Ma nièce Clémence est venue me rendre visite, mais elle sest vexée parce que je ne lai pas invitée à dîner.
Je vis à Lyon, tandis que ma sœur Sophie habite à Marseille. Sa fille rêve dentrer à luniversité de Lyon, où elle devra loger en résidence étudiante. Avant la rentrée, elle sest déplacée ici pendant deux semaines, soit pour passer des épreuves, soit simplement pour déposer son dossier. Je nai pas suivi ces formalités; je sais seulement que se rendre sur place avant linscription est habituel. Ma sœur a convenu que Clémence resterait chez moi pendant ce temps.
Qui doit mettre la table?
Nous navions pas abordé la question de la nourriture. Si leur mère ne parle pas du sujet, elles sen occupent entre elles. En entrant, jai trouvé Clémence assise, lair boudeur, dans le salon. «Questce qui ne va pas?» lui aije demandé. Elle ma répondu quelle sattendait à ce que je lui prépare un bon repas chaud. Jai immédiatement rétorqué: «Je ne vais pas te nourrir, ni même madapter à ton emploi du temps. Il faut que je parte tout de suite! Appelle ta maman, quelle te vire de largent sur ta carte; achètetoi du fromage, des croissants, un petit pack de biscuits et du thé. Le thé, cest encore à acheter, je nen ai plus. Tu nas que dixhuit ans, ce nest pas la première fois que tu te plains!»
Sa mère néchange plus avec moi depuis longtemps; elle ignore que, dès que les enfants ont quitté le nid, mon mari Pierre a disparu dans un coin reculé et que je me suis jetée corps et âme dans le travail. Mon emploi du temps est infernal, je ne suis chez moi que sporadiquement, et je nai plus lénergie pour les tâches ménagères. Dormir un peu, ça serait déjà un luxe.
Je ne compte pas me sacrifier pour une invitée.
Cest toujours agréable de retrouver Clémence. Elle a grandi, elle est plus féminine, mais je ne suis plus la tante libre et débrouillarde que jétais, prête à préparer un repas gargantuesque sans compter le temps ou leffort.
Quelle fasse ses courses, quelle coupe, cuise ou fasse frire ellemême. Mieux encore, quelle achète quelque chose de prêt, histoire de ne pas mettre le feu à la cuisine ou dabîmer mon appartement.
Elle sest renfrogée, sest calmée et continue de bouder en silence chaque jour, sattendant sans doute à un «pension complète» avec sa mère. Peutêtre que les choses se stabiliseront. Cest difficile de passer du rôle de la bonne tante toujours disponible à celui dune femme qui ne peut plus tout faire; pendant des années, jai entretenu des relations paisibles avec toutes les personnes de mon cercle. Aujourdhui, je reste pacifique: jai offert un lit gratuit, mais sans le «service complet» dautrefois. Jai consulté un psychologue pour savoir comment expliquer, avec douceur, que je ne suis plus aussi fonctionnelle quavant; il faut réduire les attentes à mon égard.
