Dans le grand froid de lhiver, une femme enceinte marchait pieds nus jusquà la porte dune petite maison du Cantal. À lintérieur, il faisait chaud et cosy: le feu crépitait doucement dans lâtre, la télé diffusait le dernier épisode de «Les Feux de lAmour», et dehors, la tempête faisait danser la neige. Antoinette Durand, retraitée dune vieille brigade de secours, était confortablement installée dans un fauteuil usé, regardait un film et caressait son chat Moustache, qui sétait lové en boule sur ses genoux.
Soudain, on frappa à la fenêtre, puis à la porte dentrée, et le petit chien Biscotte se mit à aboyer si fort quon aurait pu perdre la voix. Puis, le silence retomba.
«Qui donc vient à cette heure? Ce nest pas une blague?», sexclama Antoinette, enfilant ses guêtres et son manteau épais, prête à aller voir, et pourquoi pas à rapporter du bois.
Après sêtre frayée un chemin dans les bourrasques, elle ouvrit la porte et resta figée, les yeux grands ouverts. Là, sous le vent glacial, se tenait une jeune femme à moitié dévêtue, en chemise de nuit, pieds nus, enveloppée dun châle tricoté. Son ventre était déjà proéminent, signe évident de grossesse.
À peine les lèvres bougées, la jeune fille murmura:
«Sil vous plaît, ne me chassez pas! Aidezmoi, on veut menlever mon bébé!»
Sans perdre de temps, Antoinette la fit entrer, la couvrit dun manteau et la conduisit dans le salon.
«Mon Dieu, questce qui se passe? Qui ose expulser une femme enceinte par ce temps!», sexclama la vieille infirmière, le cœur battant.
Connaissant les dangers du froid pour une femme enceinte, elle fit bouillir de leau, lava les pieds de la jeune femme, les désinfecta, lenveloppa dans une serviette chaude, lui offrit un thé à la framboise et la fit se reposer. Aucun interrogatoire, aucun reproche: «Le temps guérit tout», pensa-t-elle.
La jeune femme sendormit aussitôt, ne laissant quun «Merci» en souffle. La nuit fut agitée dehors: des klaxons, des cris, des voitures qui tournoyaient dans la neige.
Au petit matin, lodeur dœufs brouillés sur le beurre et de pâtisseries fraîches envahit la cuisine. Le ventre de la jeune femme se remit à bouger. Elle sortit doucement du lit, découvrit près du matelas un peignoir de bain plié et des chaussons chauds. Un souvenir denfance revint, celui de la maison de grandmère à la campagne, et elle ne voulut plus quitter cet instant de pure douceur.
Antoinette, toujours à la cuisine, dressa des crêpes dorées. En voyant la jeune femme, elle lança avec un sourire :
Alors, ma petite fugueuse, viens te laver, prends ton petit déjeuner, ton bébé a sûrement faim!Après, racontemoi ton histoire, questce qui test arrivé?
Après un repas copieux, la jeune femme, nommée Béatrice Lenoir, commença son récit, les yeux brillants de larmes :
Je suis orpheline, jai grandi dans un orphelinat. Je ne connais pas mes parents. Jusquà cinq ans, ma grandmère Mireille ma élevée, elle maimait, puis elle est morte et je suis rentrée à la maison de lenfance. Après le diplôme, on ma donné un petit appartement et jai étudié pour devenir instituteur. Un soir, à la discothèque, jai rencontré un très riche garçon. Tous les autres me jalousaient, et lui, Sébastien Moreau, ma choisi. Il a dix ans de plus, possède une villa à proximité, son père est un gros bonnet. Il moffrait fleurs, cinéma, et je suis tombée amoureuse.
Nous vivions ensemble, tout allait bien, jusquà ce que je découvre ma grossesse. Il a changé! Il ma insultée, rentrait ivre le matin, «Je ne veux plus de cet enfant», disaitil. Il a même amené une autre fille chez nous, me laissant mourir de honte. Jai voulu partir, mais il ma battue, ma menacée: «Tu restes, tu ne partiras jamais. Tu me donnes un enfant puis je te jetterai. Ton fils ne verra jamais la lumière!» Il ma enfermée, la bonne Inga ma laissé sortir à contrecoeur, jai couru comme une folle jusquà votre porte Merci.
Antoinette, émue, demanda:
Cest horrible! Que vastu faire maintenant?
Je ne sais pas, sil vous plaît, ne me chassez pas. Sébastien veut le bébé, mais me jettera. Je nai plus rien, je ne suis même plus sa femme, je suis juste une orpheline sanglota Béatrice.
Oublie tout ça, ne pense plus à ça! Mon fils Grégoire Dupont, le brigadier, revient de garde. Tu lui parleras, il pourra peutêtre aider!proposa Antoinette.
Grégoire, revenu de son service, était encore amer après sa propre rupture. Sa femme Irène lavait quitté, le reprochant son métier de policier peu lucratif, voulant quil devienne entrepreneur pour voyager dans les stations de ski. Il était revenu chez sa mère, persuadé que les femmes nétaient que des intéressées.
En entrant dans la maison, il sécria:
Salut, maman! et se dirigea vers la cuisine, où lodeur dun bon petit déjeuner lattirait.
Grégoire, voici notre invitée, Béatrice. Elle a besoin daide. Tu veux bien lécouter?lui demanda Antoinette.
Vous lavez cherché toute la nuit?lui demanda le jeune homme.
Béatrice, pâle comme un cerf pris au dépourvu, ses grands yeux bleus entourés de cils épais, ses cheveux blonds noués en queue de cheval, son ventre proéminent, ressemblait à un faon perdu. Elle implora:
Ne me livrez pas!
Grégoire, choqué, se demanda comment il pouvait aider, mais sa conscience le poussait à agir. Il promit:
Tu restes chez nous. Je vais en ville acheter des vêtements et, grâce à mes contacts, découvrir qui est ce Sébastien et récupérer tes affaires. Daccord?
Béatrice, les larmes perlant comme des perles, acquiesça, malgré la peur.
Par ses collègues, Grégoire découvrit que Sébastien Moreau était effectivement le fils dun riche industriel de Lyon, mais que leurs affaires étaient entourées de mystères, même de rumeurs de trafic de drogue. Il décida daller le confronter.
Arrivé au manoir, il frappa à la porte. Un jeune homme élégant, lair désinvolte, ouvrit.
Qui êtesvous, questce que vous voulez?demanda le fils dun riche.
Je suis le brigadier Dupont, Grégoire Dupont. Je viens parler de Béatrice, que vous avez retenue!répondit le policier.
Ah, la petite peste! Vous lavez prise pour une aventure? Elle ne vaut même pas un centime! Je ne veux plus delle, je veux son bébé!ricana Sébastien en refermant la porte.
Grégoire, hors de lui, sécria:
Cest illégal! Vous ne pouvez pas enlever un enfant à sa mère sans son accord!
Sébastien, furieux, rétorqua:
Mon père contrôle tout le quartier, elle ne recevra rien sauf mon fils!
Grégoire, déterminé, fit pression sur le père de Sébastien, présentant des preuves compromettantes. Lindustriel, après avoir lu les dossiers, sassit, réfléchit, puis déclara:
Jai entendu. Je vais régler ça. Les affaires de ma fille seront renvoyées à Béatrice. Si elle est vraiment ma petitefille, je la soutiendrai.
Le policier repartit, le cœur léger, courant chez lui pour annoncer la bonne nouvelle à Béatrice. En entrant, il découvrit la petite cuisine où elle façonnait des pâtisseries, la farine couvrant son nez, les cheveux en bataille. Un sourire éclata.
Béatrice, tu es libre! Demain, tu pourras rentrer chez toi. Jai tout arrangé,dit Grégoire.
Elle se jeta dans ses bras, criant de joie.
Antoinette intervint alors:
Mais comment vatelle demain? Elle na plus de travail, un bébé, pas dargent
Nous chercherons tes proches, tes frères, sœursproposa Grégoire.
En fouillant les archives, ils retrouvèrent une ancienne nounou, ladresse de la grandmère de Béatrice, et peu à peu démêlèrent le fil de son histoire. La révélation fut stupéfiante: Béatrice était en fait la nièce dAntoinette, ressemblant à sa sœur Valérie disparue. Les vieilles photos le confirmaient. Antoinette, les larmes aux yeux, découvrit que la petite était sa propre famille perdue.
Grégoire, abasourdi, réalisa quils étaient cousins. Il seffondra, frappant le sol, sanglotant: «Pourquoi? Pourquoi le destin nous atil séparés?»
La vie reprit doucement son cours. Béatrice donna naissance à un petit garçon en bonne santé, Sébastien, et sinstalla dans un appartement. Le weekend, ils allaient rendre visite à loncle Grégoire et à Antoinette, qui bercait le bébé en chantant.
Quant à Grégoire, le poids du drame le changea: il sassombrit, buvait plus, évitait le regard de Béatrice. Il aimait toujours son cœur, mais le destin le tenait à distance.
Antoinette, témoin de tout, pria le soir:
Seigneur, donnemoi la force de dire la vérité, je ne peux plus garder ce secret!
Lors de la prochaine visite de Béatrice, Antoinette fit asseoir Grégoire et Béatrice, sortit une vieille boîte et dit:
Mon fils, je devais garder ce secret jusquà la fin. Je nai jamais voulu te blesser
Grégoire, larmoyant, demanda:
Maman, comment?
Elle raconta comment, jeune veuve, elle avait adopté un bébé abandonné, ne savait pas quil était son propre fils. Le secret pesait sur elle depuis des décennies.
Ému, Grégoire la serra dans ses bras, remerciant le destin de lavoir libéré.
Béatrice, encore sous le choc, ne pouvait pas parler. Elle nen croyait pas ses oreilles.
Grégoire, redevenu calme, se tourna vers elle:
Béatrice, je taime depuis le premier instant. Veuxtu mépouser? Je promets de chérir ton fils comme le mien.
Elle, les yeux brillants, murmura simplement:
Oui.
Ainsi, les cauchemars du passé seffacèrent, laissant place à un avenir lumineux et heureux.







