Le vieux grincheux m’a offert un peigne. Ce qui s’est passé ensuite a bouleversé toute ma vie.

26 février Jécris ce soir, le cœur encore tremblant après ce qui a changé ma vie.

Je flânais dans la petite boutique du Marais, au coin de la rue Montorgueil, quand jai aperçu une brosse à cheveux posée sur létagère la plus reculée, comme si elle mattendait. Un rayon de la lampe fluorescente a frappé le manche argenté, le faisant scintiller dune lueur froide et métallique. Jai été arrêtée net, comme plantée. Ce nétait quune brosse, mais jamais je nen avais vu de pareilles. Le manche était lisse, mat, en métal poli, et les dents pas de simples dents, mais des éclats arcenciel, semblables à du verre de glace illuminé par le soleil.

Jai tendu la main, mais mes doigts se sont figés à un centimètre du manche. Une contradiction ma serré le cœur. «Pourquoi?», ma rétorqué une voix intérieure sévère. «Chez toi il y a déjà une brosse ordinaire, belle et fonctionnelle. Dépenser pour un caprice, cest gaspiller de largent.» Jai soupiré, reculé, mais mes yeux restaient rivés sur lobjet, hypnotisés. Jimaginais les dents glisser sur ma chevelure rousse indisciplinée et un sourire sest involontairement dessiné sur mon visage.

«Mademoiselle! Une belle brosse, prenezla!» a annoncé la vendeuse dun ton enjoué, les yeux pétillants.
«Nous nen avons plus que deux, ditesmoi, elles sont à la fois jolies et très pratiques, elles ne semmêlent pas», a-telle ajouté.

«Je je regarde seulement,» aije balbutié, embarrassée, en reculant dun pas. «Jai déjà ma brosse, elle me suffit.»

Je me suis détournée, évitant létagère, et je me suis dirigée vers la sortie. Un petit miroir accroché au mur a capté mon regard ; sous mon béret, de petites mèches rebelles séchappaient en touffes orange. Une envie enfantine ma de nouveau saisie.

«Non», me suisje dite fermement. «Il faut être économique, savoir renoncer à ce qui nest pas nécessaire.»

Je suis sortie sur le trottoir, le visage caressé par le vent froid de février. Lair vivifiant ma ramenée à la réalité. En bas, sur la route glissante, le voisin que tout le quartier surnomme «le Grincheux» avançait lentement. Son vrai nom est Pauleau Timothée, mais personne nutilise que cela. Vieil homme au regard glacial, les enfants lévitent, il ne parle à personne et, lorsquon le regarde, ses yeux noirs semblent brûler.

Il portait son habit habituel: un vieux manteau de lapin usé, un vieux pardessus gris, des bottines usées. Mais un détail brisait la morosité de son allure: une sacoche en toile grise, délicatement brodée dune fleur nacrée, suspendue à son épaule. On sentait quelle était confectionnée avec soin.

Nos yeux se sont croisés, et dans ses yeux bleus délavés a traversé létincelle dune vieille rancune. Jai détourné le regard, feignant de mintéresser à la vitrine, le cœur battant contre ma gorge.

«Hey! Toi, làdessus!», a tonné une voix rauque près de moi. Je nai pas compris.
«Hey! Je tadresse la parole!», a répété la voix, plus forte.

Je me suis retournée lentement. Pauleau Grincheux, en grinçant, montait les marches de la porte dentrée du hall, les yeux fixés sur moi.

«Tu habites dans le même immeuble?», atil demandé, haussant les sourcils poivreetsel. Une odeur de menthe et de vieux tissus flottait autour de lui.

Je suis rougissante: «Euh oui, cest ça»

««Comme»?cest oui ou non?», atil rétorqué, ses yeux scintillant dune lueur malicieuse.

Je nai fait que hocher la tête, prête à un conflit. Une poussée dadrénaline ma envahie.

«Aidemoi alors, daccord?Jai besoin dun cadeau. Tu es une jeune fille, et ma petitefille, Marcelline, est aussi une fille. Ma petiteenfant vit loin, je ne la vois plus depuis longtemps.», a murmuré le vieil homme, presque à voix basse.

Une lueur de désespoir réel sest reflétée dans le coin de ses yeux.

«Peutêtre devriezvous appeler Marcelline directement, lui demander ce quelle désire?Au moins par téléphone?», aije proposé, hésitante. «Je ne sais pas ce qui pourrait lui plaire»

«Je ne peux pas la contacter,» atil coupé, le visage à nouveau figé. «Cest le destin. Alors, tu maides?Tu choisirais quoi?»

Lidée de la brosse mest revenue: elle était aussi étrange et belle que la sacoche. Elle serait le cadeau idéal.

Malgré la peur qui restait, quelque chose a tremblé en moi. Jai même osé toucher le revers de son manteau.

«Allonsy,» aije murmuré. «Jai vu quelque chose qui me paraît convenir.»

Je lai conduit de nouveau vers le magasin, sentant le tissu rugueux de son pardessus sous mes doigts. Il avançait, appuyé sur une canne que je navais jamais remarquée. Nous sommes arrivés devant le même comptoir.

«Voilà,» aije pointé lobjet qui brillait. «Il me semble que cela plairait à une jeune femme.»

Pauleau a tendu la main avec effort, saisissant la brosse. Il la examinée avec de grandes mains marquées de rides et de taches vieillissantes, comme sil cherchait à percer un souvenir lointain. À cet instant, il nétait plus le «Grincheux», mais un vieil homme épuisé et solitaire.

«Il nen reste que deux,», a répété la vendeuse, comme un écho. «Les bonnes brosses partent vite.»

Il a levé les yeux vers moi, son regard bleu vacillant. Un léger sourire a effleuré ses lèvres, comme celui dun pirate qui se souvient dun trésor caché.

«Je prends les deux,», atil déclaré dune voix ferme, sortant de son pardessus un petit portefeuille en cuir usé.

Je voulais protester, mais les mots se sont emmêlés dans ma gorge. Il a compté soigneusement les billets de 10, 20 et 50, avec la précision dun homme qui connaît la valeur de chaque centime.

La vendeuse a enveloppé les brosses dans deux petits sachets. Lun, Pauleau la placé délicatement dans sa sacoche à fleur nacrée, comme sil manipulait un trésor fragile. Lautre, il la tendu à moi.

«Tiens, prendsla.»

Jai reculé comme si on moffrait du charbon brûlant.

«Non, ce nest pas pour moi, vous avez votre petitefille»

«Prends,» insistail, le regard dur mais plein de tendresse. «Cest un petit cadeau, de ma part, à toi et à Marcelline.»

Son ton portait encore la lourde tristesse dun père qui na jamais pu dire au revoir. Jai saisi la brosse, le plastique étonnamment chaud, presque vivant.

Nous sommes sortis, marchant en silence vers nos immeubles. Je portais le paquet comme si un oiseau fragile pouvait senvoler à tout moment. Mes pensées tourbillonnaient: «Pourquoi?Pourquoi latil fait?»

Le froid de février caressait mon visage, mais le silence entre nous était dabord tendu, puis se détendit peu à peu. Son pas, habituellement lourd, semblait alourdi par un fardeau invisible.

«Merci,» aije fini par dire, la voix brisée. «Elle est vraiment jolie. Je lutiliserai.»

Il a hoché la tête sans me regarder.

«Marcelline sera ravie,» aije ajouté doucement.

Il a ralenti, soupirant profondément, comme si lair même pesait dans ses vieux souliers.

«Je ne sais pas si elle sera contente,» atil murmuré, grinçant. «Ma fille, Yvonne elle ne voudra pas que je lui offre quoi que ce soit.»

Un silence lourd sest installé, puis, subitement, il a éclaté:

«Elle me reproche davoir perdu sa mère, ma petite Olène»

Sa voix sest cassée, il a toussé, comme sil sétouffait.

«Elle est morte dans mes bras, on a dit appendicite, puis péritonite. Le jeune médecin sest trompé Deux jours précieux perdus. Javais confiance en lui»

Il a essuyé son visage avec la manche de son manteau.

«Ma fille est venue quand tout était déjà fini. Depuis, cinq ans se sont écoulés, aucune parole. Ma petitefille a essayé de appeler, mais Yvonne la empêchée. Elle aimait sa mère, et moi jaimais aussi. Ma vie sest arrêtée ce jourlà.»

Nous étions devant la porte de son appartement. Il sest arrêté, se retournant vers moi, le visage déformé par une souffrance muette qui me serrait le cœur.

«Mila, ne sois pas avare, entre, je te montre ce quOlène préparait.»

Jai hoché la tête, la peur sest évanouie, remplacée par une compassion profonde. En franchissant le seuil, lair était chargé dun parfum ancien: plantes séchées, vieilles pages, un léger parfum de parfum fané.

Lappartement était figé dans le temps, comme une photographie. Le sol brillait, les serviettes de dentelle impeccables, un vieux phonographe trônait au mur, entouré de disques. Des géraniums bien entretenus ornaient les rebords de fenêtres. Sur le dossier dun fauteuil, un petit peignoir rose à fleurs semblait tout juste posé. Sur la coiffeuse, des anneaux de perles et une brosse à cheveux usée, une poudre à paupières sèche.

Il a déposé son pardessus sur le portemanteau, à côté du peignoir. Puis, dune voix douce, il a dit:

«Assiedstoi, Mila, je vais préparer du thé.»

Jai pris place, le cœur lourd, et jai remarqué une pile denveloppes, toutes signées dune écriture vieillissante: «À Yvonne, ma fille», avec le tampon «Retour à lexpéditeur». Aucun deux navait été ouvert.

Le vieux monsieur est revenu avec un plateau de thé à la fleur doranger et un petit pot de confiture de cerises.

«Cest délicieux,» aije avouée, étonnée.

Il a souri tristement, rappelant les talents de sa défunte épouse: couture, tricot, jardinage. Il a pointé du doigt la sacoche à fleur nacrée, rappelant quelle était le souvenir que la vieille femme lui avait demandé de ne jamais perdre.

Je lui ai demandé dapprendre à faire la confiture, comme ma mère narrivait jamais à la réussir. Il a accepté, ses yeux silluminant dun éclat despoir.

Les jours suivants, je suis allée le voir régulièrement, nous buvions du thé, il racontait ses souvenirs de jardin, de forêt, de champignons, de tissu. Petit à petit, le spectre du «Grincheux» sest dissipé, laissant place à un vieil homme seul, plein damour enfoui.

Un matin, en repartant, jai aperçu parmi les lettres non ouvertes une dernière petite enveloppe, soigneusement enveloppée du même tissu à fleur nacrée. À lintérieur, une seconde brosse à cheveux, identique à celle que javais prise, accompagnée dune note: «Merci de nous avoir aidés à nous retrouver. Que tout aille bien. Pauleau, Yvonne et Marcelline.»

Je lai serrée, froide comme la nuit, deux clés qui ouvraient la même porte.

De retour chez moi, jai posé les deux brosses sur la table. Lune, je lai glissée dans le petit écrin que je garde comme souvenir de miracles invisibles. Lautre, je lai passée dans mes cheveux. Le plastique frais a diffusé une chaleur profonde, comme si le bonheur de quelquun dautre coulait en moi.

Je me suis regardée dans le miroir, mes cheveux roux en bataille, un léger sourire aux lèvres. Le reflet me renvoyait une femme qui a compris que la plus petite chose une brosse, un mot, une lettre peut devenir le pont fragile qui relie deux cœurs brisés.

Je reste dans lattente de nouveaux rendezvous avec Pauleau, Yvonne et Marcelline, convaincue que la vie, parfois, se répare grâce à des gestes simples.

Mila.

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В самый яркий миг церемонии жених оставил невесту и направился к другой!