IL FAUT JUSTE PATIENTER

Mélusine sait tout. Bien sûr, elle na pas vingt ans, ni même trente

Mélusine en a assez dêtre seule, de porter ce fardeau.
Ludivine, pourquoi ça arrive? Questce qui ne va pas chez moi? Peutêtre que je suis ennuyeuse? Peutêtre que je pue ou que je suis trop envahissante? Ou bien, au contraire, je ne donne pas assez damour et de tendresse. Questce qui cloche?
Tout le monde a une vie, des amours, des projets: les grands, les petits, les beaux, les moches, les minces, les gros, les buveurs, les abstinents Et moi, rien.
Pourquoi suisje seule?

Écoute, Mél ne ris pas, ma grandmère me racontait une chose un «couronne de célibat».
Pas possible, répond Mélusine en haussant les épaules, on vit au XXIᵉ siècle, pas au MoyenÂge.
Tu doutes? sécrie Ludivine en sautant de sa chaise. Ma cousine au deuxième degré a déjà porté cette couronne, la grandmère la enlevée.

Mélusine, sans curiosité, demande simplement: «Quelle grandmère?»

Ludivine répond quelle appelle tout de suite Nadine, sa sœur, celle qui a eu la couronne retirée, et quelle saura tout.

Dix minutes plus tard, Ludivine griffonne sur une serviette, en mordillant le bout de la langue.
Alors, Nadine, merci. Comment ça va? Tu te remaries? Et Geneviève? Ah, elle ta mis à la porte. Bon, jarrive
Elle raccroche, reste silencieuse un instant.
Quelque chose sest passé?
Non enfin si, il faut encore acheter un cadeau de mariage, ma sœur se marie pour la cinquième fois. La grandmère a sûrement bien retiré la couronne. Voici ladresse, tu viens?

Mélusine hausse les épaules. Elle part, mais la grandmère, après un tour de manège, la renvoie les mains vides.
Tu nas aucune couronne.
Comment ça? jen ai
Tu choisis les mauvais hommes! Le premier ta abandonnée avec son enfant, un escroc déjà marié. Le deuxième nétait pas le tien non plus, et le troisième
Le troisième? je nai personne.
Il ny en aura pas
Et le mien? Arriveratil?
Il arrivera quand tu ty attendras le moins. Il sera à toi, mais pas tout entier. Une fille, rien à faire, mais faislui confiance: il est fiable, il tapportera le bonheur que tu cherches. Attends, ne te précipite pas.

Elle doit aussi dire à son amie daller chez le médecin, de boire des tisanes et de consulter une gynécologue. «Dislui que la mamie a dit de le transmettre»

Ce dialogue a lieu il y a des années. Désespérée, Mélusine se rend chez la mamieguérisseuse. Tout se passe comme la mamie lavait prédit.

Elle rencontre le troisième, mais les paroles de la mamie sévanouissent. Il était bon, aimait la fille de Mélusine, mais il disparaît soudainement, sans explication, comme évaporé.

Puis elle croise Yves. Au début, elle ne comprend pas que cest lui, le même quelle attendait. Lappartement voisin était vide depuis des années. Quand Mélusine emménage avec sa fille, la voisine, tante Catherine, raconte que le propriétaire vient parfois, sarrête chez sa mère

Un jour, Mélusine, curieuse, jette un œil derrière la porte entrouverte du voisin. Un homme pose du papier peint. Elle se retire discrètement, pensant que le propriétaire est de retour. Le propriétaire revient, évidemment.

Ils se croisent pour la première fois dans le couloir une semaine plus tard. Les portes des appartements sont si bizarres que, si lune souvre, lautre reste fermée tant quon ne la referme pas. Mélusine, pressée daller travailler, narrive pas à ouvrir la sienne. Le voisin sexcuse, referme son appartement, et elle entend des pas légers.

Plus tard, elle bloque la sortie du voisin. Ils se retrouvent sur la terrasse, le voisin laisse Mélusine ouvrir la porte en premier.

Un jour, Yves aide Christelle à soulever son vélo ; Mélusine prépare des petits pains et les lui apporte. Dans le parc, le fils dYves, du même âge que le garçon de Christelle, devient ami avec les enfants, ils jouent sur les balançoires pendant que Yves et Mélusine bavardent.

Six mois après, Yves linvite à un rendezvous, la présente à sa famille. Ils décident de vivre ensemble, mais Yves raconte son histoire dabord.

Mél, je ne suis pas un gamin de vingt ans, je ne suis pas une masse de muscles, je suis un homme, un vrai. Jai mes convictions, mon tempérament.
Je te promets, si tu vis avec moi, je ne te tromperai pas, je ferai les travaux, je gagnerai largent, je ne bois pas, je ne fume pas. Pas de mauvaises habitudes.
Je te respecterai, je tapprécierai Je désolé, je ne saurais pas aimer comme on le veut. Jai des sentiments, mais pas ceux que tu espères.
Je ne suis pas une pierre, je ressens pour toi, mais je ne peux rien changer.
Ma femme mappelle «poulpe» alors je texplique tout ça pour que tu ne penses pas que je fais le malin.

Il avoue sêtre aimé, dans sa jeunesse, une fille qui le réchauffait. Ça na pas marché; elle ne le voyait que comme un ami. Il a eu dautres femmes, plus belles, plus intelligentes, mais rien na fonctionné.

Mélusine, à peine capable de parler, demande: «Tu ne pensais pas quil fallait que je parle avec elle?»
Yves répond quil a expliqué, posé les choses, dit «je taime plus que ma vie», mais elle la entendue pendant quelle se séparait de son mari. Elle lui a dit quelle nétait quune amie, quelle le considérait comme un frère. Il a compris, a admis que la relation était impossible, et quil ne pouvait plus vivre avec une femme qui ne laimait pas.

Il sest alors marié. Il ne se sentait pas comme un zombie, il vivait comme les autres, mais chaque fois quil pensait à la femme quil aimait, lamour était pour lui une malédiction. Il se sentait brisé, incapable doffrir le bonheur à une femme, même sil le voulait.

Il veut juste que Mélusine décide si elle peut vivre sans grandes émotions, sans passion. Il ne veut pas de réponse immédiate, elle doit réfléchir.

Mélusine réfléchit, accepte et, une semaine plus tard, rencontre la grande famille dYves. Ils sont joyeux, accueillants, ils prennent soin delle et de sa fille. Au début, elle craint quon la traite comme une remplaçante, mais tout se passe bien.

Mélusine ne regrette jamais davoir épousé Yves. Il est fiable, il résout les soucis de Mélusine. Elle évite de trop penser à la passion, tout va bien. Parfois, une ou deux fois par an, elle capte le regard errant du mari, un souvenir lointain, mais cela naffecte pas leur vie commune.

Encore une fois, ce regard la trouble. Estce blessant? Elle le reconnaît : «Si je mets la main sur mon cœur quelle femme ne rêve pas quun homme change pour elle?» Elle sest mariée sans grand amour, mais elle sest habituée, il est un mari idéal.

Un matin de printemps, Yves regarde sa femme laver les fenêtres, le soleil chauffe les carreaux. Il entre dans la pièce et admire Mélusine. Il se sent libre, vraiment libre. Il a retrouvé la femme quil aimait et cela le rend heureux.

Questce qui se passe, Yves?
Rien, tout va bien, Mél. Tu ne sais pas à quel point tout est beau

Il embrasse Mélusine, réalisant à quel point elle compte pour lui. Elle se souvient alors des paroles de la mamie: il faut juste attendre.

«Bonjour, mes chers! Que votre amour, sil nest pas encore arrivé, plane à votre fenêtre. Et sil est déjà là, protégezle. Je vous embrasse, je vous envoie des rayons de bonté et de positivité.»

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