Élodie était rentrée dans son village natal après les études. Dès quelle franchit le pas de la porte, on frappa. Au seuil se tenait la sœur de son père, Sophie.
Victorine et Élodie avaient été camarades de classe et, on disait, même liées par le sang: le père de Victorine aurait été le frère troisième cousin de la mère dÉlodie, un lien très éloigné, presque imaginaire.
Malgré le fait que leurs familles partageassent le même hameau, les deux jeunes filles nétaient pas amies.
Après le bac, toutes deux sinscrivirent à luniversité de Limoges. Les parents étaient fiers: Victorine devait devenir avocate, Élodie économiste. Nayant aucune connaissance dans la ville, Élodie prévoyait de loger en résidence universitaire. Mais à la fin du mois daoût, les parents de Victorine proposèrent de partager un petit appartement dune pièce.
«Nous avons trouvé un logement proche de la fac, meublé, avec réfrigérateur et lavelinge. Nous apporterons le reste nousmêmes», déclara la mère de Victorine. «Cest bien mieux que la résidence.»
Les parents dÉlodie acceptèrent, tout comme leurs filles. Elles ne partageaient pas de lit, alors lappartement restait toujours propre: chacune faisait le ménage et la cuisine à tour de rôle, sans jamais se quereller.
Chaque mois, les parents venaient à Limoges avec des légumes et dautres provisions. Ainsi sécoula la première année. Les deux étudiantes obtinrent des mentions très bien aux examens et reçurent une bourse majorée.
À la rentrée, Victorine tomba amoureuse. Son petit ami, Michel, était étudiant en droit, en quatrième année, et vivait encore en résidence. Lété sécoula entre balades dans le parc et discussions sous les feuillages dor. En novembre, le froid sinstalla, et Victorine et Michel passèrent de plus en plus de soirées dans lappartement que leurs parents louaient.
Élodie nappréciait pas du tout la situation.
«Élodie, sil te plaît, restons tranquilles et ne dis rien aux parents», supplia Victorine.
Élodie ne prévoyait pas de trahir, mais elle demanda à Victorine que Michel parte avant onze heures, car elle allait se coucher. Victorine respecta laccord, sauf une fois où, après avoir raccompagné Michel et attendu quÉlodie sendorme, elle le laissa de nouveau entrer. Le matin, Élodie découvrit Victorine et Michel endormis sur le canapé.
Cette scène provoqua une violente dispute.
«Mes parents ne paient pas pour que je partage ma chambre avec un inconnu. Sil continue à dormir ici, je retournerai à la résidence», déclara Élodie.
«Élodie, tu nas jamais aimé, tu ne comprends pas notre désir dêtre ensemble constamment!», répliqua Victorine. «Alors demande à la famille de Michel de prendre la moitié du loyer et vivez tous les trois sous le même toit», proposa Élodie.
Victorine rétorqua que la mère de Michel était déjà à court dargent. Élodie insista : «Je veux vivre sereinement dans mon espace, la présence constante de ton petit ami me met mal à laise.»
Victorine soutint que des étudiantes du même groupe venaient parfois deux fois par semaine, mais jamais du vendredi soir au dimanche soir entier. Élodie réaffirma quelle préparerait ses repas séparément, sans financer Michel.
Elles convinrent finalement que Michel viendrait chez elles deux fois par semaine et ne passerait la nuit que le samedidimanche, sachant quÉlodie rentrait chez elle le dimanche soir.
En décembre, Élodie passa ses partiels et rentra chez elle avec ses manuels pour préparer les examens. Victorine resta à Limoges, prétextant des emplois du temps de partiels contraignants. Sa mère, en faisant les courses, croisa Élodie et lui demanda pourquoi elle était rentrée pendant les fêtes alors que Victorine nétait pas venue.
«Nous sommes dans des filières différentes», répondit Élodie. «Le droit est plus chargé que léconomie, les partiels sont plus nombreux.»
Élodie voulait protester, mais elle se souvint de la promesse faite à Victorine et resta muette. «Pourquoi mimmiscer dans la vie dautrui?», pensa-t-elle.
De retour à Limoges, elle découvrit que le canapé de Victorine avait été déplacé contre le mur le plus éloigné, séparé du reste de la pièce par une grande armoire. Son lit était plus près de la fenêtre. Deux zones distinctes sétaient créées: la petite zone de Victorine et la plus grande où se trouvaient les autres meubles.
«Astu demandé la permission avant de faire ces changements?», interrogea Élodie.
«La propriétaire ne sy oppose pas, tant que tout est remis en place après», répondit Victorine.
Élodie comprit que Michel allait désormais rester plus souvent, malgré les accords. Elle pouvait alerter les parents, mais cela déclencherait une grosse dispute: Victorine serait interdite dy amener son petit ami, et Élodie devrait vivre avec des tensions jusquà la fin de lannée. Elle ne pouvait pas encore déménager en résidence, le place ne serait disponible quà la prochaine rentrée.
Elle décida dattendre lété, rappelant périodiquement à Victorine que Michel ne devait pas séjourner chez elles. En mars, Victorine annonça à Élodie quelle et Michel allaient se marier et quelle était enceinte.
«Allezvous enfin dire la vérité aux parents?», demanda Élodie.
«Pas encore. Nous irons dabord chez sa mère, fixerons la date du mariage, puis nous informerons les miens», répliqua Victorine.
«Comment vastu continuer tes études si tu dois accoucher cet automne?», senquit Élodie.
Victorine hésita, évoquant laide éventuelle de sa mère ou une bourse détudes. Elle projeta de sinstaller à Paris une fois son diplôme en poche, car «les perspectives y sont plus nombreuses quici, en province où tout stagne».
En mai, Michel rentra seul: «Ma mère est malade, je dois la préparer, puis nous viendrons tous les deux», expliquatil. Deux semaines passèrent sans nouvelles, puis il rappela brièvement, affirmant que les soins à domicile loccupaient.
Le vingtmai, Michel revint: «Je ne suis plus prêt à me marier, ma mère a besoin de moi, je veux finir mes études rapidement.» Victorine, désemparée, déclara quelle passerait aussi ses examens et quils se parleraient plus tard.
Après les partiels dété, alors quÉlodie sapprêtait à repartir chez elle, Michel surgit dans lappartement.
«Élodie, pourriezvous nous laisser un moment?», demandatil.
Victorine, en larmes, expliqua que la mère de Michel sopposait au mariage, à lenfant, et que la santé de sa mère était prioritaire. Elle devait rompre. «Même si je réclame une pension, je ne recevrai rien, il partira à Paris en master et ne travaillera pas, il cherchera à sen sortir sans payer», déclaratelle.
«Quel homme!», sécria Élodie. «Essuye tes larmes, allonsnous en.»
Élodie aida Victorine à se préparer, elles prirent un taxi et prirent le bus. À la gare, les parents les attendaient. Élodie arriva avec son père, sa mère et sa petite sœur, tandis que la mère de Victorine, Nathalie, surgit furieuse.
«Comment avezvous pu laisser cela arriver?Nous vous avons mis sous le même toit pour éviter les problèmes!», vocifératelle.
Le père dÉlodie protesta: «Pourquoi blâmezvous ma fille?Quel est le reproche?»
Nathalie riposta: «Interrogez votre fille!» et séloigna en hurlant.
«Questce qui sest passé?», demandèrent les parents.
Élodie raconta tout, la mère, étonnée, répliqua: «Victorine est majeure, elle sait ce quelle fait. Pourquoi devraisje répondre de ses actes?»
Le père demanda: «Estce vraiment la faute dÉlodie?Nathalie le pense?»
Élodie admit quelle aurait pu dire la vérité aux parents, mais Victorine lavait suppliée de garder le silence.
«Quelles solutions atelle maintenant?», interrogea la mère.
«Elle na plus doption. Je ne sais pas comment elle va poursuivre ses études.»
Victorine ne reprit jamais ses études. En novembre, elle donna naissance à une petite fille, prit un congé maternité, puis, un an plus tard, son père décéda. Elle dut mettre lenfant en crèche, travailler comme caissière dans un supermarché, faute de formation. Sa mère cessa tout contact avec la famille dÉlodie, la dévisageant avec mépris lorsquelle la croisait dans la rue.
Élodie termina brillamment luniversité, épousa un camarade de promotion et sinstalla dans la même ville que ses parents, mais continua de rendre visite régulièrement à sa famille.
Cette histoire montre que le silence et le manque de communication peuvent engendrer des malentendus qui détruisent des vies. La véritable sagesse réside dans la transparence et le dialogue, même lorsque cela semble difficile.







