Je nai pas sauté dans les bras de Marc pour chercher du réconfort.
Je suis resté figé, froid, mesuré, avec la patience dun chirurgien avant une opération délicate.
Chaque geste que jai posé après cette soirée était mûrement réfléchi.
Je ne voulais pas de vengeance, je ne désirais quune liberté.
Lorsque Marc ma proposé de laccompagner à linauguration dune exposition au Musée national dArt Moderne, jai compris que le moment était venu. Le passé devait enfin être laissé derrière, pour de bon.
Je suis resté longtemps sur la place devant lOpéra, après que la limousine avec Clémence et son inconnu sest éloignée.
Lila, à mes côtés, tremblait de froid et dembarras, mais je nentendais plus rien.
Dans ma tête tout tournait en boucle, comme un slowmotion : la scène, les regards, les applaudissements, la robe de Clémence, le sourire de cet homme.
Javais perdu le contrôle, une première dans ma vie.
Cette nuit-là, je nai pas dormi. Allongé dans le lit, je fixais le plafond tandis que lhorloge comptait chaque seconde de mon humiliation.
À laube, jai pris mon portable et jai écrit :
« Il faut quon parle. »
Pas de réponse, ni ce jourlà, ni le suivant.
Le troisième jour, je me suis rendu à notre vieille maison de SaintCloud, ce lieu quon appelait autrefois « le foyer ».
Clémence ma ouvert la porte, sans maquillage, en chemise blanche et jean, les cheveux humides qui sentaient le savon et la propreté. Son visage était serein.
« Je peux entrer ? » aije demandé.
« Bien sûr, » atelle répondu, sans émotion. « Mais sache que jenregistre la conversation. »
Je suis resté muet, interloqué.
« Questce que ça veut dire ? »
« Ça veut dire quaprès des années de mensonges, on apprend à garder des preuves. »
Jai avalé ma fierté.
« Clémence, ne transformons pas ça en drame. Jai fauté, cest vrai, mais je ne voulais pas te blesser. »
« Tu nas pas « fauté », Pierre, » latelle interrompu dune voix calme, presque inexpressive, mais dont les mots étaient tranchants comme une lame.
Elle sest assise sur le canapé et a déposé devant moi un dossier en cuir fin.
« Voici les papiers du divorce. La maison me revient, comme indiqué dans lacte notarié. Tu peux garder la voiture. Les parts de la société que tu as inscrites à mon nom restent à moi. »
Je suis pâli.
« Cest illégal ! Tu nas aucun droit ! »
« Jai le droit, » atelle répliqué, sûre delle. « Tous les virements passaient par mon compte. Légalement, je suis la propriétaire. Jai tout vérifié avec mon avocat. »
« Quel avocat ? » aije insisté.
« Marc. »
Son nom a retenti comme un coup.
« Ah, larchitecte, ton « ami ». Alors tu as trouvé un remplaçant. »
Clémence a souri lentement.
« Non, Pierre. Ce nest pas un « remplaçant ». Il ma simplement écoutée. La première fois depuis des années que quelquun mentend vraiment. »
Elle sest levée, sest placée près de la fenêtre et a parlé à voix basse :
« Tu sais ce qui est le plus terrifiant ? Ce nest pas linfidélité, mais la solitude dans sa propre maison. Regarder la personne à côté de toi et sentir que tu nes plus là. »
Je nai pu répondre. Mes doigts se sont serrés en poings, puis se sont relâchés.
« Et quoi, questce qui va arriver à nous ? » aije balbutié.
« « Nous » nexistent plus. Signe les papiers demain. Après ça, plus besoin de parler. »
Elle ma tendu le dossier et a quitté la pièce.
Je suis resté seul, entendant les pas de ses talons résonner dans le couloir, un bruit qui, autrefois, était le fond sonore de ma vie, et qui maintenant sonnait comme un adieu définitif.
Un mois plus tard, le divorce était officiel.
Lila a quitté le bureau sans un au revoir.
Les collègues ont commencé à me regarder avec ce mélange de curiosité et de pitié.
Ma vie sest réduite à un cercle infernal : travail, dîner, télévision, silence.
Chaque soirée se répétait, vide, comme une coquille abandonnée de mon ancien moi.
Une nuit, en errant sans but sur les réseaux, jai vu une photo : Clémence, souriante, confiante, dans la nouvelle galerie de Marc.
Mon bras reposait sur son épaule, détendu, naturel.
Il ny avait ni fierté, ni colère dans ses yeux, seulement la paix.
Alors jai compris : elle ne ma pas puni. Cest moi qui me suis détruit, par mon propre mépris.
Six mois plus tard, Clémence était sur la terrasse de sa nouvelle maison à la périphérie de Paris.
Dans le jardin, notre fils Daniel jouait avec des amis.
Marc est sorti avec deux verres de vin.
« Prête pour linauguration de demain ? » atil demandé, souriant.
« Plus que jamais, » atelle répondu doucement. « Pour la première fois depuis des années, je me sens vivante. »
Marc a posé son regard sur le coucher de soleil, ses yeux reflétant les couleurs du crépuscule.
« Parfois, il faut laisser le vieux seffondrer pour bâtir quelque chose de véritable, » atil murmuré.
Clémence a hoché la tête.
« Et ne pas avoir peur de recommencer à zéro. »
Elle a esquissé ce sourire différent, profond, qui ne vient pas des lèvres mais de lâme.
Il ny avait ni rancœur, ni douleur, seulement la sérénité.
Car la plus dure des batailles nest pas contre les autres, mais contre soi-même.
Et Clémence avait finalement gagné.







