La Fille d’une Autre

Écoute, je vais te raconter ce qui sest passé avec Pierre Dubois, un gars qui croyait que le mariage, cétait pour la vie. Il avait épousé Léa Martin, une femme quil voyait comme le sommet de la féminité et du charme. Ensemble, ils ont eu un petit garçon, Luc, quils adoraient à la folie. Avant que le bambin narrive, Pierre nimaginait jamais aimer quelquun plus que sa femme, mais la vie, elle a ses surprises.

Malheureusement, le bonheur na pas duré longtemps. Quand Luc a eu trois ans et est allé à la crèche, Léa a repris le travail. Cest là quelle a croisé Sébastien Lambert, le mec qui a fini par bouleverser la vie de Pierre. Léa est tombée amoureuse, très profondément. Elle aimait toujours Pierre, mais dune façon différente. Un jour, elle lui a simplement annoncé quelle partait avec un autre.

«Pierre, ne pense pas que je tai trahi. Jai espéré que ça passerait, mais ça na pas fonctionné. Sébastien maime vraiment. Je suis désolée»

Pierre na rien répliqué. Que dire ? Il ne servait à rien de la supplier tant quelle avait déjà pris sa décision. Et surtout, il fallait rester civil pour le bien du petit Luc. Ils ont divorcé, et Pierre sest retrouvé seul. Léa le rassurait, disant quil finirait bien par rencontrer quelquun qui le reconnaîtrait à sa vraie valeur. Mais Pierre, déjà brûlé une fois, ny croyait plus.

Luc grandissait, et Pierre le voyait souvent. Avec Léa, ils sentendaient bien, tout était réglé à lamiable. Elle na même pas demandé la pension alimentaire, se contentant de dire «si tu peux, donne un peu dargent». Elle devait se sentir coupable de ce qui était arrivé. Pierre, responsable, savait combien coûte lélevage dun enfant : les frais de la crèche, les activités sportives, la bouffe qui nest plus bon marché. Chaque mois, il envoyait ce quil pouvait.

Un jour, en venant chercher Luc, Pierre a appris que son exépouse était enceinte. La vague démotions qui la traversé était bizarre : amertume, jalousie, douleur ou peutêtre même un petit brin de joie que Léa a trouvé son bonheur. Mais la joie était de courte durée. Léa a donné naissance à une fille, Mélisande, mais Sébastien la larguée immédiatement pour une autre, sans même se soucier de la petite ou de Léa. Elle nétait même pas mariée avec lui, ce qui aurait dû alerter Léa, mais elle était si aveuglée par lamour quelle na rien vu.

Pierre a aidé: il a payé une partie des frais de Mélisande, même si le père ne donnait plus rien. Quand il récupérait Luc, il pouvait aussi garder Mélisande un petit moment pour que Léa règle ses affaires, lemmener à lhôpital ou la couvrir quand elle devait partir en urgence. Ils nenvisageaient pas de se remettre ensemble, ils savaient que rien ne serait comme avant, et Léa sentait que ce serait injuste pour Pierre. Mais ils restaient amis pour le bien des enfants.

Puis, quand Mélisande a eu deux ans et que Luc est entré à lécole, le drame a frappé: Léa a été percutée par un conducteur ivre à un arrêt de bus à Paris. La voiture a perdu le contrôle, a foncé dans la foule et trois personnes, dont Léa, ont perdu la vie sur le coup, sans même atteindre lhôpital.

Pour Pierre, cétait un choc. Il ressentait encore de laffection pour Léa, même si ce nétait plus lamour dantan. Mais il ny avait pas le temps de pleurer; il fallait organiser les funérailles et rassurer Luc. En soccupant de tout ça, il a découvert que le père de Mélisande ne voulait même pas la reprendre.

Ils se sont rencontrés avant les obsèques, et le père la traité comme si elle ne comptait pour rien.

«Jai une nouvelle famille, je nai pas besoin de cette petite.»

«Cest quand même ma fille, comment peuxtu dire ça?»

«Elle est trop petite, on trouvera une bonne famille.»

«Et les proches? Ils ne la prendront pas?»

«Léa a une sœur, quelle se charge si elle veut. Ce nest pas ton problème, ce nest pas ton fils.»

Pierre connaissait la sœur de Léa: une alcoolique vivant dans une maison délabrée dans la campagne. Elle avait déjà trois enfants et ne pouvait pas soccuper dune petite. La voisine qui gardait Mélisande en attendant que tout se décide a aussi refusé de la placer sous tutelle.

«Jai presque cinquante ans, mes propres enfants sont grands. Qui voudrait dune gamine comme elle?»

Cette conversation a gardé Pierre éveillé toute la nuit. Mélisande nétait pas sa fille, mais le père biologique sen fichait, la famille était inexistante, et la mettre en foyer daccueil ne lui plaisait pas. Il se sentait responsable, comme si elle était la fille de Léa, et donc, en partie, la sienne.

Le matin suivant, Luc est venu le voir.

«Papa, Sébastien va prendre Véra?»

«Non, mon fils, il ne pourra pas.»

Pierre na jamais menti à Luc, il a préféré la vérité amère.

«Alors qui?»

«Très probablement on la mettra en foyer.»

«Un foyer? Ils lui raconteront des histoires le soir? Elle naime pas la bouillie, on pourra demander autre chose? Et on pourra lui rendre visite?»

Pierre a souri devant la naïveté de son fils. Cest rare de voir un frère aimer autant sa petite sœur. Sils la séparaient, cet amour ne reviendrait jamais. Et quand Luc sera grand, il comprendra que tout ça était une erreur.

«Et si elle vivait avec nous?» a demandé Pierre.

«Vraiment? Mais je ne suis pas son papa.»

«On peut essayer.»

Après avoir traversé toutes les démarches, Pierre a obtenu la garde de Mélisande. Le jour où il la récupérée chez la voisine, elle sest précipitée vers lui, la enlacée fort, comme si elle le connaissait depuis toujours, bien plus que son propre père.

Quand elle a vu son grand frère, elle a souri immédiatement. Elle était petite, ne comprenait pas que sa mère nétait plus, mais cétait mieux ainsi: elle aurait moins de mal à supporter la perte.

En quelques mois, Mélisande lappelait «papa», et Pierre ne corrigeait pas. Cétait son rôle, il sétait engagé à lélever. Le vrai père ne se manifestait plus, il envoyait parfois de largent, mais très peu. Pierre navait besoin de rien de sa part, il pouvait se débrouiller.

Mélisande grandissait à limage de sa mère, et avec Luc, ils se chérissaient mutuellement. Pierre sentait quil avait bien fait. Il aimait la petite comme sa propre fille, même si les gens extérieurs ne le savaient pas. Parfois, il avait même limpression quelle lui ressemblait.

Quand Mélisande a eu six ans, Pierre a finalement trouvé lamour. Il jurait de ne plus jamais se remarier, de ne plus laisser personne entrer dans sa vie, mais le destin en a décidé autrement. Sa nouvelle compagne a accepté ses enfants, Luc et Mélisande. Avec le temps, Mélisande a commencé à lappeler «maman», parce quelle navait plus de souvenir de sa vraie mère. Luc, quant à lui, respectait la femme de son père et était toujours très poli.

Pierre ne demandait plus rien de plus à son fils. Il na jamais menti à Mélisande, comme à Luc. Elle savait quil nétait pas son père biologique, mais elle lacceptait comme tel.

En grandissant, Mélisande a compris ce que Pierre avait fait : après le drame, il avait non seulement sauvé son propre fils, mais aussi une petite inconnue, quil avait élevée comme la sienne. Un soir, lorsquelle était prête à entrer à luniversité, elle sest approchée de son père.

«Merci, papa,» atelle dit.

«De quoi, ma petite?» a répondu Pierre avec un sourire.

«Merci de ne pas mavoir abandonnée, davoir eu une enfance heureuse, de ne pas mavoir séparée de Luc, dêtre devenu mon vrai père et de mavoir donné une maman.»

Pierre a souri, les larmes au coin des yeux.

«Tout le plaisir est pour moi, Mélisande. Merci à toi dêtre entrée dans ma vie. Jai enfin une vraie fille qui maime.»

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