Je respire profondément, jentre dans la salle où les parents et les éducateurs attendent.

Je débute en racontant comment le cercle de soutien est né dun simple message dans le chat. Nous étions cinq, puis dix, puis de nouvelles mamans nous rejoignaient. Jévoque sans noms les histoires dOlivier, de Sophie, des allersretours chez le médecin, des démarches administratives. Jinsiste sur le fait que demander de laide fait peur, que lon craint dêtre jugée, et que parfois un simple « moi aussi » suffit à alléger le fardeau.

Je propose de créer, à la crèche, un minigroupe dentraide où les parents peuvent séchanger leurs contacts, définir qui peut couvrir qui, partager des spécialistes de confiance, organiser des balades collectives. Sans contrainte, simplement à la demande.

Après mon discours, le silence sinstalle. Je mattends à des critiques, mais la première main se lève : une femme en tailleur, mère dun petit de moyenne section, avoue avoir traversé une dépression postpartum sans jamais en parler. « Si javais eu ce réseau, cela aurait été plus facile, » ditelle. « Je soutiens votre idée. »

Un père intervient ensuite, proposant de créer un questionnaire simple où chacun indique ses disponibilités et ses compétences. Léducatrice ajoute que la crèche pourrait mettre à disposition la salle une fois par mois.

Je sens quelque chose se fissurer en moi, comme si le cercle de solitude où je me tenais autrefois dans la cuisine avec mon bébé qui pleure se désagrège. À sa place apparaît un nouveau cercle, celui de personnes prêtes à se tenir la main.

Après la réunion, les parents sapprochent, posent des questions, laissent leurs numéros. Une mère confie quelle craint la faible affluence des premières rencontres. Je souris et réponds que même deux personnes, cest déjà un départ.

Un mois plus tard, le groupe autour de la crèche fonctionne réellement. Nous aidons à organiser, partageons nos expériences. De nouvelles mamans apportent leurs inquiétudes, leurs petites victoires. Je vois lidée née de ma solitude grandir et dépasser notre immeuble, notre quartier, même notre ville.

Cette même année, jécris finalement un texte pour le concours de la Fête des Mères. Je ne parle pas des mères idéales qui réussissent tout, mais de celles qui parfois narrivent pas à tout faire, mais qui nhésitent pas à tendre la main à une autre. Jévoque le moment où nous sirotons du thé dans des gobelets en plastique, les rires des enfants, les confidences qui brisent le silence.

Mon texte obtient la deuxième place. On me remet un certificat et un petit livre sur léducation. Le vrai cadeau, cest ce réseau de dizaines de familles qui savent désormais quen cas de besoin, il y a quelquun à qui téléphoner.

Aujourdhui, Hugo prépare son sac pour lécole, nos rencontres continuent. Le format évolue. On accueille non seulement les mamans de toutpetits, mais aussi les parents dadolescents et même les grandsparents. On parle de devoirs, de relations avec les professeurs, des révoltes des ados. Certains apportent un gâteau, dautres des fiches dinformation, dautres simplement leur fatigue et le désir de sasseoir près de ceux qui comprennent.

Parfois, des gens dautres arrondissements me contactent pour savoir comment nous avons organisé tout cela. Je réponds toujours la même chose : tout a commencé par une confession honnête, le fait davouer quon est seul. Un petit pas le message dans le chat. Un autre la première rencontre. Puis le tableau des créneaux. Puis la parole à la crèche.

Je ne me considère pas comme une héroïne. Un jour, jai simplement cessé de faire semblant et jai demandé de laide. Et il sest avéré que beaucoup attendaient que quelquun dise dabord : « Jai besoin dun coup de main. Et toi ? »

Je pense parfois à lavenir, à transformer notre cercle en une association officielle, pour faciliter les partenariats avec les institutions, réserver des salles, organiser des ateliers. Nous avons déjà envisagé des rencontres ouvertes dans les bibliothèques pour ceux qui nhabitent pas à proximité mais qui ont besoin de parler.

Même si cela ne devient jamais une grande structure, je sais que lessentiel a déjà eu lieu. Dans notre ville, il y a un peu moins de mères qui restent seules dans leur cuisine en pensant quelles sont les seules. Elles ont maintenant un chat où elles peuvent écrire à 3h du matin et recevoir une réponse au matin. Une voisine peut récupérer un enfant à la crèche. Une amie a déjà traversé la même épreuve et partage son expérience.

Lorsque je conclus ce récit, la porte souvre bruyamment. Mon fils revient dune promenade avec son père, enlève ses bottes, raconte avec excitation le bonhomme de neige dans la cour. Je le rejoins, prends son bonnet, écoute son discours hâtif et réfléchis à tout ce qui dépend de notre capacité à faire le premier pas vers lautre.

Si vous vous reconnaissez dans ces lignes, sachez que vous nêtes pas seule. Peutêtre, dès maintenant, dans votre maison, votre immeuble, votre crèche ou votre école, il y a dautres parents qui ressentent la même chose. Écrivezleur, proposez de prendre un thé, de discuter de vos enfants, de ce qui vous réjouit ou vous inquiète. Dressez une petite liste de qui peut aider avec quoi. Que cela soit trois personnes et une soirée par mois.

Parfois, il suffit dune phrase sincère et dun pas pour que la vie de nombreuses familles change. Le reste viendra, petit à petit, avec ceux qui répondront un jour : « Je suis avec toi. Essayons ensemble. »

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