«Dis à ton mari de ne plus jamais venir chez moi», murmure ma sœur en voulant un mariage intime, uniquement pour les proches.
André, mon époux, se tient dos à moi, feignant de fouiller le placard. Je vois ses épaules trembler, il déplace les mêmes chemises dun cintre à lautre.
«Tu connais Clothilde», poursuitil, «elle a toujours étéeh bien, hors du commun.»
Oui, oui cela fait trois ans que je suis mariée à son frère, et je reste toujours «lintruse». Comme on dit, cest clair comme de leau de roche.
«André,» disje calmement, «arrêtons ces jeux. Ta sœur a invité tout le monde: même le cousin éloigné que vous avez vu une fois aux funérailles de votre grandmère, même la voisine, tante Valérie, qui arrose les fleurs de votre mère quand elle part à la campagne. Mais pas moi. Pas ta femme. Pourquoi?»
«Quattendstu de moi?» sexclameil soudain. «Que jaille voir Clothilde et que je crée une scène? Cest son mariage, après tout! Elle a le droit dinviter qui elle veut.»
«Et jai le droit de savoir pourquoi les membres de ta famille font comme si je nexistais pas!»
André se fige, sassoit près de moi, me saisit la main de ses doigts froids et humides et commence à dire ce que je savais déjà. Il parle de la mère qui pense quil pourrait trouver quelquun de mieux que moi, de Clothilde, vexée que je naie pas assisté à son anniversaire il y a deux ans (javais 39°C, mais qui sen souvient?). Il explique que toute la tribu ne célèbre jamais en dehors dun cercle très restreint: mère, père, lui et Léa. Toute intrusion extérieure est perçue comme une menace à leur petit monde.
«Alors, questce que tu proposes?» demandaije, lorsquil a fini. «Doisje attendre que ta famille daigne maccepter?»
«Pas toute ma vie,» tentetil de sourire, «peutêtre dans cinq ans»
«Cinq ans?» ricaneje. «Je pensais à cinquante!»
André esquisse un sourire gêné et détourne le regard.
«Écoute, André,» disje en serrant sa main, «soit nous allons au mariage de ta sœur ensemble, soit tu ny vas pas du tout.»
«Christine»
«Oui, André, exactement,» lui jetteje un regard sérieux. «Tu as compris?»
Il hoche la tête comme un écolier pressé, promettant de parler à Clothilde, de régler tout. Promet, promet, promet
Deux semaines avant le jour J filent dans une tension étrange. André fait semblant que tout va bien, mais je le vois ronger ses ongles, chose quil ne faisait jamais, répondre tardivement quand je linterpelle, rester longtemps collé à son téléphone dans la salle de bain.
Un jour, je découvre par hasard son échange de messages avec Clothilde, où il ne dit rien.
«Tout va bien,» me disje.
Trois jours avant le mariage, jachète une robe de soirée, élégante, couleur dazur marin, impossible à ignorer. André la voit suspendue, se tourne vers moi, étonné.
«Pourquoi?» demandetil.
«Parce que nous allons au mariage de ta sœur,» répondje en souriant, «tu as tout arrangé, non?Comme convenu.»
Il reste muet, puis tente de changer de sujet.
«Bon,» me répèteje, un brin irritée.
Je sais déjà ce que je vais faire.
Le jour du mariage, je me lève très tôt, prépare le petitdéjeuner, dresse la table et pose des fleurs. Il y a quelques heures, il ma offert des roses blanches, comme une tentative de réparer son futur manquement. Je massois pour prendre mon café.
Peu après, André descend dans la cuisine, me voit en peignoir, les cheveux lâchés, le smartphone à la main, et un sourire sincère éclaire son visage.
«Tu euh tu ne vas pas?» demandetil prudemment.
«Et toi?» répondje paisiblement.
Il se tend, comprend quil est piégé, mais le sommeil lempêche de réagir correctement.
«Assiedstoi, le petitdéjeuner refroidit,» linviteje.
Il sassied en face, et commence:
«Christine, écoute Jai pensé que peutêtre je devrais vraiment partir seul. Juste pour la forme: je viens à la cérémonie, puis je reviens immédiatement. Tu comprends, cest ma sœur, je ne peux pas simplement ne pas y aller»
Je termine mon café, pose la tasse doucement.
«Bien sûr que tu ne peux pas,» disje dune voix la plus chaleureuse possible, «cest ta sœur. Dépêchetoi, sinon tu seras en retard.»
Il membrasse la joue, file sous la douche, puis court partout dans lappartement à la recherche de ses accessoires.
«Où sont mes boutons de manchette? Mon cravate? Mes chaussures?» sexclametil sans cesse.
Je le regarde, amusée, puis, quand il est presque prêt à sortir, je lui dis à voix basse:
«Laisse les clés sur la table de chevet.»
«Quoi?» sétonnetil.
«Les clés de lappartement. Laisseles,» répèteje avec le même ton doux. «Tu récupéreras tes affaires plus tard, ne ten fais pas, je les ramasserai.»
Le silence devient lourd, même la pendule de notre grande horloge semble sarrêter. André se tient dans lembrasure, vêtu, souriant, mais totalement désemparé.
«Christine» commencetil plaintivement. «Tu ne plaisantes pas?»
«Très sérieusement,» rétorqueje, «tu as fait ton choix, André, et je laccepte. Va au mariage de ta sœur, amusetoi. Mais ne reviens pas.»
«Mais cest absurde!» sexclametil. «À cause dun mariage, tu veux que»
«Ce nest pas le mariage,» répliqueje, «cest le fait que tu nas jamais essayé de faire quoi que ce soit pour moi. Tu as juste fait semblant davoir réglé les choses, espérant que je reculerai à la dernière minute. Comme dhabitude.»
«Christine, laisse tomber» il sourit, «pourquoi tu en fais tout un drame? Tu nes jamais une reine du théâtre!»
«André,» disje, «tu ne comprends vraiment rien ou tu fais semblant? Ta famille ne maccepte pas! Depuis trois ans, ils me laissent clairement de côté. Et toi astu fait quoi pour changer la situation?»
«Eh bien» bafouilletil. «Jai parlé à ma mère»
«Et quastu dit?Accueille ma femme, elle est bonne, vraiment bonne.»
«Christine» tentetil de sapprocher, mais je recule.
«Tu avais promis de parler à ta sœur, de régler le problème. Tu ne las pas fait, nestce pas?»
Il rougit, baisse les yeux.
«Allez, André,» disje, «dis bonjour à Clothilde de ma part.»
«Tu veux que je reste?» demandetil en dernier recours.
«Et tu veux rester avec moi?» rétorqueje. «Peuxtu défier ta famille et ne pas aller au banquet? Quand les appels senchaîneront, dirastu que tu ne viens quavec moi?»
Après un instant dhésitation, il répond:
«Ce nest pas très pratique»
«Alors pars, si cela test plus commode. Et ne reviens pas chez moi,» affirmeje fermement. «Cest mon appartement, jai le droit de te mettre à la porte. Tu ne me valorises pas, tes parents et ta sœur comptent plus que ta femme. Pourquoi continuer à vivre ensemble?»







