— Cette maison de campagne est à moi. Toi, tu n’es qu’une invitée ici, déclara la belle-sœur.

Cette maison de campagne, cest la mienne. Toi, tu nes quune invitée, lança la bellesœur.

Lilou, tu as fait exprès, non ?! Je tavais demandé de ne pas replanter les alstroémères sans moi ! sexclama Irène Victorine en agitant les bras, les yeux fixés sur le parterre fouillis. Tu sais bien que ces fleurs, cest ma mère qui les a plantées!

Mais ils étaient envahis, Irène, marmonna Lilou, honteuse, en essuyant la terre de ses mains sur son tablier. Jai pensé faire au mieux, te faire plaisir

Irène haussa les épaules, les lèvres pincées. Avec sa bru, elle narrivait jamais à trouver un terrain dentente. Elle faisait des efforts, mais tout était «trop ». Soit le déjeuner trop copieux, soit le linge mal étendu, soit nimporte quel petit couac.

Bon, passons, soupira Irène. Mais la prochaine fois, demande avant, daccord? Ces fleurs, cest le souvenir.

Le soleil tape fort, obligeant à chercher lombre sous les pommiers qui sétalent comme des parasols. Le domaine des Dubois, perdu dans la verdure de la vallée de la Loire, est bordé darbres centenaires plantés à lépoque des grandsparents de Benoît et Irène, offrant une fraîcheur presque mystique. Près du porche, un vieux chauffeeau bruine, diffusant une légère odeur de bois brûlé.

Benoît pourrail venir pour le dîner? demanda Lilou en dressant la table sous le pommier ancien.

Il a dit quil essayait, répliqua Irène en posant les assiettes. Mais tu connais mon frère: si le boulot sen mêle, il risque darriver tard.

Lilou acquiesça. Benoît, le petit frère dIrène, est ingénieur principal dans une usine du coin, et le travail lui avale la majeure partie du temps. Lilou et Benoît ne sont mariés que depuis six mois, et cet été était le premier quils passaient à la maison de campagne des Dubois.

Jai mis de la confiture à bouillir, annonça Lilou, cherchant à détendre latmosphère autour du désastre des alstroémères. Avec les fraises que nous avons cueillies hier.

Des fraises? arqua Irène les sourcils. On avait pourtant dit de les congeler dabord, puis

Je me suis dit quon na jamais trop de confiture, sourit Lilou. Et jai voulu essayer la vieille recette de grandmère, avec un zeste dorange.

Irène resta muette, le visage grave. Encore cette petite qui fait à sa façon! Elle a quarantecinq ans et a passé vingtcinq étés dans cette ferme depuis le départ de ses parents. Chaque pierre, chaque rangée de légumes est gravée dans sa mémoire. Et voilà que Lilou, à vingtsept ans, veut tout remanier.

Tu crois que Benoît aimera? demanda timidement Lilou.

Je ne sais pas, répliqua Irène dun ton sec. Il adore la confiture de sa mère.

Assis à la table, ils suivaient le souffle du midi, le silence pesant. Enfin Lilou ne put plus se contenir :

Irène, je vois bien que tu es fâchée. Pourquoi ne pas simplement me dire ce qui ne va pas?

Irène soupira :

Lilou, comprends que cette maison, ce nest pas juste un chalet avec un potager. Cest le souvenir de nos parents. Chaque buisson, chaque massue de terre a été posée par leurs mains. Jaime que les choses suivent leur cours. Et puis, tu arrives et tu secoues tout.

Je ne voulais pas tout gâcher, murmura Lilou. Je veux juste me sentir chez moi, comme vous.

Irène lobserva, la jeune femme aux cheveux blonds et aux yeux gris, si différente de la lenteur et de la solidité de la famille. Tout ce que faisait Lilou était rapide, enthousiaste, sans trop réfléchir aux conséquences.

Tu sais, commença Irène, mais le bruit dune voiture interrompit sa phrase.

Benoît arrive! sexclama Lilou en courant à lentrée.

Benoît, grand, les épaules larges, les tempes légèrement argentées, sortit de la voiture, tenant un énorme melon deau.

Mes chères dames! souritil. Comment avezvous pu survivre sans moi?

Lilou se jeta dans ses bras, tandis quIrène savança, dignement, comme la grande sœur.

Tout va bien, mon petit, dit-elle. On soccupe du jardin avec Lilou.

Parfait! lança Benoît, en serrant la sœur dune main détendue. Jai amené des friandises. Un melon, des bonbons pour ma petite sucrée, et il fit une pause pour toi, Irène, des nouvelles variétés de géraniums. Je sais que tu les adores.

Les yeux dIrène silluminèrent :

Benoît! Doù tu les as eus? Tu les as piqués à Semenov?

Directement de lui, répondit Benoît avec fierté. Jai à peine réussi à le convaincre.

Le soir passa dans une ambiance détendue. On dégusta le melon, on but du thé avec des croutons, Benoît racontait ses projets à lusine, Lilou lécoutait comme une mouche, et Irène examinait les bulbes de géranium, déjà en train de rêver où les planter.

Le lendemain, Benoît repartit en ville pour une réunion urgente. Les deux femmes restèrent seules.

Je pense à déplacer les framboises près de la clôture la plus lointaine, proposa Lilou au petitdéjeuner. Il y fait plus soleil, plus despace. Et à cet endroit, on pourrait installer une petite aire de jeux.

Irène resta bouche bée, la tasse à la main :

Une aire de jeux?

Oui, rayonna Lilou. Benoît et moi on espère bientôt un bébé. Ce serait bien davoir un coin où lenfant jouerait, pas juste sur la terre nue.

Tu es enceinte? demanda Irène prudemment.

Pas encore, secoua Lilou la tête. Mais on désire un petit. Et je pensais quil valait mieux sy préparer davance.

Irène posa sa tasse, le regard sévère :

Le père plantait ces framboises. Cest un cultivar spécial, il en était fier. Les déplacer, cest risquer de les perdre.

Mais pour lenfant

Dabord le bébé, ensuite laire de jeux, coupa Irène. Les framboises restent où elles sont.

Lilou rougit, mais resta muette. Toute la journée, chacune travailla en silence: Irène au potager, Lilou à la maison. Le soir, la tension était palpable.

Jai pensé à la véranda, lança timidement Lilou au dîner. Elle est sombre, si on la peignait en blanc

Non, secoua la tête Irène. La véranda reste telle quelle est.

Mais pourquoi? Ça serait plus lumineux, plus cosy

Parce que je lai dit! séleva Irène, la voix montant. Cette maison, cest mon domaine. Et toi, tu nes quune invitée, répéta la bellesœur en frappant la cuillère contre lassiette. Pas la peine de tout rénover à ta sauce!

Le silence retomba, ponctué seulement par le chant des criquets. Lilou pâlit, les yeux embués de larmes.

Alors, je ne suis quune invitée, murmurat-elle. Daccord

Elle se leva, déplaçant doucement son assiette :

Pardon de vous avoir dérangées, Irène Victorine. Je vais rassembler mes affaires.

Irène poussa un soupir :

Lilou, ne dramatise pas. Je veux juste que tu respectes nos traditions.

Des traditions qui sont maintenant les miennes aussi, affirma Lilou fermement. Mais apparemment, pas à vos yeux.

Elle quitta la salle, laissant Irène seule sur la véranda, le cœur lourd. Peutêtre étaitelle allée trop loin ? Elle navait pas compris à quel point ces souvenirs étaient chers à Irène.

Le téléphone sonna: cétait Benoît.

Tout va bien? demandatil. Comment ça se passe?

Normal, répondit Irène sans trop en dire sur Lilou. Quand tu reviens?

Demain midi je suis libre. On pourra prendre Lilou?

Elle se repose, mentit Irène. Rappellemoi plus tard.

Après la conversation, Irène resta assise, observant le jardin qui sassombrissait. Des images lui revenaient en mémoire: sa mère plantant les alstroémères en chantonnant, son père fabriquant un banc sous le vieux pommier, toute la famille récoltant les pommes. Sa mère disait souvent: «Une maison vit tant que les gens y habitent. Quand ils partent, elle ne reste plus quun souvenir.»

Le matin suivant, le bruit de leau qui coule léveilla. En ouvrant la fenêtre, elle vit Lilou arroser les alstroémères.

Bonjour, lança Irène en sortant dans le jardin. Tu es levée tôt.

Pas de sommeil, répondit Lilou à voix basse, sans lever les yeux.

Son sac de voyage était posé près du porche: elle était sérieuse.

Lilou, attends, sapprocha Irène. Parlons.

De quoi? continua Lilou, toujours occupée à arroser. Hier, cétait clair comme de leau de roche.

Jai agi trop vite, admit Irène. Tu nes pas quune invitée. Tu es lépouse de mon frère, et cette maison est aussi la tienne.

Lilou tourna les yeux, rouges, témoignant de larmes récentes.

Alors pourquoi je ne peux rien changer? Pourquoi tout doit rester tel que lont laissé nos parents? Je comprends que les souvenirs sont précieux, mais la vie continue, Irène.

Irène sassit sur le banc, linvitant à prendre place à côté delle.

Tu sais, jai vécu seule pendant des années. Après mon divorce, cet endroit est devenu mon refuge. Tout rappelait mon enfance heureuse, mes parents Jai peutêtre trop serré les souvenirs dans mes doigts.

Lilou sassit, tenant encore le pulvérisateur :

Je ne veux pas briser tes souvenirs, Irène. Je veux juste y ajouter quelque chose à moi. Pour que nos futurs enfants, quand ils arriveront, puissent dire: «Cest ici que maman et papa ont construit la cabane».

Le soleil matinal dora les cimes des arbres, la rosée scintillait sur lherbe.

On ne touchera pas les framboises, déclara Irène après un instant. Mais on peut trouver un coin pour laire de jeux, près de la vieille poire où rien ne pousse.

Lilou rayonna :

Vraiment? Ce serait génial!

Et pour la véranda, poursuivit Irène, peutêtre pas tout blanc, mais des panneaux clairs qui la rendraient plus chaleureuse. Réfléchissonsy ensemble.

Elles passèrent la matinée à discuter, et à larrivée de Benoît, latmosphère était nettement plus douce. Il les regarda, surpris de voir sa sœur et sa femme, penchées sur un album de plans, débattant de la couleur des lames.

Jai manqué quoi? demandatil, en serrant Lilou dans ses bras. Hier vous étiez comme le chat et le chien, et aujourdhui vous êtes les meilleures amies?

On a trouvé un compromis, sourit Irène. Traditions et nouveautés peuvent cohabiter.

Au déjeuner, Lilou présenta ses projets daire de jeux, et Benoît lencouragea avec entrain.

Au fait, il reste encore mes vieilles briques de jouets dans le hangar, se souvint Irène. Le père les avait gardées. Une petite trottinette, un cheval en bois On pourrait les restaurer.

Vraiment? sexclama Lilou. Ce serait formidable! Imagine notre futur petit jouant avec les mêmes jouets que toi, Benoît, quand tu étais gosse!

Benoît, les yeux brillants, la serra: Tu prévois déjà un héritier, et moi je viens darriver!

Ils rirent tous, et Irène sentit pour la première fois depuis longtemps une légèreté.

Le soir, quand Lilou était déjà couchée, Benoît et Irène restèrent sur la véranda, sirotant du thé.

Merci, murmura Benoît.

De quoi? demanda Irène.

Pour Lilou. Pour lavoir accueillie. Je sais combien cette maison compte pour toi.

Irène fixa le ciel étoilé :

Tu sais, ma mère et mon père seraient ravis dentendre des rires denfants ici. Ils rêvaient toujours de petitsenfants.

Et ils seront bientôt là, répliqua Benoît, un sourire en coin. Lilou ne ta pas tout dit? Nous attendons un bébé.

Je le devinais, acquiesça Irène. Doù vient donc laire de jeux.

Ils se turent, écoutant le chant des criquets et le bruit lointain des voitures sur lautoroute.

Tu nas jamais pensé refaire une famille? demanda soudain Benoît. Tu as quarantecinq ans, il nest jamais trop tard

Irène secoua la tête :

Je ne sais pas. Après mon divorce, je me suis enfermée dans ce lieu. Peutêtre que jai réagi trop fort avec Lilou.

Mais maintenant?

Maintenant, non, sourit Irène. Ce qui ma convaincue, cest quelle a arrosé les alstroémères sans demander. Elle voulait les sauver, pas les détruire. Jai compris quelle ne voulait pas effacer la mémoire, mais en devenir une partie.

Benoît létreignit: Ça me rend heureux deEt ainsi, la vieille maison de campagne devint le théâtre dun nouveau bonheur partagé.

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— Cette maison de campagne est à moi. Toi, tu n’es qu’une invitée ici, déclara la belle-sœur.
Обнаружила у мужа второй телефон и оставила его на видном месте для раздумий