Mireille était une fille un peu à lancienne et elle rêvait surtout de se marier. Aujourdhui, les jeunes femmes ne veulent plus vraiment se caser: pourquoi ramener un cochon entier chez soi quand une simple saucisse suffit? Et les saucisses, elles, sont partout: toutes les variétés et toutes les tailles. Le simple fait de cohabiter est maintenant bien vu, plus considéré comme une honte comme avant. À lépoque, on parlait encore de morale, de honte, de fierté, de probité, de tout ça qui na plus vraiment de sens.
De nos jours, même Oblomov nest plus vu comme un personnage négatif: il recevait régulièrement de largent de son domaine! Un rentier, quoi. Et si on donne un smartphone à Henriun de nos gars du quartieron le qualifiera immédiatement de blogueur à succès qui a trouvé sa place. Quant à la vie de couple, on fait ce quon veut: on se voit dans des hôtels, dans des studios à lheurecest ce quon a imaginé pour vous! Il y a même le « mariage de convenance » sans passer à la mairie tout de suite. Qui sait ce qui peut arriver après la cérémonie? Avant, les chaussettes perdues ou lincapacité à préparer une bonne soupe étaient la fin du monde. Aujourdhui, les trucs les plus effrayants sont linfantilisme, le « mamanisme » et le chronic « ne rien faire » chez les hommes. Et, bien sûr, ce « ne rien faire », ça plaît aussi aux filles qui sadmirent devant le miroir.
Bref, les exigences des deux sexes ne se limitent plus au pain et au spectacle: mange ton pain tout seul, et fais du shopping, évidemment. Mireire était une exception agréable: jolie, sans aucun « tuning » à la mode, pas de muscles gonflés partout. Elle était diplômée dune grande école, avait un bon boulot et un salaire décent. Mais, étrangement, les hommes ne la remarquaient pas. Ils passaient à côté delle, formant des couples avec dautres, se plantant toujours dans les mêmes pièges.
Ça ne veut pas dire quelle na jamais eu de prétendants: elle était plutôt jolie! Mais rien naboutissait à la mairie. Elle allait bientôt avoir trente ans, et à lépoque de la «génération davant» on disait que les femmes ne se marient pas avant trente, maintenant on parle de femmes jusquà soixante ans. Elle ne voulait pas accoucher «pour elle-même» sans mari.
Mireille croyait aux horoscopes, ou plutôt aux prévisions astrologiques, comme on les appelle. Les horoscopes, cest un truc de gens malins pour se faire de largent facilement. Et en ces temps un peu compliqués, les prédictions étaient toutes très positives: «Mardi après-midi, rencontre décisive avec un milliardaire». Alors, prends ta brosse à dents, au cas où il aurait de vraies intentions
Elle cherchait son partenaire selon les signes du zodiaque: elle était Sagittaire, un signe de feu. Avec elle, on trouve aussi les Béliers et les Lionsle Sagittaire est le plus calme de ce groupe. Sa première grande histoire damour a eu lieu en première année duniversité, un âge quon qualifierait aujourdhui de «tout petit»: que comprennent les adolescents de dix-huit ans? Ils comprennent quand même les bases, même si les cours déducation sexuelle sont très différents maintenant.
Après, il a fallu payer le loyer, les transports et se nourrir. Les courses, il faut les faire soimême, plus de stock magique dans le frigo du père. Avant, les parents payaient tout, mais Mireille vivait déjà seule. Deux personnes, cest pas assez. Son petitami, Vincent, vivait avec elle dans lappartement que sa grandmère lui avait offert pour ses seize ans.
«Tu nes pas censé acheter les courses?» sétonna Vincent.
«Pourquoi moi?» répliqua Mireille.
«Le frigo, cest le tien, je ne suis pas le propriétaire!» expliquail en souriant.
«Si cest seulement ça, je te passe le gouvernail: fais ce que tu veux!» proposa Mireille, pleine desprit.
Et le gars disparut, même leurs cours étaient dans la même promotion à luniversité. Le feu du Sagittaire, quelle coïncidence
Bref, pas de mariage, mais elle faisait déjà des plans. Mireille était triste, elle aimait Vincent, son premier amour. Le temps passe, un deuxième mec est arrivé quand elle était en troisième année, mais pas de luniversité, on le connaît déjà! Sébastien était beaucoup plus âgé, plus de trente ans, et il disait: «On se marie, ma petite!» Il était divorcé, mais lamour na pas de frontières. Le problème, cest que Sébastien navait pas de travail stable. À lépoque, avant que la situation économique ne devienne compliquée, il était toujours en galère: les patrons étaient insupportables, les exigences démesurées, le rythme de travail infernal. Il mangeait à la maison, et Mireille le voyait, désemparée, proposer: «Peutêtre que je deviens livreuse?»
«Moi je suis analyste!» sexclamail.
«Un analyste peut être livreur?» demanda Mireille. «Oui, vas analyser ta route!» rétorquail, en riant, «jai dépensé mes dernières euros pour le dîner.»
«Demande à ta mère!» insistail, «cest une période temporaire!»
«Ça fait deux mois que je parle de problèmes temporaires!» répliquaelle.
«Le temps est long!» citail Mayakovski, se sentant très érudit. «Alors, tu ne demandes plus à manger!» continua Mireille, ajoutant que les temps anciens étaient révolus et quil fallait avancer.
Sébastien, capricieux, sest offusqué du «tas besoin de mes jambes» et a crié: «Cest à moi de les proposer!» Mireille, toujours futée, a répliqué: «Si cest la question, on partage les appartements à tour de rôle!» Mais le pauvre Sébastien nétait pas du tout prêt à accepter ça. Il était Capricorne, réputé très travailleur et fiable, alors pourquoi il refusait?
Après, elle a rencontré Léon, un autre qui croyait aux signes. Ils se sont rencontrés sur un forum dastrologie et ont rapidement développé des sentiments réels. Mais Léon, têtu, appelait leurs signes «zodiaques» en plaisantant.
«Pourquoi?» demanda Mireille. «Parce que cest drôle!» réponditil en souriant. Elle se souvenait des paroles de sa grandmère: «Je ne suis pas prête à tout sans toi.» Le langage du petitami était plein de néologismes bizarres, mais Mireille, déjà à vingtsix ans, commençait à en être agacée.
Tous deux avaient de bons emplois et étaient libres: Léon était divorcé, avait un fils adulte. Au début, le gars était un peu timide, puis il sest détendu et a tout donné. Un jour, devant le grandpère de Mireille, ancien agent du renseignement, le fiancé a appelé un politicien «Djerzinski», et tout le monde a éclaté de rire. Le grandpère, dorigine polonaise, a crié: «Allez, dégage!»
Finalement, Léon était Taureau, signe de terre, tout comme le Capricorne, et les Taureaux sont réputés très sensibles. Mireille a alors fait la connaissance de Pierre, un homme sans défauts apparents: divorcé, sans enfants, beau, pas trop pauvre, cultivé, avec un bon humour et un petit studio. En plus, il était économique, un vrai Vierge, signe de terre, réputé très économe, parfait pour la vie à deux.
Ils ont déposé une demande de location communa: Pierre a déménagé chez Mireille et a mis en location son ancien studio. Puis il a demandé à Mireille de le «faire vivre chez elle» ou de le «enregistrer», comme on dit aujourdhui.
«Pourquoi?» sétonnaelle. «Tu es déjà inscrit chez toi!»
«Ce nest pas la même chose!» répliquail, «on saime, on est une famille, tout doit être commun!»
Cétait une blague à la Mireille: «Transfère-moi ton appartement, sil te plaît!» Elle a ajouté: «Alors, tu crois en Dieu?»
Pierre a souri: «Oui, on saime, on veut être ensemble.»
«Daccord!» a répondu Mireille après une petite pause. «Je te fais le registre, tu me fais le registre!»
«Où?» sétonna lhomme.
«Dans mon appartement: tout devient commun!»
«Mais tu ny habites pas!» a objecté le fiancé.
«Si cest le seul problème, on alterne les appartements: un mois chez moi, un mois chez toi!» a proposé Mireille, un peu désabusée, réalisant que même là, il y avait un «videvide»: rien à gagner.
Pierre a resté sans mots, ne sachant que répondre. Mireille, toujours perspicace, a conclu: «Cest une décision très sensée!»
Et ils ont continué à se parler, à sortir, à aller au cinéma, à manger ensemble, même si le mariage ne se concrétisait pas tout de suite.
Deux des amies de Mireille se sont mariées: lune pendant six mois, lautre pendant un an. La troisième, comme dans une blague, a fini par se marier doucement. Mireille aussi a eu des partenaires civils avec qui elle a vécu plus dun mois, et il y avait de lamour, même si ce nétait pas toujours romantique.
Comme on le dit dans notre petite France un peu grinçante: «Il ny a pas de mauvais hommes», mais tout le monde a ses défauts. Mireille, qui venait de passer la trentaine, a arrêté de courir après le mariage. Elle a été promue au travail, a changé son petit studio hérité de sa grandmère pour un deuxpièces, sest acheté une voiture étrangère et a pris des vacances. Elle sest dit que la vie était belle. Aujourdhui, lâge fertile sétend jusquà soixante ans, alors elle pourra encore avoir un enfant «pour elle-même» si elle le veut, et les saucisses, elles, sont partout, à foison.







