Cher journal,
Jai trompé mon mari et je ne le regrette pas. Ce nétait pas un élan sorti dun film ni une romance dans un hôtel avec vue sur la mer. Tout sest passé dans le quotidien banal, entre les courses et la lessive, dans une vie si bien rangée quelle en était douloureuse.
Je me souviens parfaitement du moment où je me suis sentie absente. Cétait un samedi matin, œufs brouillés, la radio diffusait doucement du Chanson Française, et ilmon époux, Alain Dupontfeuilletait le journal. « Du sel? », a-t-il demandé sans lever les yeux. Je lui ai tendu le sel, mais nos doigts ne se sont même pas frôlés.
Un instant, je nous ai vues de côté: deux personnes qui connaissent parfaitement leurs habitudes, mais qui ne se connaissent pas du tout. Les enfants ont fait leurs valises depuis longtemps, nos chiens dorment plus longtemps que nous, le calendrier est suspendu, vide. Le frigo est toujours bien rempli, les factures payées. Mais personne ne semble remarquer mon existence.
Jai essayé. Je lui ai proposé des balades, le cinéma, même un petit voyage à Lyon pour manger quelque chose de nouveau, sortir où personne ne nous connaît. Il repoussait toujours: « Dans un mois, jai un projet. » « Après les fêtes, ça ira mieux. » « À la fin des vacances, les gens reviendront, ce sera plus léger. » Dans son « plus tard », deux ans ont glissé. Entretemps, jai accumulé trois kilos de silence et perdu du poids par curiosité.
Je lai rencontré, Mathieu, au centre aquatique du quartier. Instructeur de natation, déjà dun âge où il ne court plus après les endorphines mais veille sur son dos. Dabord il a corrigé la position de mes mains, puis mon souffle, et pour la première fois depuis longtemps, jai senti quon me voyait: non plus comme épouse, mère, cuisinière ou agenda, mais simplement comme moi.
Je lui ai raconté des choses que je consigne habituellement dans un carnet pour ne pas les oublier: mes nuits sans sommeil, mes tasses qui se fissurent, ma peur du silence dans la maison après le crépuscule. Il écoutait. Il riait au bon moment, non dun rire qui annule, mais dun rire qui démêle les nœuds intérieurs.
Ce nest pas arrivé dun coup. Il ny a pas eu de toucher soudain ni de weekend fou. Dabord le café après lentraînement. Puis une promenade autour du parc, parce que « on ne se dessèche pas au vent ». Puis un message le soir: « Noublie pas de boire de leau, sinon tu auras des crampes ».
Bêtes, gentils, tendres. Pendant un moment, jai cru que cétait une phase que je pourrais retenir. Mais un jour, rentrant du travail, Alain sest contenté de dire: « La soupe est dans la marmite », et jai senti que, si je ne partais pas maintenant, je cesserais de respirer.
Chez Mathieu, lappartement sentait le savon et lherbe fraîche de ses chaussures. Nous nous sommes assis sur le canapé comme deux personnes qui ont tant à dire et pourtant ne veulent pas. Il a été le premier à toucher ma main.
Il ny avait pas dexplosion de feux dartifice, plutôt la respiration après une longue immersion. Il ma embrassée. Le monde na pas tremblé, mais mon corps sest rappelé quil existe. Je ne vais pas mentir: cétait bon. Doux. Exactement ce dont javais besoin. Un accord pour, un instant, être simplement moi, et non la fonction de quelquun dautre.
Me sentaisje coupable? Oui. La première nuit, jai rêvé de tous les mariages du monde, de toutes les alliances que jai jamais vues, et mon père me murmurait: « Tu as promis ». Au petit matin, je suis sortie courir, même si je ne cours jamais.
Mon cœur battait, ma conscience comptait les foulées. En revenant, jai acheté des baguettes fraîches. Je les ai posées sur la table et jai observé Alain, qui les tartinait de beurre avec un geste familier. « Tu as bien dormi? », a-t-il demandé, sans me regarder. « Bien », aije menti, et je ne suis pas morte.
Je ne regrette pas. En écrivant ces lignes, jentends la colère de ceux qui croient que le mariage est un mur infranchissable. Parfois cest vrai, mais dans ce mur il y avait déjà des fissures, où le vent sengouffrait.
Mathieu nétait pas un marteau, plutôt une petite lampe qui a éclairé ces espaces vides. Grâce à lui, jai réalisé à quel point je suis assoiffée de tendresse, de parole, de regard qui ne traverse pas comme une vitre.
On pourrait dire: « Tu naurais pas pu te battre pour ton mariage? » Jai pu. Et je lai fait, autant que ma force le permettait. Mon mari nest pas un mauvais homme. Cest un homme fatigué, qui a tellement lhabitude que je suis à côté de lui quil ne voit plus qui je suis.
Quand jessayais dengager la conversation, il fuyait dans la plaisanterie. Quand je proposais une thérapie, il haussait les épaules, disant que « cest à la mode ». Quand je lui disais que ça nallait pas, il répondait: « Encore? » et, dun seul mot, il me coupait la langue.
Je lui ai parlé? Non. Je sais ce que cela fait dentendre ce mot: lâche. De jouer sur deux fronts. Mais parfois la vérité nest pas un scalpel, elle est une marteau pneumatique. Je sais aussi que tout a un prix. Depuis quelques semaines, Alain me regarde différemment.
Il demande si je rentre tard. Il remarque que jai changé de parfum. Et je le vois soudain comme lhomme avec qui je passais des nuits à grignoter des toasts et du vin bon marché. Ce souvenir me désarme. Une panique monte en moi, car le choix nest plus une théorie.
Mathieu ma demandé de prendre une décision. « Tu nas pas à promettre quoi que ce soit. Sois simplement là où tu veux vraiment être », mat-il dit. Il na pas pressé. Il ma donné du temps. Le temps peut être cruel lorsquil bat près du cœur. Quand il est avec moi, je sens que je reviens à moi. Quand je rentre à la maison, jentends le bruissement des années passées avec Alain. La trahison nefface pas lhistoire partagée, elle la fissure.
Je ne regrette pas, parce que ce qui sest passé ma réveillée. Il ma forcée à poser les questions que je remettais toujours à plus tard. Il ma appris que la tendresse nest pas un luxe, mais de lair. Que lon peut avoir des chemises bien repassées dans le placard et, en même temps, sentir le courant dair à lintérieur. Je ne regrette pas, car maintenant je sais que je ne veux plus vivre sans toucher la vie.
Et pourtant, je ne sais pas quoi faire ensuite. Ce soir, je suis assise à la table avec deux enveloppes. Dans lune, des billets pour le weekend avec Mathieu, « si tu oses », comme il la écrit. Dans lautre, une réservation pour un dîner dans le restaurant où, autrefois, jallais avec Alain pour nos anniversaires. Deux chemins sur le même trottoir. Deux mondes qui ne veulent pas cohabiter dans un même cœur.
Lorsque je ferme les yeux, jentends deux vérités simultanément. La première: « Tu as le droit au bonheur, même sil demande du courage ». La deuxième: « Tu ne survivras pas à une seconde trahison si la vie te déçoit à nouveau ». Cest de cela que jai le plus peur.
Pas de condamnation, pas de ragots. Juste la crainte quun autre abandon que ce soit Alain ou Mathieu ne me brise davantage que le premier, car maintenant je sais ce que cest que de se réveiller à la vie. La deuxième fois, je ne pourrais plus le supporter.
Je ne cherche pas dexcuse. Jécris pour dire à haute voix ce que beaucoup de femmes ne chuchotent quà leur oreiller: on peut aimer quelquun et se trahir soimême en repoussant toujours le moment. Jai enfin pris mes propres bras. Ce que je ferai du reste, je lignore encore.
Que feriezvous à ma place?







