28mai2025
Aujourdhui, la maison a de nouveau viré à la guerre domestique, et je me surprends à écrire comme si je tenais un journal intime pour ne pas perdre le fil de mes émotions.
Ce matin, je rentrais dans ma chambre, le sac de courses glissant lentement de mon épaule, lorsquune scène ma fendu le cœur: Aline, la petite sœur de mon mari, était perchée devant le grand miroir du dressing, le téléphone à la main, en train dessayer la blouse de soie que javais achetée il y a une semaine pour une présentation importante. Cette blouse, couleur rose poudré, était encore attachée à son étiquette; je lavais gardée comme un trésor.
«Marine, enlèveça tout de suite! Tu ne perds pas la tête? Cest de la vraie soie, je nai même pas encore coupé létiquette!», aije lancé, la voix tremblante dune colère qui montait déjà. Aucun bruit de la chute du sac ne ma détournée de mon étonnement.
Aline a sursauté, son téléphone a failli lui échapper des mains, puis elle a affiché ce sourire faussement innocent que je connais trop bien.
«Oh, Marine, calmetoi! Jai failli avoir un infarctus, mais je voulais juste prendre une photo pour les réseaux. Paul ma dit que tu serais tard, alors jai pensé profiter du moment. Dans cette teinte, je suis une déesse, tu ne trouves pas?»
Son parfum bon marché, à la senteur sucrée de bonbon, mêlé à une odeur de transpiration, a percuté mes narines comme une gifle.
Je me suis forcée à respirer profondément, mais la rage sest enflée en moi.
«Enlèvela, maintenant, et déposela sur le lit. Tu sais bien que la soie ne supporte pas la tension. Tu es deux tailles plus grande que moi, Aline! Tu vas la déchirer!»
Elle a roulé des yeux, mais a commencé, à contrecœur, à défaire les boutons.
«Tu pleures déjà? Nous sommes une famille. Ma mère et moi partageons tout, même les brosses à dents. Doù vient donc cette avidité? Tu ressembles à une bourgeoise avide.»
Jai avancé dun pas, redoutant quelle ne tire trop fort sur le tissu et ne déchire les coutures comme on arrache une bande de pain.
«Ce sont nos affaires personnelles, pas les tiennes. Je nai jamais donné la permission de fouiller dans mon armoire. Où étaistu? Paul?»
«Paul est sorti acheter du pain,» a marmonné Aline en jetant négligemment la blouse sur le drap. «Il ma dit de me sentir comme chez moi. Jai eu envie de voir ce que ma bellesœur porte de nouveau, parce que tu accumules les vêtements et tu ne les portes jamais.»
Jai soulevé la blouse, remarquant des taches sombres et humides sous les aisselles. La soie était irrémédiablement abîmée; elle ne pouvait être lavée, seul le nettoyage à sec pouvait peutêtre len sauver, et même cela ne ferait pas disparaître lodeur de déodorant.
«Tu as ruiné une pièce qui vaut environ cent soixanteetun euros,» aije murmuré, la voix se faisant plus sinistre.
«Allez, ce nest rien! On la lave, elle sera comme neuve. Ce nest quun petit bout de tissu,» a répliqué Aline en ajustant son teeshirt. «Je ne suis pas venue juste pour traîner, jai un vrai motif. Mais tu criais dès le seuil, lhospitalité est inexistante.»
Le bruit de la porte dentrée sest fait plus fort, suivi de la voix enjouée de Paul :
«Les filles, jai acheté des baguettes chaudes! On va prendre le thé!»
Paul est entré, le sourire se fanant dès quil a vu ma femme pâle de rage et sa sœur au visage crispé.
«Paul, pourquoi ta sœur fouille encore dans mes affaires? On en avait parlé il y a un mois, après quelle ait pris mon écharpe en cachemire et lait rendue avec un trou de cigarette.»
Paul sest gratta la nuque, indécis, entre deux positions: celui qui veut apaiser et celui qui ne fait quenvenimer.
«Alix, ce nest pas «se faire belle», cest du manque de respect!» aije lancé en jetant la blouse dans le panier à linge, sachant que je ne la remettrai plus jamais.
«Ce nest pas comparable!» a protesté Aline, le ton piqué. «Je suis ta bellesœur, pas la voisine du dessous. Jai pris une douche, alors ne me traite pas de sale.»
Paul a levé les mains. «Calmonsnous. Aline, ne prends plus rien sans demander. Allons prendre le thé, ça fera retomber la température.»
Jai refusé le thé, me barricadant dans la chambre, les mains tremblantes. Ce nétait pas la première fois; des collants, des épingles, du rouge à lèvres disparaissaient mystérieusement, puis réapparaissaient dans le sac de la bellemère.
Je me suis dirigée vers la coiffeuse pour me démaquiller, et jai découvert le pot de crème de nuit que jattendais depuis deux mois, commandé à létranger. Le couvercle était tordu, et une large cavité y était creusée, comme si quelquun avait trempé le doigt dans le produit. Une trace de fond de teint plus sombre que le mien restait au bord.
«Cest trop,» aije chuchoté.
Je suis sortie dans la cuisine où Paul et Aline buvaient tranquillement leur thé avec des baguettes.
«Aline, astu touché à ma crème?» aije demandé, la voix fatiguée mais ferme.
Elle na même pas hésité. «Un peu, mon visage était tout froissé après le travail. Tu as tellement de produits, cest comme un magasin. Un petit pot ne fait rien, non?»
«Tu as mis tes doigts sales dans le bocal!» la nausée montait à ma gorge. «Cest antihygienique, il y a des bactéries! Cest une affaire de toilette intime, comme une brosse à dents.»
Aline a haussé les épaules. «Paul, dislui! Elle est folle. On nest pas dans une salle dopération. Ma peau est propre, je te jure.»
«Ma peau est propre parce que je garde mon espace privé,» aije rétorqué. «À partir daujourdhui, ta sœur nentrera plus jamais dans notre chambre et ne sapprochera plus de mon meuble de toilette. Si je te surprends encore à toucher mes affaires, je te facture. La blouse, je la laisse, mais la crème, je la jetterai et tu me rembourseras huit cents euros.»
«Huit cents?» a lancé Aline, incrédule. «Je pourrais macheter une tenue entière avec ça!»
«Je gagne cet argent comme analyste senior, pas comme bourrée de frivolités,» aije répondu.
Les larmes ont commencé à rouler sur les joues dAline, qui a crié quelle partait. Elle a renversé sa chaise et sest précipitée dans le couloir, Paul la suivant.
Le vacarme a attiré lattention de Geneviève, ma bellemère, qui a appelé le lendemain matin. Sa voix glaciale sest glissée dans le téléphone.
«Marine, cest inadmissible. Aline a simplement voulu être belle, elle traverse une période difficile, ton mari devrait la soutenir.»
Jai expliqué que la blouse était une pièce de soie dune valeur de cent soixanteetun euros et que la crème était maintenant contaminée. Elle a rétorqué: «Tu es égoïste, tu devrais offrir la blouse à ma petitefille.»
Je nai pu que rester ferme, même si jétais épuisée.
La semaine suivante a été calme. Aline ne sest pas présentée, Geneviève na plus téléphoné. Jai réparé la blouse en la confiant au nettoyage à sec, mais je ne lai jamais remise.
Ce vendredi, cétait lanniversaire de Paul. Javais préparé un canard rôti, des salades, tout pour impressionner la bellemaman et Aline. Elles sont arrivées, Geneviève souriante, Aline un peu plus détendue. Le dîner sest déroulé sans accroc, jusquà ce quAline séclipse pour aller aux toilettes.
Je lai attendue dix minutes, puis vingt; la porte était entrouverte, la lumière éteinte. Mon cœur a raté un battement. Jai frappé, crié «Aline, ouvre!» et Paul sest précipité.
La porte sest ouverte enfin: Aline portait les escarpins italiens que javais achetés à Milan pour 300, trop petits, le talon écrasé, le cuir déformé.
«Alors, ils te vont?» aije murmuré, la gorge serrée.
Elle a essayé de les enlever, sans succès, la douleur lempêchant de bouger. Elle a hurlé, la pièce sest remplie de cris.
«Enlèveles! Tu les as abîmés! Elles valent cinquante euros!»
Finalement, Geneviève et moi avons enlevé les chaussures, laissant Aline pieds nus, les pieds enflés et rouges.
Je lui ai dit de partir, elle est sortie en colère, jurant que je la traitais comme une voleuse. Le silence a retombé sur lappartement.
Le lendemain, Paul a fait installer une serrure solide sur la porte de la chambre et une autre sur le dressing. Ce petit verrou symbolise désormais mon espace, mon sanctuaire.
Un mois plus tard, les relations restent glaciales. Geneviève ne parle quà Paul, Aline raconte que je suis une avare. Mais jai retrouvé la paix. Quand Aline veut un produit, elle me demande lURL du site au lieu de le prendre sans demander. Ce petit progrès me rassure.
Ce soir, je referme les panneaux de ma chambre, les crèmes soigneusement rangées, les vêtements impeccables. Lair est pur, sans parfum bon marché. Le verrou claque doucement, rappelant que mes limites existent et que je les défendrai, même avec un simple verrou.
Paul vient me rejoindre, me serre dans ses bras et susurre: «Ce verrou, cest notre petit secret, rien que pour nous.»
Je souris, réponds: «Ne touche plus à ma crème après le rasage, daccord?»
Il rit, et nous restons ainsi, entourés de nos petites armes: des verrous, des frontières, et la certitude que la sérénité vaut bien plus quune blouse de soie ou une paire de talons ruinés.







