Se montrer sous son meilleur jour devant la belle-mère

Romain, le mari de la fille, était aux yeux de Félicité Georges un être à la fois incompréhensible et étranger.
Il navait jamais été vraiment élevé au rang de « bon petit mari », et la vie de couple lui semblait loin dêtre son domaine de prédilection.

À la maison, Romain était souvent absent: soit la charge de travail le retenait, soit il senvolait «pour une mission urgente» avec ses copains, comme le feraient des aventuriers du dimanche. Rien ne ressemblait à la routine dun bon Français moyen!

Félicité, déjà un peu inquiète pour sa fille, se demandait où en était leur union. Trois ans de mariage, toujours pas denfant, et il semblait que les amis coûtaient plus cher que la famille. La petite Clémence, elle, répondait que «ils ne sont pas pressés, ils sont encore jeunes». Mais qui sait? Peutêtre Romain cachait une maîtresse quelque part, et Nadine, la sœur de Clémence, fermait les yeux en croyant tout ce que son mari lui disait.

Même si Clémence était satisfaite de son époux et même si le couple vivait à part, pour Félicité lessentiel était que Nadine (la fille) soit réellement heureuse. Il fallait donc intervenir, mais comment?

Félicité nétait pas du genre à donner des leçons de morale, elle naimait pas imposer sa façon de vivre. Mais laisser les choses se décanter sans rien faire nétait pas une option non plus. Il fallait mieux connaître le gendre, le comprendre, et ainsi faire la lumière sur la situation.

Avec le temps, la bellemaman de Romain a fini par déchiffrer son caractère: il aimait se pavaner un peu devant les autres, se mettre en avant. Ainsi, le jour de son anniversaire, il a offert à Félicité un bouquet de roses gigantesque. Tous les invités ont été bouche bée et lont encensé:

«Quel gendre en or! On voit tout de suite quil aime sa bellemaman, il nest pas avare.»

Le bouquet était effectivement un vrai plaisir, mais il était évident que Romain navait pas agi par amour ou respect, mais pour se montrer, pour se faire remarquer. Félicité la jugé mentalement comme du gaspillage: «Il aurait pu me donner cet argent en espèces; ce bouquet ne vaut même pas cinq mille euros.» Elle resta cependant muette, parce que, même si la dépense était excessive, le geste restait agréable.

Après réflexion, elle décida que le gendre avait du potentiel et que ses qualités pouvaient être mises au service de la famille. Dautres beauxfils aident volontiers à la ferme, ou gagnent bien plus. Romain, lui, ne supporte pas la campagne; il voyage sans cesse, rien ne le retiendra à la campagne.

Puis le sort lui a donné une occasion, bien que peu reluisante: le mari de Félicité, Michel Émeric, a eu un petit accrochage. Alors quil était arrêté au feu rouge, un pressé a heurté son parechoc en voulant «griller le feu». Le conducteur, tout penaud, la même accusé de ne pas lavoir laissé passer, ce qui le rendait responsable à leurs yeux.

Michel, homme tranquille, accepte volontiers la faute pour éviter les disputes. «Je prends la responsabilité, même partiellement, comme on le fait bien à la française,» disaitil. Un jour, Félicité sest rappelée que Romain avait déjà dit :

«Si jamais il y a un souci avec la voiture, je suis prêt à aider!»

À ce moment, Romain a réellement sauté sur loccasion, même si dhabitude il se dérobe aux demandes en invoquant le travail.

«Au feu rouge? Et vous blâmez Michel? Jarrive tout de suite, indiquezmoi le lieu,» a-t-il répondu au téléphone de Félicité.

Il sest précipité sur les lieux, a dialogué avec les agents de la police, a cité les articles du Code de la route et, au final, Michel a été disculpé.

Après cet épisode, Romain est arrivé comme un héros devant sa bellemaman. Elle ne lavait jamais vu aussi enthousiaste. Clémence a même expliqué à sa mère :

«Maman, il est comme ça, Romain; il adore les urgences au travail, ça le motive. Il veut se sentir héros, alors il peut déplacer des montagnes. La vie tranquille ce nest pas son truc, il est un peu garçon manqué. Dailleurs, il travaille au service de secours, il aide ses amis en panne, il tire les bateaux retournés, il ramène du poisson à un copain qui a chaviré»

«Je me demandais pourquoi tu ne mavais pas parlé de son côté généreux, javais peur quil soit ingrat,» a souri Félicité.

«Je pensais que vous diriez que je nai pas trouvé le bon mari, que vous voudriez tout en ordre comme dans les magazines,» a rétorqué Clémence. «Mais notre vie est un volcan, on adore ça!»

«Excellent,» a conclu Félicité en serrant sa fille dans ses bras, et a commencé à planifier la suite du programme familial.

Quand la grandmère de Félicité, Tatiane, a eu un sérieux problème de dos à la campagne, il a fallu la transporter à lhôpital de Paris. La première chose que la vieille dame a faite a été dappeler Romain :

«Romain, on ne pourra pas se débrouiller sans toi, la mamie pèse pas mal, comment la bouger?»

Romain est arrivé avec un ami dans un fourgon de service équipé dun fauteuil médical. Ils ont chargé Tatiane, lont installée confortablement et lont conduite à lhôpital. Depuis ce jour, Félicité a plus de respect pour son gendre.

Puis, un jour dhiver, Félicité a acheté de petites râteaux dans un magasin du quartier, un achat quelle attendait depuis longtemps. En rentrant chez elle, elle a glissé devant la maison voisine, sest agrippée au râteau pour ne pas tomber et a accidentellement rayé la portière dune voiture. Lalarme a retenti, le propriétaire sest précipité, furieux :

«Eh! Vous avez rayé ma voiture! Jai même une caméra intérieure!»

Heureusement, Romain, qui passait dans sa vieille petite citadine, sest interposé :

«Monsieur, ce nest pas ma faute, cest la vieillemaman qui a perdu léquilibre, ma voiture est aussi ancienne, je suis sûr que vous navez même pas de rayure. Regardez, ça ne vaut même pas mille euros, vous pouvez garder largent,»

Le propriétaire a finalement accepté de payer mille euros pour la réparation, et la réputation de Félicité a été sauvée dun gros embarras.

Le fait que Romain lait appelée «ma mèreenlaw» (ma «maman»), la encore plus charmée. Elle a compris que cétait son côté chaleureux et serviable qui faisait que sa fille aimait tant Romain.

Grâce à un petit stratagème, Félicité a même gagné un petitpetitgrandenfant. Un jour danniversaire du père, Clémence et Romain sont venus féliciter Michel. En papotant, Clémence a rappelé un souvenir denfance et a demandé comment allait la petite amie de son voisin, Gaëlle.

Félicité, qui savait que Gaëlle était en vacances avec son mari, a glissé, presque à voix basse :

«Lydie, la mère de Gaëlle ma confié quils rêvent davoir un petit garçon. En hiver, les garçons arrivent plus souvent, cest pourquoi ils partent se reposer»

Elle a haussé les sourcils, complice. Romain, revigoré, a gratifié la conversation :

«Des garçons cet hiver? Nous aussi, on aurait besoin dun petit héros pour rejoindre les pompiers!»

Peu de temps après, Clémence a annoncé quelle était enceinte, et à la fin de lété, le petit Denis est né, devenant le petitpetitenfant tant attendu de Félicité.

Aujourdhui, Romain adore sa bellemaman, elle adore son gendre. Cest un bon gars; on ne le perd jamais. Sil naime pas la campagne, il finira peutêtre par ladorer quand les enfants y viendront rendre visite à leurs grandsparents.

Nous sommes tous différents, mais il vaut mieux chercher le bon côté chez les autres, car il y en a presque toujours, plutôt que de saccrocher aux défauts.

Bonne santé, bonheur et un brin de sagesse à tous.

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