Le bonheur tant attendu

Antoinette se retrouve seule très tôt. Son père est décédé depuis longtemps et, alors quelle est en cinquième année détudes à luniversité de Paris, sa mère meurt également. Cest une période difficile: la soutenance de son mémoire approche, et le deuil laccable. Elle trouve pourtant du réconfort auprès des parents de Jacques, son unique proche maintenant.

Antoinette a rencontré Jacques dès la troisième année. Les parents de Jacques, MarieAnne et Pierre, laccueillent avec chaleur et respect. Tous attendent la fin des études pour les voir se marier.

Leur mariage se déroule modestement. Antoinette, surnommée Clémence, est attristée que sa mère nait pas pu assister à la cérémonie. Elle se souvient des paroles de sa mère: «Avant le mariage, il faut passer un examen de santé, ma fille». Sa mère lavertissait depuis quelle a eu dans lenfance une grave blessure en tombant dun toboggan glacé. Les médecins craignaient que cela naffecte sa future santé féminine, mais aucun avis ne pouvait être tranché.

Avant le mariage, elle suit donc lexamen recommandé. Même si son état général saméliore, la question de la fertilité reste ouverte. Elle en parle dabord à sa bellemère, qui réfléchit et répond:

Sil y a ne seraitce quune petite chance, ne désespère pas trop tôt, je parlerai avec Jacques.

Après la soirée de célibataire, Jacques arrive, un peu ivre et contrarié.

Je veux des enfants, Clémence, tu ne comprends pas? Et si on ny arrive pas? Estce encore une famille?

Antoinette pleure, le laissant décider, tout en proposant dessayer. Les médecins laissent filtrer un mince espoir, et Jacques reste le seul homme de sa vie.

Après un an de mariage, aucun résultat. MarieAnne sinquiète autant quAntoinette. Les deux familles font de grands efforts pour préserver le couple et lenvoient à Marseille, dans le cadre du «Programme Protection Femme», qui donne de bons résultats, mais la porte reste close.

Deux ans plus tard, lespoir sévanouit. Jacques, tout en soutenant Antoinette, sent le malheur grandir. Il ne blâme pas la femme, mais ne sait pas accepter une vie sans enfants. Antoinette propose alors ladoption:

Prenons un petit; nous le chérirons comme le nôtre.

Jacques refuse:

Ce bébé ne sera jamais le mien. Je ne pourrai jamais laimer comme un père.

Étrangement, les parents de Jacques lencouragent, car ils comprennent le désir de leur fils davoir son propre enfant et jugent injuste de faire grandir un enfant sans amour.

Antoinette parle alors du divorce, même si elle aime encore son mari et ne veut pas le faire souffrir.

Séparonsnous, Jacques. Tu es jeune, tu trouveras une autre femme et vous aurez des enfants.

Jacques met du temps à accepter, mais lorsquil rencontre Catherine, une nouvelle collègue dynamique qui vient darriver au bureau, il sent que son destin change. La conversation avec Antoinette devient très dure pour lui: il a limpression de la trahir, mais elle lui répond:

Chacun a son destin. Tu mérites le meilleur, ne te retourne pas contre toi-même.

Ce soir même, Jacques quitte lappartement, emportant ses affaires. Les parents de MarieAnne et Pierre le rejoignent:

Pardon de ne pas avoir pu retenir Jacques, il est venu plusieurs fois, parfois ivre, parfois abattu. Nous craignions quil ne senfonce davantage. Nous serons toujours là pour toi, tu restes notre fille.

Clémence les remercie, mais pleure toute la nuit. Ils ne divisent pas les biens, et elle reste seule dans le logement familial. Jacques se remarie rapidement.

Antoinette, cependant, ne reste pas veuve longtemps. Un bel homme, Paul, la rencontre; il la couvre de soins, mais elle néprouve aucune affection pour lui. Elle rêve encore de son exmari, qui apparaît dans ses rêves, le visage triste, les mains tendues mais inaccessibles. Elle lutte contre ces pensées, voulant changer de vie.

En hiver, Clémence tombe gravement malade. Un soir, chez Paul, elle prépare le dîner, range, puis ressent un malaise. La fièvre grimpe et Paul appelle lambulance, la gardant chez lui. Le lendemain, il est sombre, ne dit rien, prend soin delle. Lorsquelle se rétablit, il avoue:

Cette nuit, je nai pas pu te quitter. Tu appelais Jacques, me serrais la main, me disais «Jacques», me suppliant de ne pas partir. Laimestu encore?

Antoinette répond sans détour:

Oui. Je suis monogame. Cest difficile, Paul. Je ne peux pas bâtir une relation sans amour.

Elle part pour toujours. Paul ne sy oppose pas. Peu après, Antoinette apprend que Jacques vient davoir un fils tant attendu. Un nouveau coup de massue: la douleur semble irréversible.

Trois ans passent, comme dans un brouillard. Les parents de Jacques viennent parfois, comme promis, la soutenir moralement. Elle ne nourrit aucune rancune envers eux ni envers son exmari. Un jour, elle aperçoit Jacques avec son fils dans un parc, mais ne sapproche pas; il ne la remarque pas. Les larmes reviennent, le cœur reste brisé.

Finalement, elle commence à se relever. Lessentiel: il est heureux. Les parents de Jacques disent quil a une bonne épouse, attentionnée, mais quil reste distant. Ils adorent le petit Édouard et demandent à Antoinette de ne pas garder de rancune.

Je ne garde rien contre vous. Jacques na jamais menti, il a aimé à sa façon. Cest moi qui ai demandé le divorce.

Le jour de son anniversaire, Jacques lappelle, simplement pour la féliciter et lui souhaiter du bonheur. Elle sent que ses parents lont influencée, mais cet appel la déséquilibre encore: elle préfère ne plus le contacter.

Un an plus tard, la femme de Jacques, Catherine, tombe malade. MarieAnne lappelle, lui dit quil ny a plus despoir, pleure le fils et le petitfils. Antoinette se sent impuissante, traverse le cimetière, ne sait pourquoi elle y est, mais ne peut rester indifférente. Une ancienne bellemère lenlace et murmure:

Merci, ma fille. Tu nas ni haine ni malveillance.

Jacques ne la remarque pas. Quelques mois plus tard, il la rappelle, peu loquace, demandant à la voir. Elle accepte, sachant quil souffre. Ils sassied à table et discutent:

Pourquoi ne te remarieraistu pas? demandeil.

Parce que je taime. Aucun autre ne mintéresse, répondelle, et il éclate en sanglots.

Cest à la fois étrange et émouvant: jamais elle navait vu Jacques pleurer. Il propose:

Allons voir les parents, je dois prendre Édouard. Puis nous nous promènerons, si tu veux.

Le petit garçon est charmant, timide, encore très jeune. Perdre sa mère à cet âge est une épreuve terrible. Antoinette reste neutre, ne le presse pas, et il la regarde curieux.

Leurs rencontres deviennent régulières, presque chaque weekend, sans engagements, simplement pour combler leur solitude.

Un jour, MarieAnne lappelle: Jacques envisage de demander à Antoinette de revenir, mais na pas encore tranché. Il est désespéré, lannée a été longue, le petit souffre.

Antoinette rappelle immédiatement Jacques et accepte: il ny a personne de plus cher à ses yeux. Ils repartent vivre ensemble, mais la situation reste difficile. Jacques reste froid, peu communicatif, et elle doit apprendre à aimer un enfant qui nest pas le sien.

Le jour suivant, Édouard lui offre un dessin où ils sont trois sous le soleil, avec le mot «Maman» écrit par un petit crayon. Les larmes coulent sur les joues dAntoinette. Elle serre le garçon et dit:

Ta maman te regarde du haut et se réjouit de voir à quel point tu es bon. Je taime aussi. Tu es maintenant mon fils.

Ils vivent maintenant en harmonie. Jacques dégèle, accepte son amour, redevenant tendre et attentionné. Antoinette trouve enfin le bonheur quelle cherchait depuis tant dannées de solitude. Elle nest pas très religieuse, mais elle allume parfois une chandelle à léglise pour la femme disparue qui lui a donné à la fois un fils aimé et un mari aimant.

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