NE CHANGEZ PAS…

Cher journal,

Aujourdhui, jai préparé le dîner. Michel voulait des pâtes aux fruits de mer. Après le travail, je suis passée au marché du quartier, jai acheté tout ce quil fallait et je me suis occupée de la cuisine seule. Michel a eu du retard, mais il est rentré en trombe, les bras chargés dun bouquet de roses.

«Élodie, voilà ton mari fatigué!» a-t-il crié en franchissant le seuil, tout à fait joyeux. Je me suis mise à rire, jai repris les fleurs et les ai déposées dans le vase.

Après le repas, nous nous sommes installés sur le canapé, avons parlé de nos soucis du jour, des petites péripéties du matin, et nous avons regardé un film. Ça fait plus de dix ans que Michel et moi sommes mariés. La passion sest transformée depuis longtemps en une chaleur confortable. Nous avons une petite entreprise commune: je moccupe des fournisseurs, il trouve les débouchés et gère les finances. Nous habitons un joli appartement à Paris, la vie est assez stable. Pas denfants pour le moment, ce nest pas une priorité; peutêtre plus tard, près de quarante ans.

Récemment, jai trouvé dans la rue un petit chaton tout mou, presque dénudé, et je lai ramené à la maison. Michel était farouchement contre.

«Questce que tu fais avec ce minable? Remetsle à la SPA. Si tu veux un chat, adopte une race pursang, genre un MaineCoon, cest à la mode. » a-t-il rétorqué. Mais je me suis attachée à ce petit félin, et il est devenu mon «petit compagnon». Michel le supporte mal; cest une antipathie réciproque. Silencieusement, il le bouscule, et le chat répond en se frottant contre son pantalon, laissant des poils, en griffant son pull.

«Je vais le jeter! Il abîme mes vêtements,» sest écrié Michel. Jai essayé de le calmer.

«Ne lance pas tes affaires partout. Rangeles dans le placard.»

«Ce nom Barbenoir, cest un nom de plouc,» a grogné Michel. Le chat a alors jeté un regard vert énigmatique.

Ainsi a duré une guerre silencieuse entre mon mari et le chat pendant un an. Récemment, Michel sénerve dès que le félin apparaît, crie :

«Questce quil fait là? Il va encore faire des bêtises.»

Jessaie de rester pacifique :

«Allez, Michel, il ne fait que ses petites affaires de chat. Ce nest pas un voyou, il ne te cherche pas du tout.»

«Élodie, il mirrite. Tu ne le veux plus?»

«Jamais. Cest mon chat.»

Au fil des mois, le minet a grandi, devenu gros, beau, tout doux.

Je faisais le grand ménage du samedi. Michel était parti jeudi en mission à Lyon, il devait régler plusieurs dossiers, donc il ne reviendrait pas avant dimanche. Jai nettoyé lappartement, épousseté chaque recoin. Le chat sest aventuré près du placard.

«Questce que tu fabriques, tu mets un jouet dans le trou?» lui aije demandé en mapprochant. Dans la fissure, jai découvert une petite chemise contenant des dossiers : factures dhôtels, bons de voyage de deux à trois jours, achats de bijoux coûteux, billets davion. Ces bijoux nétaient pas pour moi, je nen possédais aucun. Un contrat de vente dune voiture était aussi là, signé par une certaine «Nathalie», mais cest Michel qui avait réglé la somme.

Je feuilletais les papiers, certains portaient les notes de Michel. Il a lhabitude de coller les reçus, puis de les passer par la société pour récupérer largent. Tout était caché.

Mon cœur sest glacé. Je voulais déchirer, jeter, crier, appeler Michel immédiatement. Mais je me suis retenue. Le chat tournoyait autour du dossier, a sauté dessus.

«Tu las vu, et tu me le montres,» aije murmuré, le visage sombre. Le petit compagnon sest blotti contre moi, a ronronné une berceuse féline qui a calmé mes nerfs. Jai respiré.

«Oui, Minou, tu as raison. Il faut réfléchir avant dagir.»

Jai photocopié tous les reçus, tous les documents. Le soir, jai cherché sur les réseaux sociaux le propriétaire de la voiture et je suis tombée sur une jeune femme qui affichait fièrement une photo dune automobile rouge flamboyante avec la légende «offert par mon amoureux». Aucun visage, seulement le dos et les bras. Mais je reconnaissais la silhouette du mari de Michel. Jai compris que Michel entretenait une maîtresse et dilapidait notre argent conjugal.

Michel est revenu dimanche soir, comme dhabitude, les bras chargés de fleurs.

«Pourquoi tu ne me rencontres jamais?» a-t-il crié en entrant.

«Je suis enrhumée, ma tête me fait mal,» aije répondu, les yeux rougis.

Il a dîné, puis je me suis retirée dans la chambre voisine.

«Tu veux appeler un médecin?»

«Non, je vais me reposer. Jai déjà pris les médicaments,» aije refusé.

Il sest endormi, son téléphone posé sur le comptoir. Jai, par curiosité, pris lappareil et, pendant toutes ces années, je navais jamais regardé ses messages. Ce soir, jai découvert les SMS, les échanges, les conversations. Tout confirmait mes soupçons. Le soir même, il avait envoyé à «son soleil» : «Tu me manques, on se voit mardi.»

Lundi, jai envoyé Michel au travail et je suis restée à la maison «malade». Jai rassemblé les preuves et je suis allée chez mon avocat. Il a rédigé une requête en divorce et partage des biens. Sans rien dire à Michel, jai annoncé :

«Je suis vraiment tombée malade, je vais partir profiter de la campagne.»

Je me rendais au travail une fois par semaine, mais je pouvais faire mon métier à distance.

Lavis de la procédure de divorce a été comme un éclair en plein jour pour Michel. Il ne sy attendait pas et a foncé chez moi :

«Questce que tu fabriques? On a passé tant dannées ensemble, jai tout fait pour toi.»

«Je ne taime plus,» aije répondu simplement. «On se verra au tribunal.»

Je nai rien dit de la maîtresse. Au tribunal, jai présenté les reçus et les dépenses ; Michel, désemparé, navait pas prévu cette révélation.

Le juge a demandé :

«Madame, avezvous réellement dépensé de telles sommes pour votre maîtresse? La voiture étaitelle pour elle?»

«Oui, javoue,» a répondu Michel, embarrassé.

Lavocate a obtenu le partage complet du patrimoine, une compensation pour la moitié des actifs de lentreprise, ainsi que le remboursement des dépenses liées à la maîtresse, car cétaient des fonds familiaux. Michel na pas contesté. Jai gardé lappartement de Paris, il a conservé la maison de campagne, et chacun a repris sa voiture.

Avant le divorce, javais déjà transféré une partie des fournisseurs dans une nouvelle société et jai relancé mon activité, prenant à présent la partie financière et la vente. Cest plus sûr ainsi. Minou et moi avons tout le temps quil nous faut. Laffaire avance bien.

Michel est furieux; son exépouse est maintenant une concurrente. Son revenu a fortement diminué, sa nouvelle maîtresse ne lapaise pas. Il sort avec elle, revient seul dans son appartement vide.

Je continue à écrire, à avancer, et à profiter de chaque jour, malgré les tempêtes.

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