Réussir en une heure : le défi à relever !

Marjolaine Dupont navait plus aucune douleur, sauf à lâme. Elle ne savait plus où elle se trouvait ni ce qui lui était réellement arrivé.

Elle scruta les environs: à lavant, au dessus, dessous et derrière, il ny avait presque rien. Autour delle tourbillonnait un épais brouillard gris.

«Bienvenue dans léternité», murmura une voix douce, presque sournoise.

Marjolaine se souvint, elle se souvint de tout!
Comment sa voiture sétait rebellée, sétait écrasée sur le bas-côté, sétait retournée dans les airs et ce dernier choc brutal qui avait mis un terme à sa vie telle quelle la connaissait.

«Je ne peux pas!» hurlatelle. «Jai un mari, un fils, ma mère est gravement malade. Jai besoin deux! Aidezmoi! Je vous donnerai tout ce que vous voudrez!»

«Proposition intéressante» répondit lentité, un sourire invisible se dessinant sur ses lèvres. «Je taiderai. Mais, croismoi, je suis sûr à cent pour cent que même toi-même tu ne pourras pas te sauver. Le prix sera terrible. Faismoi confiance, je connais les horreurs de lenfer.»

«Je ten supplie, qui que tu sois, pardonnemoi!»

«Très bien, cela mamuse.»

«Je vais scinder ton âme en quatre parts égales. Trois resteront avec toi, la quatrième sera ma garantie. Tu as exactement une heure. Mais jai le sentiment que tu te méconnais bien plus que tu ne le crois»

Marjolaine sortit dans la cour en vitesse, essayant déchapper aux bouchons du soir. Son fils était chez sa bellemère à la campagne et elle devait le récupérer.

Près de la voiture, un corbeau au plumage en désordre tenait une aile cassée. Il se rua, laborieusement, vers elle.

«Vous avez besoin dune voiture?», sexclama la voisine, toute excitée. «Emmenez le corbeau à la clinique, je paierai. Il va mourir sinon»

Marjolaine, pressée, répliqua: «Prenez un taxi, je nai pas le temps pour les oiseaux blessés.»

Le corbeau fixa ses yeux dans les siens, sécrasa à ses pieds, criait en croassant, comme pour dire «aidemoi».

Marjolaine le repoussa dun revers de pied, monta dans sa voiture, mit le moteur en route et sélança. La voisine resta figée, le corbeau sévapora comme par magie.

À la stationservice la plus éloignée, Marjolaine remplissait le réservoir quand une chienne maigre, errante, sinterposa. La bête, la queue battant lair, le regard suppliant, tenta de lattirer.

«Éloignetoi!», claqua Marjolaine en piétinant.

Mais la chienne ne recula pas. Elle sabaissa, frotta ses oreilles au sol, sapprocha, mordilla doucement le bas de la jupe et tira. Lodeur de la boue et du sang mouillé séchappa, et sous loreille de la chienne, Marjolaine distingua une puce.

«Fichetoi la paix!», siffla-telle, et dun coup de pied la fit reculer.

Elle massait son côté douloureux, ferma les portières et, sans se retourner, séloigna, laissant le pauvre animal derrière.

En roulant, elle sessuya les mains avec une lingette antibactérienne. «Quelle bande de parasites», pensatelle, entre le corbeau et la chienne.

Sur lautoroute, le trafic filait à toute allure, chacun pressé darriver quelque part. Marjolaine relâcha un peu le gaz, mais jamais totalement.

Au milieu de la chaussée, un minuscule chaton blanc, couvert de poussière, traversait lentement. Ses yeux imploraient secours, comme sil criait à laide.

Marjolaine secoua la tête, persuadée dun mirage. Elle passa à toute vitesse, jeta un œil dans le rétroviseur: le chaton sétait dressé, sétait mis sur ses pattes arrière et, avec un geste suppliant, posa ses petites pattes avant sur sa poitrine.

«Il va mourir, ce petit!», pensatelle. «Comment atil pu se retrouver sur une autoroute si fréquentée?»

Quelque chose dans le chaton sembla supplier de le ramener, même juste pour le déposer sur le bascôté. Mais il était déjà 58minutes que Marjolaine était partie, et elle navait pas le temps de soccuper dun minou.

Regardant sa montre, elle se dit quelle navait même plus le temps de vivre ellemême, alors encore moins de sauver un chaton. Elle tourna la tête une dernière fois: le petit félin la suivait, haletant, tentant en vain datteindre la voiture.

Marjolaine décida de laisser les animaux aux mains du destin, et non aux siennes.

Deux minutes plus tard, la voiture dérapa dans le même épais brouillard. Une ricanement aigu retentit, suivi de la même voix:

«Pourquoi les humains me reprochentils tout? Naije pas déjà essayé de vous aider? Trois belles chances, et vous avez simplement décidé de les ignorer.»

«Vous auriez pu déposer le corbeau à la clinique, escorter la chienne, prendre le chaton!»

La voix ricana à nouveau, mais cette fois avec amertume.

«Cest vous qui avez voulu vous arrêter, vous avez incarné le corbeau, la chienne, le chaton: trois fragments de votre âme. Vous vous en souvenez?»

Marjolaine hocha la tête. Elle revit son propre cri, ses supplications, sa tentative désespérée de freiner le temps. Elle avait été trop pressée, refusant douvrir son existence à quiconque.

«Je ne suis pas seule,» poursuivit la voix. «Beaucoup demandent une seconde chance, et jen offre toujours trois, sans que cela ne change rien. En cent ans, seuls quelques rares ont échappé à mon enfer. Je ne suis heureux que lorsque les hommes vivent et que leurs destins se transforment. La quatrième partie de lâme, je la rends sans regret.»

Marjolaine tenta une ultime prière, mais du brouillard surgirent des pattes velues, griffues et terrifiantes, savançant vers elle.

P.S. La prochaine fois que vous croisez quelquun en détresse, réfléchissez: peutêtre estce un fragment de votre propre âme qui veut vous freiner, vous avertir et vous sauver du pire qui vous attend.

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La Mystérieuse Visiteuse Nocturne