«UN GARÇON POUR LE SACRIFICE»

30 avril2025

Aujourdhui jai encore une séance avec le DrLefèvre, psychologue à la rue de la République, Paris. Il ma fixé du regard et, dun ton calme, ma dit que je partageais la responsabilité de mon divorce avec Marie, ma femme depuis dixhuit ans. «Vous deux êtes également fautifs», at-il affirmé. «Ce nest pas 90%/10% mais bien 50%/50%». Jai senti mon cœur se serrer; elle, de son côté, criait que cétait lui qui avait détruit le foyer.

Je lai questionné : «Que doisje faire maintenant? Jai deux filles, Élise et Camille. Pierre les adore, mais je ne supporte plus mon mari.» Le DrLefèvre a hoché la tête, comme sil possédait une baguette magique qui remettrait tout en ordre.

«Dabord, respirez, Jean. Ne foncez pas tête baissée, vous risqueriez de vous briser. Qui prendra soin des enfants? Elles ont besoin dune mère stable, pas dune hystérique. Vous comptez rebâtir une relation?»

«Jamais! Pas question de retomber encore dans la déception.»

Il ma rappelé que je suis encore jeune, que la vie sétale devant moi. «Pourquoi vous êtesvous marié?»

«Pour le bonheur,» aije murmuré, les larmes roulant le long de mes joues.

«Tout le monde veut le grand bonheur, mais les divorces surviennent trop souvent. On nous apprend les maths à lécole, pas les subtilités du couple.»

Il a soupiré lourdement. «Les années passent, la jeunesse sévapore.»

Jai raconté combien javais supporté Pierre pendant quinze ans, tolérant ses silences, ses gestes passifs, son parfum de fleurs que je ne sentais plus. «Je ne veux plus le voir! Tout notre amour est en miettes.»

Alors le DrLefèvre a proposé une expérience. «Acceptezvous, Jean?»

«Quelle expérience?» aije demandé, intrigué.

«Après une pause, cherchez un «garçon à frapper» pour vous entraîner à la vie de couple. Apprenez à vivre avec un homme, à vous sentir à laise.»

«Où en trouver un?»

«Vous navez même pas besoin de chercher. Ce «garçon à frapper» pourrait être votre exmari.»

«Comment?»

«Vous ne le regrettez plus, vous pouvez le laisser partir. Expérimentez, cest une situation gagnantegagnante.»

Je me suis lancé, ny perdant rien. Pierre était devenu un poids mort ; je lai quitté avec les deux filles, loué un petit appartement à Lyon. Le tribunal a prononcé le divorce. Pierre a supplié, offert des fleurs, même proposé une séance au hammam, mais jétais épuisé.

Quand je suis allé minstaller dans le nouveau logement, le sentiment de liberté était immense. Je flottais, presque comme dans les nuages. Mais les filles sont revenues avec leurs questions :

«Maman, cest la faute de papa?»

Jai été désemparé, ne sachant comment expliquer que la vie avec leur père était terminée, que ses mots nétaient que vent.

Jai donc repris rendezvous avec le DrLefèvre, espérant une éclaircie.

Un mois après la séparation, jai appelé Pierre :

«Salut, ça va? On se voit? Jai quelques questions.»

«Masha? Cest toi? Bien sûr, je suis dispo à tout moment!», a-t-il jubilé.

Nous nous sommes retrouvés sur un banc du parc du Luxembourg. Il a tenté de se rapprocher, de me prendre la main. Nous avons bavardé de tout et de rien, sans véritable question. Il ma raccompagné chez moi, ma embrassé sur la joue, a remis des bonbons aux filles.

En franchissant la porte, je lai vu encore debout à la fenêtre, jai levé la main en signe dau revoir, il a renvoyé un baiser aérien. Ces rendezvous discrets avec mon exmari me convenaient, sans disputes, sans éclats de vaisselle ; la vie reprenait des couleurs vives.

Nous nous sommes vus une fois par mois, au café, au cinéma, dans le parc. Mon quotidien sest tissé de joie. Un an a passé.

«Pierre, on se voit aujourdhui?», aije demandé avec enthousiasme.

«Désolé, Jean, je suis trop occupé. Je te rappelle quand jai un moment», atil raccroché.

Ce refus sest répété troisquatre fois. Jai senti la jalousie monter, le doute me ronger. Jai appelé Pierre :

«Pierre, les filles veulent aller au zoo.»

«Je suis à la maternité avec ma femme,» atil répondu, haletant.

«Quelle femme? Tu plaisantes?», aije crié.

«Non, nous attendons un fils avec Lily.»

Je suis resté sans voix, ne pouvant que murmurer :

«Adieu, je vous souhaite un bonheur sans nuages.»

Ce jourlà, jai compris que le «garçon à frapper» nétait quune illusion, un test qui me poussait à accepter les ruptures avec sérénité. La leçon que je retire de tout cela, cest que lon ne peut pas forcer le cœur à aimer, mais on peut choisir de se libérer de la douleur et de laisser la vie reprendre ses couleurs, même si elles ne sont plus celles dun tableau parfait.

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«UN GARÇON POUR LE SACRIFICE»
Impuissance et désarroi : entre confusion et sentiment d’abandon