L’odeur du jasmin mêlée à la terre mouillée, cest la seule chose qui me permettait de rester ancrée dans la réalité. Deux mois sétaient écoulés depuis quAntoine, mon fils, sest effondré sans prévenir, laissant derrière lui un silence si lourd quon le sentait dans chaque recoin de la maison.
Mélisande, ma bellefille, arpentait les pièces comme une ombrecalme, froide, détachée. Même pendant les premiers jours dune douleur insupportable, elle na jamais laissé couler une larme, aucune fissure dans ce masque parfait quelle portait.
Une semaine après les obsèques, jai reçu un coup de fil de Maître Lefèvre, lavocat dAntoine. Cette conversation tourne encore dans ma tête comme si cétait hier.
«Madame Dubois», ma-t-il dit en ajustant ses lunettes, «le testament de votre fils est très précis. Il vous a légué la maison familiale à SaintGermainenLaye ainsi que lappartement du centreville de Lyon quil a acheté lan dernier. Le reste de ses biens comptes bancaires, placements est aussi à votre nom.»
Jai cligné des yeux, abasourdie. «Et Mélisande? Sa femme?»
«Pour elle», a-t-il répondu, «il na laissé que le contrat dassurance-vie. Aucun bien immobilier ni compte. Cest une décision légale et définitive.»
Je suis restée muette, le cœur battant. Antoine était toujours très méthodique, chaque chose à sa place. Sil avait choisi décarter sa femme de presque tout, cest quil y avait une raison plus profonde, que je ne pouvais pas encore saisir.
Alors, je me suis tue. Par loyauté. Par amour. Par ce petit instinct qui chuchote que mon fils savait quelque chose que je ne savais pas.
Deux mois plus tard, une matinée grise, je descends les escaliers et je reste figée. Au salon, Mélisande est là, enlacée dans les bras dun autre homme. Grand, aux épaules larges, sûr de lui. Et Mélisandesouriante, sans aucune gênese tourne vers moi comme si de rien nétait.
«Parfait, Marceline», ditelle dun ton lisse, glissant la main dans la sienne. «Voici Julien mon compagnon.»
Mon pouls martèle dans mes oreilles. «Mélisande cest bien trop tôt», balbutiaije, incrédule.
«Trop tôt?» ricane Mélisande, les bras croisés. «Allez, vous êtes trop à lancienne. Julien et moi, on a décidé quil était temps de changer dair ici. Cette maison sent le renfermé. Alors, si tu veux bien, fais tes valises et trouve un autre toit.»
Jai resté là, lair lourd entre nous, puis quelque chose qui sommeillait depuis des semaines sest réveillé.
«Ma chère», disje doucement, en fouillant ma poche, «cest à toi de faire les bagages.»
Je pose une grosse enveloppe sur la table basse. Le papier claque, tranchant.
«Cette maison nest plus à toi, Mélisande. Elle ne la jamais été depuis le décès dAntoine.»
Mélisande fronce les sourcils, la confusion traversant son visage. «De quoi tu me parles, Marceline?»
Je la regarde droit dans les yeux, impassible. «Antoine a tout légué à ma femme et à moila maison, lappartement, les comptes. Vous navez que lassurance, cest tout. Je ne vous lai pas dit avant parce que je pensais quil avait ses raisons. Et maintenant, je comprends pourquoi.»
Le visage de Mélisande perd toute couleur. Julien se redresse, mal à laise, comme sil cherchait déjà la sortie.
«Vous avez vingtquatre heures pour enlever vos affaires», continueje, voix ferme mais presque douce. «Sinon, mon avocat déposera une plainte pour intrusion. Je veux que mon fils repose en paixet la paix ne vit pas aux côtés du mensonge.»
Je sors mon portable et compose sans hésiter. «Maître Carter?Oui, cest Marceline. Préparez lavis dexpulsion, je le signerai demain matin.»
Le courage de Mélisande se dissout en panique. Julien marmonne quelque chose et recule, réalisant que le «nouvel intérieur» quil imaginait sévapore avant même davoir existé.
Je meffondre dans le fauteuil près de la fenêtre, le soleil couchant caressant mon visage. La maison est à nouveau à moiet surtout, la justice mappartient. Mon silence était un acte damour; mes mots, aujourdhui, la vérité.
Et pour la première fois depuis des mois, je peux presque entendre la voix dAntoinesereine, reconnaissante, enfin en paix.







