Datcha sans exploits

20mai2025

Je suis descendu du TER à la petite gare de Montmirail, la dernière voiture, et je me suis retourné un instant vers la ville que je ne voyais plus quune bande darbres et un vieux grillage rouillé le long des rails. Le brouhaha des embouteillages, les réunions à lentreprise et le manque constant dair frais me semblaient encore là, quelque part derrière les troncs.

Jai ajusté mon sac à dos, sorti une chaise pliante dans son sac et ai emprunté le sentier étroit où sétiraient déjà quelques familles de vacanciers. Certains poussaient des chariots, dautres portaient des sacs remplis de terreau, dautres encore des godets en plastique. Une femme, les deux seaux à la main, laissait entrevoir des tiges de tomates vertes.

Faites attention, il y a une racine, ma-t-elle prévenue en se retournant.

Merci, ai-je acquiescé, en sautant par-dessus la racine dun bouleau qui perçait le sol.

Je nétais pas encore habitué à ce chemin. Javais acheté un terrain dans le lotissement «Le Bouleau» il y a un mois, mais je ne pouvais my rendre que le weekend. Jusquici, je métais surtout occupé de papiers, de négociations avec les électriciens, de remplacement du vieux compteur et de débroussaillage du petit chalet.

Le terrain mavait été cédé par une veuve solitaire qui avait rejoint son fils. Un chalet délabré, une grange qui penchait, deux pommiers et des platesbains envahies de grandes ronces. Le grand avantage? Le silence et léloignement de la route principale.

En passant devant le gardiennage, jai salué un homme en tenue de chantier qui lisait le journal sur un banc, puis jai tourné à la troisième allée. La route était poussiéreuse, les nids-de-poule fréquents, les fossés bordés deau trouble. Dun côté comme de lautre, des clôtures en grillage, tôle ondulée ou panneaux de PVC. Derrière, on apercevait des petites maisons, des serres recouvertes de film plastique et des rangées de platesbains bien ordonnées.

Un homme trapu, un peu trop petit, coiffé dun vieux bob, bricolait autour dun poteau.

Bonjour, aije ralenti le pas. Cest mon terrain.

Il sest redressé, sest essuyé le front avec la paume et a souri.

Ah, vous êtes le nouveau. Pierre, voisin du côté droit, là où se trouve la serre toute neuve et le chalet à la toiture verte. Il a pointé du doigt son terrain. Je vais mettre une plaque, sinon tout le monde demande qui est le nouveau.

Sur le poteau pendait un morceau de plastique avec «Lot38André» écrit au marqueur noir.

Merci, jai bafouillé. Je nai même pas encore commencé

Pas de souci, a répondu Pierre en reculant vers sa clôture. Alors, vous vous installez? Vous avez déjà un plan de jardin?

Jai déverrouillé le vieux cadenas rouillé, poussé le portail grinçant et pénétré sur le terrain. Lherbe était haute, un brin de mauvaises herbes poussait dans un coin, le chalet était écaillé mais solide. Javais déjà aperçu quelques installations: une planche en bois près du chalet, deux fauteuils confortables, un barbecue et, peutêtre, un hamac entre les pommiers.

Honnêtement, je ne compte pas faire de potager, aije déclaré en posant mon sac sur le perron. Je veux surtout un coin repos, avec une table, de lombre.

Un silence bref sest installé. Pierre a plissé les yeux.

Sans platesbains? atil demandé. Du tout?

Peutêtre quelques buissons de cassis, aije tenté lhumour. Et des herbes en godets.

Pierre a haussé les épaules.

Un chalet sans potager, cest rare ici, atil dit, sans colère mais avec un certain étonnement. Tout le monde cultive la terre. Ce serait dommage de la laisser vide; on pourrait y mettre des pommes de terre, des oignons, du chou, pas du supermarché.

Jachèterai tout ça en ville, aije rétorqué. Ce dont jai besoin, cest du calme.

Pierre a secoué la tête.

La jeunesse daujourdhui marmonnatil, même si je navais que quarantesept ans. Mais ne vous plaignez pas plus tard sil ne reste rien à faire.

Il est reparti vers son chalet, et je suis resté seul. Jai sorti la housse de la chaise pliante, lai ouverte devant le chalet et me suis assis. Le soleil était déjà haut, les ombres des pommiers se dessinaient sur lherbe. Au loin, on entendait le bruit dun marteau, lodeur de terre mouillée et la fumée dun vieux tonneau où lon brûlait lherbe de lan passé.

Jai tiré une thermos et une tasse de mon sac, versé du café et, soudain, une paix étrange ma envahi. Aucun bruit de voitures, aucun voisin bruyant, pas même la télévision qui bourdonne au mur den face. Seules quelques voix lointaines, le cri dun chien et le bruissement des feuilles.

Cest pour ça que je suis venu, je me suis dit.

Dans laprèsmidi, jai fait la connaissance dune autre voisine. À ma gauche, derrière le grillage, une femme mince, coiffée dun large chapeau, arpentait ses platesbains.

Bonjour, laije appelée. André, nouveau voisin.

Elle sest redressée, a essuyé ses mains sur son tablier et sest approchée du grillage.

Marguerite, atelle répondu. Jai vu votre maison. Vous avez déjà installé

Oui, aije souri. Je veux juste un endroit où me détendre.

Se détendre, a répété Marguerite, comme pour tester le mot. Et travailler? La terre aime quon la touche.

Je travaille dans un bureau, tout le temps devant lordinateur. Javais besoin dun lieu où je pourrais simplement être assis sur lherbe.

Marguerite a regardé ma chaise, mon sac, le chalet.

Faites attention à ne pas tout transformer en jardin sauvage, atelle dit avec un petit sourire. On a déjà eu quelquun qui ne faisait que se reposer, la pelouse était haute, les moustiques partout, et il a fini par vendre.

Je me suis promis de ne pas en arriver là. Je ne voulais pas que mon terrain devienne une jungle. Je désirais de lordre, mais pas sous forme de rangées de pommes de terre, plutôt comme une pelouse bien taillée, un plancher en bois et des places assises confortables.

Le soir, chez moi, jai étalé une feuille et esquissé un plan: le chalet, la grange, les pommiers. Un plancher en planches pour éviter la boue, un barbecue, une table pliante, deux massifs avec des fleurs faciles à entretenir, peutêtre un petit étang si le temps le permet.

Je souriais en dessinant. Cétait presque un jeu denfant, mais sérieux.

Le weekend suivant, je suis arrivé avec ma boîte à outils et mon mètre. Dans le TER, deux femmes occupées à discuter de leurs semis les ont regardé, me rappelant que je navais rien dautre que du géotextile et un catalogue de mobilier de jardin.

Jai dabord retiré les vieilles planches qui traînaient derrière la grange, puis jai commencé à tracer le futur plancher. Le soleil réchauffait, les oiseaux chantaient, Pierre faisait vrombir son motoculteur, Marguerite étendait du film plastique sur ses platesbains, arrosant dun arrosoir.

Vous ne plantez rien? a lancé Pierre à travers la clôture.

Pas encore, aije répondu, en essuyant la sueur. Je veux dabord poser le plancher.

Vous allez vous asseoir dessus, alors, même en hiver, quand les pommes de terre coûteront cher? a plaisanté Pierre.

Laissezle, est intervenue Marguerite. Il a sûrement beaucoup dargent.

Pas dargent, aije secoué la tête. Juste la fatigue.

Pierre a grogné, mais na rien ajouté. Je me suis penché à nouveau sur les planches. Un doute sest glissé: estce que je fais tout ça au mauvais endroit, alors que tout le monde travaille la terre? Mais je me suis rappelé le lundi soir, après le travail, quand, dans le métro, je narrivais plus à respirer profondément. Jai compris quil me fallait un espace où rien ne se justifie.

Jai levé la première planche, imaginé son placement et senti la décision se renforcer.

À midi, le plancher nétait quune esquisse: quelques planches posées sur des briques. Déjà, on pouvait sasseoir, étirer les jambes sans craindre que les baskets senfoncent. Jai sorti des sandwichs, versé du thé et me suis installé.

Vous construisez déjà une terrasse? a lancé Marguerite.

Terrasse, cest trop grand, aije bafouillé. Juste un sol stable.

Le confort, cest important, a ajouté doucement Marguerite. Chez moi, cest toujours les platesbains, on se retrouve à se cogner contre les seaux.

Je me suis senti plus léger.

Le soir, la fatigue ma frappé autant que si javais labouré les platesbains. Le dos me faisait mal, les mains tremblaient. Mais en partant, jai vu que mon coin nétait plus un simple bout de terre, mais le début de quelque chose de personnel: le chalet, le rectangle de bois, les vieilles planches rangées prêtes pour la suite.

Le mois de mai sest écoulé ainsi. Chaque weekend, je bâtissais, peignais, rangeais. Jai installé une petite table en bois, acheté des chaises pliantes pas chères chez LeroyMerlin, accroché une guirlande solaire sur le mur du chalet. Un jour, jai amené un vieux barbecue, encore solide, dun ami qui lavait laissé inutilisé sur son balcon.

Les voisins continuaient de me regarder avec curiosité.

Vous avez finalement planté des pommes de terre? a demandé Pierre en passant avec son râteau.

Non, aije répondu. Jai semé du gazon.

Du gazon? a répété Pierre, comme sil goûtait le mot. Ce nest pas la Normandie ici.

Marguerite passait parfois avec des courgettes ou des herbes fraîches.

Votre coin est beau, disaitelle en admirant. Mais il est vide. Chez moi tout pousse, et chez vous juste une table et des chaises.

Je ne contestais pas. Parfois, assis le soir sur le plancher, en regardant les platesbains des voisins, je doutais: ne devraisje pas réellement planter quelque chose? Une vraie dèche de dèche? Mais je restais ferme.

Un aprèsmidi, Pierre est venu alors que je rangeais du vieux ferraille dans la remise.

Dis, André, tu viens ici tout le temps tout seul? atil demandé.

Oui, pour linstant, aije répondu. Mes enfants sont occupés, mon ex a ses propres affaires, les amis ne font que promettre.

Alors à quoi servent toutes ces chaises? atil pointé du doigt le plancher. On dirait un café.

Je veux un endroit où accueillir les gens quand ils viendront, aije admis, un peu naïf.

Pierre a haussé les épaules.

Une dèche, cest du travail. Le repos, on le trouve chez soi, sur le canapé.

Après son départ, je suis resté assis, les mots «travail», «utilité», «terre inutilisée» tournant dans ma tête. Je me suis rappelé mon père, qui memmenait à la campagne près de la Loire. Il se levait à six heures, on creusait les pommes de terre, on désherbait les carottes. Le soir, il sasseyait, soupirait et me disait que rien ne vient sans effort. Moi, je rêvais simplement de mallonger sur lherbe et regarder les nuages.

Aujourdhui, jai la chance de faire les choses à ma façon, mais les attentes des autres pèsent toujours.

Le point décisif est survenu à la mijuin. Le temps était lourd, le travail saccumulait, et jai compris que si je ne méchappais pas quelques jours, je finirais par exploser au bureau. Jai appelé mon fils.

Sacha, aije dit, viens ce weekend à la dèche. Japporte la viande, les jeux de société. Invite qui tu veux.

Sacha, vingt ans, vivant en résidence universitaire, a dabord été surpris.

À la dèche? Quy feratil? atil demandé.

Il y aura une table, des chaises, un barbecue. On pourra simplement sasseoir, jai senti la demande dans ma voix.

Après un instant de réflexion, il a accepté et a promis dinviter quelques amis. Jai contacté aussi Guillaume et Anaïs, vieux camarades qui navaient jamais trouvé le temps de se retrouver.

Tu deviens jardinier? a plaisanté Guillaume.

Non, jai une dèche sans potager, aije ri. Venez, vous verrez.

Samedi, je suis arrivé tôt, sac rempli de viande, de légumes, de pain, de quelques bouteilles de limonade, et une valise contenant les jeux de société qui prenaient la poussière. Jai installé la guirlande, essuyé la table, disposé les chaises, allumé le barbecue. Lodeur du charbon et des aiguilles de pin remplissait lair.

Les voisins étaient déjà à leurs parcelles. Pierre bricolait avec son motoculteur, Marguerite attachait des tomates.

Vous attendez des invités? a crié Marguerite à travers le grillage.

Oui, mon fils arrive, des amis, aije répondu.

Ça va être animé, a souri Marguerite. Mais pas trop tard, on dort tôt ici.

Pierre a jeté un œil au barbecue, puis à la table.

Un dîner en plein air, alors, atil commenté. Mais sans musique jusquà la nuit, on a lhabitude de se coucher tôt.

Pas de souci, on sera discrets, laije rassuré.

Vers midi, Sacha est arrivé avec deux camarades: un garçon aux lunettes et une fille aux cheveux courts. Peu après, Guillaume et Anaïs sont venus avec des salades et une tarte.

Assis tous ensemble sur le plancher, jai vu ma dèche dun œil extérieur. Un petit chalet, une terrasse en bois, une table, des chaises colorées, un barbecue fumant, des pommiers, les parcelles voisines où les habitants saffairent.

Cest vraiment top, a déclaré Guillaume, en faisant le tour. On se croirait dans un film,Ce soir, sous la lueur de la guirlande, je me suis senti enfin chez moi, entouré de sourires et de silence, convaincu que ma dèche sans potager était exactement ce dont mon cœur avait besoin.

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