Je rentrai, ma femme Claudine à mes côtés, du restaurant du Marais où nous avions fêté mon anniversaire. La soirée sétait déroulée à merveille : de nombreux convives, la famille, les collègues, beaucoup que Claudine rencontrait pour la première fois, mais puisque javais décidé de les inviter, cela devait être justifié.
Claudine nétait pas du genre à contester mes décisions ; elle évitait les disputes. Il lui était plus facile daccepter que de prouver quelle avait raison.
Claudine, tu as les clés quelque part? Tu peux les sortir?
Elle fouilla son sac à main, chercha les clés et, soudain, ressentit une douleur qui la fit laisser tomber le sac par terre.
Questce qui se passe?
Je me suis éraillée avec quelque chose.
Dans ton sac, on peut se perdre, alors ce nest pas étonnant.
Elle ne répliqua pas, releva le sac et retira délicatement les clés. Nous entrâmes dans lappartement, et lincident seffaça peu à peu. Ses jambes la dolâient de fatigue, elle ne pensait quà la douche et au lit. Au matin, un fort mal à la main la réveilla ; son doigt était rouge et enflé. Elle se souvint de la blessure dhier et, poussée par la curiosité, ouvrit à nouveau son sac. Au fond, elle découvrit une grande aiguille rouillée.
Cest quoi ça?
Elle ne comprit pas comment cet objet avait pu sy retrouver. Elle jeta laiguille à la poubelle, alla chercher une trousse de secours pour désinfecter la plaie, puis, après sêtre pansementée, se rendit au travail. Vers midi, la fièvre monta.
Elle mappela :
Thomas, je ne sais plus quoi faire, je crois avoir attrapé quelque chose de mauvais hier. Jai de la fièvre, la tête me tourne, tout le corps me fait mal. Imagine, jai trouvé une grosse aiguille rouillée dans mon sac, cest avec ça que je me suis piquée.
Il faut que tu ailles voir un médecin, ça pourrait être un tétanos ou une infection.
Ne dramatise pas. Jai soigné la plaie, tout ira bien.
Mais chaque heure qui passait, son état se dégradait. À bout de forces, elle appela un taxi pour rentrer, trop épuisée pour les transports en commun. En arrivant, elle seffondra sur le canapé et sombra dans le sommeil.
Dans son rêve, apparut sa grandmère Germaine, décédée quand Claudine était encore petite. Elle ne sachait pas comment elle la reconnaissait, mais elle en était certaine. Germaine, vieille et courbée, aurait pu faire peur, pourtant elle semblait vouloir aider.
Germaine guida Claudine à travers un champ, lui montra quelles herbes cueillir, lui ordonna de préparer une infusion pour purifier le corps. Elle lui dit quune personne voulait lui nuire, mais quelle devait survivre pour combattre. Le temps pressait.
Claudine se réveilla en sueur, persuadée davoir dormi longtemps, mais en regardant sa montre, quelques minutes seulement sétaient écoulées. Le bruit dune porte qui claquait retentit : cétait moi qui rentrais. Elle se leva du canapé, descendit dans le hall. En me voyant, je retins mon souffle.
Questce qui tarrive? Regardetoi dans le miroir.
Elle savança vers le miroir. Hier encore, elle y voyait un visage souriant et éclatant. Maintenant, elle ne se reconnaissait plus : les cheveux en mèches, des cernes sous les yeux, le teint livide, le regard vide.
Que se passetil?
Se rappelant son rêve, elle me dit :
Jai vu ma grandmère, elle ma indiqué ce que je devais faire
Habilletoi, on file à lhôpital.
Je ny vais pas, Germaine a dit que les médecins ne maideront pas.
Une violente dispute éclata. Je la traitai de folle, perdue dans la fièvre et obsédée par des visions. Cétait la première fois que nous nous disputâmes ainsi. Je voulus lobliger à aller à lhôpital, la saisis par le bras et tentai de la tirer hors de lappartement.
Si tu ne veux pas y aller de ton plein gré, je te forcerai.
Elle se déboula, perdit léquilibre et se heurta à un coin darmoire. Fou de rage, je saisis mon sac, claquai la porte et sortis. Elle réussit à envoyer un message à son chef pour expliquer son absence pour maladie.
Je rentrai tard, après minuit, mexcusant, mais elle me répondit simplement :
Ramènemoi demain au village où vivait ma grandmère.
Le lendemain, elle ressemblait à un corps vivant, mais loin dêtre rétablie. Je la pressai encore :
Ne sois pas stupide, allons à lhôpital, je ne veux pas te perdre.
Nous partîmes vers le village. Elle ne se souvenait plus du nom exact, cela faisait des années que nos parents avaient vendu la maison de Germaine après son décès. Tout le trajet, elle dormit. À lapproche du hameau, elle séveilla et déclara :
Cest ici.
Je la laissai descendre du véhicule ; elle seffondra sur lherbe, épuisée. Elle savait quelle était exactement là où Germaine lavait guidée dans son rêve. Elle ramassa les herbes nécessaires, nous rentrâmes, et je préparai linfusion selon ses instructions. Elle la but à petites gorgées, ressentant peu à peu un regain de force.
En allant à la salle de bains, elle remarqua que son urine était noire. Au lieu de seffrayer, cela lui rappela les paroles de sa grandmère :
La noirceur séchappe
Cette nuit, Germaine réapparut en rêve, souriante, puis parla :
Laiguille rouillée a jeté un sort sur toi. Mon infusion te redonnera du courage, mais seulement un instant. Tu dois démasquer celui qui a lancé le sort et lui rendre le mal. Je ne sais pas qui cest, mais cela a un lien avec ton mari. Si tu navais pas jeté laiguille, jaurais pu en dire plus.
Fais autrement. Achète un paquet daiguilles, prononce sur la plus grosse: «Esprits de la nuit, entendezmoi! Aidezmoi à découvrir la vérité, à trouver mon ennemi». Place cette aiguille dans mon sac. Celui qui a jeté le sort se piquera avec ton aiguille. Nous apprendrons alors son nom et pourrons rendre son mal.
Le rêve sestompa comme la brume.
Je restai à la maison pour moccuper de Claudine, mais elle voulut sortir faire les courses seule.
Claudine, ne plaisante pas, tu es à peine debout. Jy vais avec toi.
Thomas, prépare une soupe, jai un appétit terrible après cette maladie.
Elle suivit les conseils de Germaine. Le soir, laiguille enchantée était déjà dans mon sac. Avant de se coucher, elle me demanda :
Tu es sûr que tu ten sortiras seule? Peutêtre que je devrais rester près de toi.
Je tiendrai le coup.
Elle se sentait mieux, mais savait que le mal persistait. Linfusion du troisième jour agissait comme un antidote, affaiblissant la noirceur. Elle attendit patiemment mon retour du travail, me salua à la porte et demanda :
Comment sest passé ta journée?
Tout va bien, pourquoi?
Je pensais que tout était perdu, puis je lui racontai :
Aujourdhui, Ivoine, de notre service voisin, voulait maider et a cherché les clés de mon bureau. Elle a mis la main dans mon sac et sest piquée avec une aiguille. Doù sortaitelle? Elle ma regardé avec tant de haine que jai cru quelle allait me tuer du regard.
Et cette Ivoine?
Claudine, tu es la seule qui compte pour moi. Je ne taime que toi.
Elle était à mon anniversaire au restaurant?
Oui, cest une bonne amie, rien de plus.
Claudine comprit alors comment laiguille avait fini dans son sac. Je partis préparer le dîner. Cette nuitci, Germaine lui montra comment rendre le mal à Ivoine. Elle lui expliqua que Ivoine voulait éliminer la rivale afin de prendre ma place. Si elle ny était pas parvenue, elle recourrait à nouveau à la magie. Cette femme ne reculerait devant rien.
Claudine suivit les instructions de sa grandmère. Peu après, je linformai quIvoine était en arrêt maladie, gravement malade, les médecins ne pouvaient rien.
Claudine me demanda alors de lemmener le weekend au village, au cimetière où je nétais jamais allé depuis lenterrement de Germaine. Elle acheta un bouquet, des gants pour nettoyer la vieille terre. Elle trouva finalement la tombe de Germaine. En sapprochant, elle vit une photo sur le monument: cétait la même femme qui venait dans ses rêves, celle qui lavait sauvée. Elle rangea la tombe, déposa les fleurs dans un vase deau. Elle sassit sur un banc et dit :
Grandmère, pardonnemoi de ne pas être venue plus tôt. Je pensais que nos parents venaient une fois par an, ça me suffisait. Je me trompais. Dorénavant, je viendrai souvent. Sans toi, je ne serais peutêtre plus là.
Je sentis comme une main invisible poser son poids sur ses épaules. Elle se retourna, mais il ny avait que le souffle léger du vent







