En se levant la nuit pour boire un verre d’eau, Zhanna surprend une conversation entre les parents de son mari — et au matin, elle demande le divorce.

Salut, jai besoin de te raconter ce qui mest arrivé, comme si on était à la petite cuillère.

Je me réveillis en pleine nuit, la gorge sèche, et je descends à la cuisine pour chercher un verre deau. En passant devant la porte du salon, je surprends une conversation entre les parents de Maxime. Le lendemain, sans trop réfléchir, je dépose les papiers du divorce.

Je me lisse les cheveux, je regarde la façade de la maison de mes beauxparents à SaintQuentin. Ce pavillon à deux étages, tout en pierre, a toujours semblé bien trop grand pour deux personnes âgées.

« Prêt? » lance Maxime en tirant les valises du coffre.

« Bien sûr, » répondsje avec un sourire. Quinze ans de mariage, ça ma appris à masquer le malaise.

La porte souvre et cest Isabelle Martin, toute en peignoir, qui nous accueille.

« Ah, vous voilà, mon fils! » me serre Maxime dans les bras, puis me donne un petit bisou sur la joue. Elle me lance un regard bref. « Bonjour, Églantine. »

« Bonjour, » je tends une boîte de chocolats.

« Tu naurais pas dû, ton mari a du diabète qui empire, » ajoute-telle.

Maxime reste muet, comme dhabitude.

Dans le salon, JeanClaude Martin regarde les infos, hoche la tête puis revient à la télé.

« Le dîner dans une heure, » annonce la bellemère. « Maxime, viens maider en cuisine. Églantine, reposetoi. »

Repos? Comme si jétais invalide.

Je me glisse dans la chambre damis, range mes affaires dans le placard et massois sur le lit. Par les murs, jentends Maxime et sa mère parler boulot, voisins, santé.

Pourquoi viennentils ici chaque mois? Pour faire bonne figure? Ou Maxime leur manquetil vraiment?

« Églantine, viens manger! » crie Isabelle. Sur la table, poulet, pommes de terre, salade, comme dhabitude.

« Maxime ma dit que tu étais repartie en Espagne pour les vacances, » commence la mèreinlaw. « À notre âge, on allait à la campagne, on aidait le pays. »

« Les temps ont changé, » rétorque Églantine.

« Oui, aujourdhui le divertissement prime, » ajoute-telle. Je sens mes poings se serrer. Maxime mâche son poulet en silence.

« Et vous, vous pensez à des enfants? » interrompt JeanClaude, en posant sa fourchette. « Les années passent. »

« On en a déjà parlé, » murmure Maxime.

« Et alors? Questce qui en est sorti? »

Je me lève brusquement.

« Excusezmoi, jai mal à la tête, je vais me coucher tôt. »

Dans ma chambre, je ferme la porte, je massois, les mains tremblantes. Les mêmes soustextes, les mêmes reproches, les mêmes regards désapprobateurs.

Maxime revient une demiheure plus tard.

« Questce qui ne va pas? »

« Rien, juste fatiguée, » répondsje.

« Ils ne font que sinquiéter. »

Je me tourne vers le mur, je me dis «bonne nuit». Maxime se déshabille, se glisse à côté de moi et sendort en ronflant.

Je reste là, à penser à la prochaine matinée, aux remarques acerbes au petitdéjeuner, à Maxime qui fera semblant de ne rien voir. Quinze ans, cest ça, pour toujours?

À trois heures du matin, ma bouche est sèche, la tête tourne. Maxime ronfle toujours, étendu sur tout le lit. Je me lève, je mets un peignoir et je vais à la cuisine chercher de leau. Un petit veillesoir brille dans le couloir, le parquet grince sous mes pas.

Jarrête devant la cuisine et jentends des voix.

«Cette vache stérile, quinze ans sans enfants, elle ne sert à rien!», siffle Isabelle.

«Silence, on va se faire entendre,» grogne JeanClaude.

«Questce que vous proposez?»

«Parler demain, sérieusement. Un homme doit comprendre que le temps nest pas en caoutchouc. À quarantetrois ans, on peut encore fonder une famille.»

«Et lappartement? La voiture?»

«Lappartement est au nom de Maxime, on a mis largent pour lapport, la voiture aussi. Elle ne recevra que ce quelle a gagné.»

Isabelle ricane. «Une simple bibliothécaire, cest tout.»

«Il acceptera,» assuretelle, «je suis sa mère, je sais comment le parler.»

Je reste accrochée au mur, le cœur battant comme un tambour. «Alors on se débarrasse du poids mort?»

Je ne peux pas y croire. Poids mort? Quinze ans et je suis un fardeau.

«Et sil refuse?»

«Il ne refusera pas. Maxime mécoute toujours.»

Des bruits de sacs dans la cuisine, la vaisselle qui claque.

«Allez, au lit. Grande journée demain.»

Je cours aux toilettes, je verrouille la porte, je massois sur le siège et je couvre mon visage. Poids mort, vache stérile. Quinze ans à cuisiner pour les fêtes, à donner des cadeaux, à encaisser les soustextes. Ils prévoient de me mettre au rebut comme un vieux fauteuil.

Et Maxime obéira. Quand latil déjà désobéi à sa mère?

Je retourne dans la chambre, il ronfle toujours. Je me glisse sous la couette, jattends le jour.

À sept heures, je me lève, je mhabille, je fais mes bagages. Maxime se réveille au bruit des valises.

«Églantine, pourquoi si tôt?»

«Je rentre chez moi.»

«Chez qui? On devait rester jusquau soir.»

«Je veux rentrer maintenant.»

Il se frotte les yeux.

«Questce qui se passe?»

«Rien. Je veux juste rentrer.»

«Et mes parents?»

Je prends mon sac. «Disleur bonjour de ma part, dis que jai eu mal à la tête.»

«Je viens avec toi.»

«Non, reste, passe du temps avec eux.»

Je sors, je mets ma veste, je sors mon téléphone et je commande un taxi.

«Églantine, où tu vas? Le petitdéjeuner est prêt.»

«Je rentre, merci pour laccueil.»

«Pourquoi si tôt?»

Je la regarde, lèvres peintes, yeux surpris, ton doux. «Jai des choses à faire chez moi.»

Le taxi arrive dix minutes plus tard, je minstalle à larrière et je ferme les yeux. Le poids mort se débarrasse de moi tout seul.

Chez moi, je prépare un thé fort et je massois à la table de la cuisine. Lappartement est étrangement silencieux. Dhabitude, ils rentrent le soir, fatigués, dînent, puis vont se coucher. Mais cest samedi, onze heures du matin, je suis seule.

Le téléphone sonne. Cest Maxime.

«Églantine, tu es bien rentrée?»

«Oui.»

«Quoi de neuf? Ma mère dit que tu agis bizarrement.»

Je souris. «Tout va bien. Et tes parents?»

«Ça va Écoute, je viendrai ce soir, on parlera.»

Je raccroche, je regarde autour. Lappartement, on avait choisi le papier peint, le mobilier ensemble. Lapport venait des parents de Maxime, donc à leurs yeux, lappartement nest pas le mien.

Je vais au placard, je sors un dossier : acte de mariage, titres de lappartement, tout au nom des deux. Encore une fois, la vieille sorcière a menti.

Lundi, je prends un jour et je vais chez un avocat. Une jeune femme dune trentaine dannées, en jean et pull.

«Vous voulez divorcer?»

«Oui.»

«Des enfants?»

«Non.»

«Vous prévoyez des disputes patrimoniales?»

«Possiblement.»

«Alors ça passera par le tribunal. On dépose la requête, vous serez convoquée. Sil accepte, ça ira plus vite, un à deux mois.»

Je remplis les formulaires, je paie les frais dÉtat. Une sensation étrange, comme si je posais un sac à dos lourd.

Ce soir, Maxime arrive à huit heures, fatigué, agacé.

«Quelle journée Ma mère na cessé de me harceler, elle dit que je lai insultée.»

«Je nai pas insulté.»

«Alors pourquoi tu tes enfuie comme ça?»

Je lui sers un bol de soupe à loignon.

«Maxime, tu maimes?»

Il se fige.

«Pourquoi toutes ces questions?»

«Juste curieux. Tu maimes?»

«Bien sûr, quinze ans ensemble.»

«Ce nest pas une réponse. On peut vivre quinze ans par habitude.»

Il pose la cuillère.

«Églantine, questce qui se passe? Depuis deux jours tu es différente.»

«Réponds à la question.»

«Je taime. Et alors?»

«Que diraistu si tes parents suggéraient le divorce?»

Il baisse les yeux.

«Cest absurde. Pourquoi voudraientils ça?»

«Et sils le font?»

«Ils ne le feront pas.»

«Maxime, je te demande: que diraistu?»

Un long silence. Il froisse la serviette.

«Pourquoi parler comme ça? On va bien.»

««Bien» nest pas une réponse.»

«Je ne sais pas!» Il se lève. «Jen ai marre de ces questions. Hier tout allait bien, aujourdhui questce qui sest passé?»

Je me lève aussi.

«Rien de particulier. Jai juste réalisé quelque chose.»

«Quelque chose?»

«Que jai été une idiote pendant quinze ans.»

Je vais à la chambre, je prends le dossier, je reviens à la cuisine et je pose la requête de divorce sur la table.

Maxime lit, devient pâle.

«Tu es folle?»

«Tout le contraire. Pour la première fois depuis longtemps, je vois clair.»

«À cause de quoi? À cause de ma mère? Elle na rien voulu dire!»

«Je sais. Elle ne voulait rien dire, elle ne voit que moi comme un poids mort.»

Il reste figé.

«Comment tu»

«Jai entendu leur petite réunion de famille, la nuit, dans la cuisine.»

«Ce nest pas ce que je crois»

«Questce que cest alors?»

Il ne répond pas, il tourne la requête dans ses mains.

«Dis quelque chose,» je massois en face de lui.

Il pose la requête sur la table.

«Maman parlait vraiment des enfants, du temps qui passe.»

«Et du poids mort?»

«Elle est vieille, elle dit nimporte quoi.»

«Questce que tu as dit?»

Il se frotte le front.

«Je je nai rien dit.»

«Exactement, comme dhabitude.»

Je me lève, prépare du thé. Mes mains ne tremblent plus. Cest bizarre, je mattendais à des crises, à des larmes, mais je reste calme.

«Pendant quinze ans jai attendu que tu fasses le premier pas, que tu dises à ta mère que je suis ta femme, pas une simple locataire.»

«Ils sont habitués à commander»

«Et toi, tu obéis toujours.»

Maxime se lève dun bond.

«Je nai forcé personne!Je naime pas les conflits.»

«Conflit?Cest défendre ta femme, et tu as préféré que je subisse.»

«Alors, on fait quoi maintenant? On ne peut pas changer le passé.»

«Rien à faire, cest déjà fait.»

Il attrape la requête.

«Je ne signerai pas!»

«Pas besoin, le tribunal laccordera.»

«Églantine, réfléchis! Où vastu? Que vastu faire?»

«Je ne sais pas. Mais je le ferai sans vous trois.»

Il tourne en rond, les bras en lair.

«Cest fou! Détruire une famille pour les mots dune vieille femme!»

«Famille?Quel genre de famille?»

«On vit ensemble, comme des colocataires dun grand appartement. On travaille, on se voit le soir, on regarde la télé. Le weekend, on va chez tes parents, je fais semblant dêtre reconnaissante quils me supportent.»

«Et alors? Cest une vie normale.»

«Normale pour toi. Jen ai assez dêtre personne.»

Le téléphone sonne, cest Isabelle.

«Ne décroche pas,» supplie Maxime.

Je réponds.

«Allô?»

«Églantine, mon cher! Maxime estil à la maison? Je voulais savoir comment ça se passe.»

«Tout va bien. Je divorce ton fils.»

Silence. Puis:

«Quoi?Questce que tu dis?»

«Ce que tu voulais entendre. Je me libère pour toi.»

«Églantine, je ne comprends pas»

«Tu comprendras. Dis bonjour à JeanClaude de ma part.»

Je raccroche, Maxime me regarde, horrifié.

«Pourquoi tu lui as dit?»

«Pourquoi le cacher? Laissela être heureuse.»

Une demiheure plus tard, Isabelle fonce dans lappartement, sans frapper.

«Questce qui se passe? Maxime, expliquemoi tout!»

«Maman, pas maintenant»

«Églantine!Questce que tu mijotes?Tu as perdu la tête?»

Je reste calme, assise à la table.

«Au contraire, jai retrouvé la tête.»

«Sur quoi? Maxime tatil maltraitée?»

«Il mignore. Vous vouliez vous débarrasser de moi.»

Isabelle rougit.

«Qui ta dit ça?»

«Vous. Hier soir, dans la cuisine.»

«Tu espionnais?»

«Je voulais juste de leau et je vous ai entendu dire que je suis un poids mort.»

Lancienne dame regarde entre nous.

«Églantine, tu as mal compris. Je minquiète pour Maxime, il nest pas heureux»

«AsEt ainsi, libérée de leurs chaînes, Églantine sen alla vers un avenir où elle pourrait enfin se redéfinir à sa façon.

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En se levant la nuit pour boire un verre d’eau, Zhanna surprend une conversation entre les parents de son mari — et au matin, elle demande le divorce.
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