Après cinquante ans, je suis retournée dans la ville de mon enfance. Au parc, j’ai retrouvé un homme qui, autrefois, n’était pas venu à notre rendez-vous et se souvenait encore de la raison.

Après avoir franchi le cap de la cinquantaine, je suis retournée à Bourges, la petite ville où jai passé mon enfance. Un matin dété, je me suis rendue au parc du Val dÂne, celui où je flânais autrefois en adolescente, et cest là que je lai retrouvé, Julien Moreau, le garçon qui nétait jamais venu à notre rendezvous tant attendu.

Le parc navait pas changé, mais il paraissait plus petit, comme si le temps lavait raccourci. Jai marché le même allée de chênes que je suivais à seize ans, et je me suis arrêtée sur le même banc de pierre où jattendais jadis son arrivée. Ce mardi matin, dun geste presque mécanique, il tenait un journal sous le bras, sa barbe caractéristique déjà bien fournie depuis ladolescence. Nos regards se sont croisés et, en un instant, nous sommes restés figés.

Ce banc était le théâtre du moment où il avait manqué à notre rencontre, celle qui aurait pu tout changer. Javais alors dixsept ans, le cœur en plein feu, et jamais je navais attendu si longtemps pour personne. Deux heures, puis trois, et je suis partie sans un mot, et il na jamais repris la parole. Je pensais quil avait oublié, que pour lui ce nétait quune broutille. Mais en le regardant à nouveau, jai vu quil se souvenait.

«Je suis désolé de ne pas être venu,» a-t-il commencé avant même que je ne puisse le saluer. «Tu ne croiras pas, mais ma mère était à lhôpital ce jourlà. Il ny avait pas de téléphone portable, pas moyen de tavertir.»

Nous avons reparlé du été dalors, de nos vies depuis. Il ma raconté quil était veuf depuis quelques années, que sa femme était décédée et quil avait deux enfants adultes. Quant à moi, jai traversé un divorce, et ma fille, Sophie, vivait désormais à Bruxelles. Aucun de nous navait cherché cette conversation, mais une fois engagée, elle ne voulait plus sarrêter.

Les jours suivants, nous nous sommes croisés chaque matin : un café à la même pâtisserie «Le Croissant dOr», une glace devant lhôtel de ville, une promenade dans le parc. Rien de spectaculaire, mais javais le sentiment que nous rattrapons ce qui avait été brutalement interrompu. Julien était attentif, délicat, posant des questions que personne ne me posait depuis longtemps. Et moi, jai retrouvé le sourire, celui qui me venait il y a tant dannées.

Ce nest quaprès une semaine que jai annoncé la nouvelle à Sophie. Je lai appelée, le cœur battant, et lui ai déclaré : «Je crois que je suis tombée amoureuse.» Au départ, elle a pensé à une plaisanterie, puis elle a demandé : «Mais comment, après tout ce temps?»

Je nai pas su quoi répondre. Comment expliquer ce qui se passe quand le cœur, même meurtri, peut encore vibrer ?

Un mois plus tard, installé dans cette ville qui mêlait le vieux et le neuf, jai commencé à douter de mon retour. Jai loué un petit appartement, et Julien sest proposé pour maider à le meubler il transportait des cartons, changeait les ampoules, racontait des anecdotes de son passé. Un soir, il est resté dîner, puis a passé la nuit à mes côtés.

Aujourdhui, cela fait trois mois que nos chemins se sont croisés à nouveau. Trois mois qui mont rappelé que la vie ne se termine pas quand les enfants grandissent, quand le mari sen va, ni quand les cheveux blanchissent. Sommesnous ensemble? Oui, sans grandes déclarations. Nous partageons simplement du temps, parfois main dans la main, parfois en silence, mais surtout je ne me sens plus seule.

Et ce banc? Il trône toujours au même endroit. Et quand nous nous y asseyons, nous rions, convaincus que lattente de trente ans vaut bien le coup.

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Après cinquante ans, je suis retournée dans la ville de mon enfance. Au parc, j’ai retrouvé un homme qui, autrefois, n’était pas venu à notre rendez-vous et se souvenait encore de la raison.
Le vieux grincheux m’a offert un peigne. Ce qui s’est passé ensuite a bouleversé toute ma vie.