Nous recevions parfois les bellesparents, et je leur faisais comprendre subtilement quils pourraient récupérer leur fille et les enfants, mais ils faisaient de grands gestes de refus. Jai entendu les portes se fermer derrière la bellefille, mais je ny ai pas prêté attention ; elle aimait se promener seule, sans les petits. Avec mon époux, nous avions pris lhabitude de nourrir nos petitsenfants, de jouer avec eux et même de les coucher, car les jeunes étaient souvent occupés ou au repos.
Lorsque, une nuit, elle ne revint pas, jai commencé à minquiéter.
Mon fils, où est Clémence? Je narrive pas à la joindre!
Maman, tout va bien, elle est partie se reposer.
Il se fait tard, elle devrait déjà être rentrée.
Maman, elle est allée à la montagne avec des amies.
Mon fils restait calme, mais mon cerveau tournait en boucle. Comment pouvaitelle ne pas me dire la moindre chose? Quelle étrange attitude?
Puis une autre prise de conscience me rongea.
Quand mon fils sest marié avec Clémence, ils étaient jeunes, à peine vingt ans. Henri a emménagé chez la petite Clémence, car ils étaient tous deux célibataires, mais elle voulait tout de même quil laccompagne chez elle. Je ny voyais aucun problème.
Ils eurent dabord un bébé, puis un deuxième.
Cest alors que tout commença. Mon fils nous amenait les petitsenfants en portebébé, faisait ses courses, et le soir, Clémence venait, mon fils aussi, on dînait tous ensemble, puis on repartait chez elle. Pour moi, jouer avec les petitsenfants était une joie, car ils ne venaient pas souvent ; Clémence habitait à lautre bout du hameau, impossible dy aller à pied.
Quand ils arrivaient, cétait la joie pure. Peu à peu, les visites devinrent plus fréquentes, puis ils restèrent pour la nuit quand il pleuvait ou neigait. Mon mari et moi nétions que ravis.
Je faisais tout ce que je pouvais pour que les enfants mangent, je les promenais afin que les jeunes puissent dormir laprèsmidi, je les aidais à se laver, à faire la lessive. Un jour, les enfants annoncèrent quils allaient emménager chez nous. Jai senti le goût de la victoire: meilleure grandmère, meilleure mère, ils mappréciaient enfin.
Mon mari travaillait souvent en ÎledeFrance, parfois à létranger, mais gagnait bien. Moi, je moccupais du foyer. Rien ne me posait problème, je cuisinais, je nettoyais, je gérais même la petite ferme de nos voisins.
Cependant, avec lâge, je commençais à me lasser: les enfants ne mangeaient pas les mêmes plats, il fallait préparer chaque portion séparément, et Clémence était souvent occupée, laissant les enfants à ma charge.
Comment la réprimander? Ce nétait pas ma fille. Jai donc demandé à Henri que les invités lavent leur vaisselle et rangent, car je me sentais épuisée.
Maman, Clémence attend encore un bébé, elle ne peut pas entrer dans votre cuisine, lodeur est trop forte. Elle ne voulait pas vous le dire, mais il faut que vous rangiez, sinon elle ne pourra même pas y rester une minute.
Ces paroles me firent frissonner. Un autre bébé? Mon mari et moi étions déjà à bout de sommeil, le plus vieux petitenfant se levait à laube pour regarder la télé chez nous et restait jusquà tard dans notre chambre. Clémence, elle, nourrissait le plus petit, le faisait dormir, et David était toujours à la maison.
Mon fils, les enfants doivent rester près de vous.
Maman, il faut acheter de nouveaux meubles, il ny a plus de place. Peutêtre pourriezvous vous installer dans la cuisine et nous transformer votre chambre en chambre denfants?
Je clignai des yeux. Notre maison ne compte que deux pièces, un cellier, un couloir et une petite cuisine.
Mon fils, où allonsnous loger? Le canapé, quand on le déplie, ne laisse même plus de place pour marcher.
Alors ne vous plaignez pas si David sendort chez vous.
Ainsi, un lit de petitenfant fut installé dans notre chambre. Il se réveillait, allait dormir chez ses parents, ils le ramenaient, et toute la nuit, les bruits de ses pleurs mempêchaient de dormir ; le matin, javais la tête comme si un rocher y était posé.
Les bellesparents vinrent encore un jour et, comme avant, je leur suggérai de récupérer leur fille avec les enfants, mais ils agitaient les bras :
Ils ont vécu cinq ans avec nous, et seulement un an avec vous, alors ne comptez pas sur nous.
Encore une fois, je compris que les choses nétaient pas comme elles devraient être, mais où aller?
La bellefille naidait plus, même avant le troisième enfant, toujours une excuse: « je regarde les enfants », « je suis sortie jouer », alors que tout le monde était collé au téléphone pendant que nous travaillions au jardin.
Aujourdhui, on ne peut plus la faire fléchir, la prendre dans les bras, la cuisiner; chaque chose déclenche une réaction.
Et maintenant, elle est partie sur la route, ne répond plus au téléphone, na rien dit à personne sauf à mon mari. Nous sommes inquiets, les enfants sinquiètent pour leur mère, elle ne rappelle pas, elle se repose.
Mon fils, à qui atelle confié les enfants?
À moi.
Ah, à toi, je vois, je deviens pâle, alors nourrisles et metsles au lit.
Mon fils ne sait pas ce que les enfants aiment ni comment les endormir, je dis à mon mari :
Cest la fin de ma patience, je ne bouge plus dun doigt.
Nous avons passé la nuit dans la cuisine pour ne pas déranger le fils. Le matin, il était de mauvaise humeur, mais je faisais semblant de ne rien remarquer. Les enfants réclamaient toast ou poulet, je lui pointai le frigo :
Tout est là, cuisine, si tu veux remplacer ta femme.
Cela dura deux jours, Henri appela Clémence pour quelle revienne, car il nen pouvait plus.
Elle arriva, mais avec une bonne humeur éclatante.
Alors je devais venir de loin? Vous ne savez même pas faire frire des œufs ou cuire des pâtes?
Elle parlait à haute voix, assez fort pour que mon mari et moi lentendions.
Elle se précipita à la cuisine, les casseroles claquant, tandis que le frigo était vide.
Où sont les provisions?
Les provisions que vous avez achetées? demandaije.
Vous pensez que les œufs, les pommes de terre, ça vous coûte? Non, allez chercher les poules, ramassez les œufs, allez au magasin et remplissez le frigo.
Elle prit les enfants par la main, alla voir leur mère et déclara que ses pieds ne reviendraient plus chez nous. Le fils, furieux, cria que les beauxparents lavaient maltraité. Mon mari et moi restions là, main dans la main.
Pendant tout ce temps, les enfants ne demandaient jamais à quel compte ils vivaient, ne remerciaient pas les plats, nachetaient rien de ce quils aimaient.
Cest nous qui faisions tout, et voilà la rémunération?
Je me gratte la tête: pourquoi ma bonté reçoitelle de tels traitements? Jai agi par amour, alors pourquoi se sontils comportés ainsi? Quen pensezvous?







