«Tes affaires sont prêtes, ma chérie» dit la belle-mère en posant la valise devant la porte.

«Tes affaires sont déjà rangées», annonce la bellemère en déposant une valise près de la porte.

«Mais quavezvous à faire?», réplique Maëlys, à deux doigts de hausser davantage la voix. «Cest aussi mon appartement, tu sais!»

«Le tien?», ricane Claudine Dupont, en essuyant les mains sur son tablier. «Guillaume, mon fils, a le bail à son nom; alors fais attention à tes paroles.»

«Jhabite ici depuis huit ans! Huit! Vous navez aucun droit»

«Jai bien le droit, ma chère, comme je lai toujours eu. Prends ta casserole, jai besoin de préparer le déjeuner. Ne me parle pas comme si jétais une invitée dans ta cuisine, pas la maîtresse.»

Maëlys attrape la casserole dun geste brusque, manquant de renverser le bœuf bourguignon sur le sol. Ses mains tremblent, un bruit sourd martèle ses tempes. Sa bellemaman nest arrivée que trois jours auparavant, et la petite location se transforme déjà en chaos, du point de vue de Claudine Dupont.

«Claudine, je comprends que tu tinquiètes pour ton fils, mais»

«Je ne minquiète pas. Je sais ce que je fais. Toi, ma petite, tu ne penses quà toi. Guillaume est à lhôpital, et toi tu mijotes du potage.»

«Je vais le voir chaque jour!», sécrie Maëlys. «Aujourdhui il ne faut pas le visiter, cest la procédure!»

«Ah, la procédure. Et pendant ce temps, tu restes à la maison à faire bouillir le potage. Tu devrais être constamment à ses côtés, comme une épouse dévouée.»

Maëlys repose la casserole, inspire profondément, compte jusquà dix comme un cours de respiration quelle a suivi jadis. Un, deux, trois rien ny fait, elle ne parvient pas à atteindre le dix.

«Tu sais quoi?», murmuretelle. «Fais ce que tu veux. Je sors prendre lair.»

Elle saisit son blouson, enfile ses bottes sans même attacher les lacets, et quitte lappartement. Elle sarrête sur le trottoir, sappuie la tête contre le mur froid, respire profondément, compte ses inspirations et expirations. Son cœur bat comme un volcan en éruption.

Guillaume a été hospitalisé il y a une semaine, suite à une appendicite opérée avec complications. Il se remet lentement. Maëlys, anxieuse, dort à peine, court entre son travail et lhôpital. Et voilà que la bellemère arrive comme une tornade, venue de SaintÉtienne, occupe la chambre principale, relègue Maëlys sur le canapé du salon. Le drame commence.

Maëlys descend les escaliers lentement, sort dans la cour. Le vent doctobre agite ses cheveux, soulève le col de son blouson. Elle sassoit sur le banc du vestibule et allume une cigarette. Elle a déjà trois mégots, mais en prend encore un. Le stress la serre les nerfs.

«Maëlys, questce qui se passe?», interpelle sa voisine, Catherine, qui passe avec son sac de courses. «Tu as lair blême.»

«Rien, Catherine. Un peu fatiguée.»

«Ta bellemère est arrivée, jai entendu. Elle taide?»

Maëlys esquisse un sourire amer.

«Elle aide, oui, comme jamais.»

Catherine secoue la tête, sassoit à côté delle. Septantesix ans, veuve, mère de deux enfants désormais adultes, elle a élevé seule ses gamins. Elle parle dune voix douce.

«Tu sais, les bellesmères, cest un sac à malices. La mienne, avant de décéder, faisait pareil. Jai compris une chose: cest sa façon de montrer de lamour, même si cest lourd. Elle ne savait pas faire autrement.»

«Claudine naime que son fils. Elle me supporte à peine.»

«Peutêtre quelle a peur de perdre le contrôle. Guillaume est son seul fils, elle a déjà soixantedixtrois ans. Elle craint de ne plus servir à rien. Avec son fils à lhôpital, elle se plaint sans le montrer.»

Maëlys écrase son mégot dans la poubelle.

«On ne peut pas vivre comme ça, Catherine. Elle me rendrait folle.»

«Tu ten sortirais. Guillaume sortira, elle partira.»

«Si elle part.»

Catherine tapote lépaule de Maëlys et séloigne. Maëlys reste assise, repensant aux débuts.

Elle avait rencontré Guillaume au travail. Il était venu pour régler des dossiers, elle transportait des dossiers. Leurs papiers se sont éparpillés dans le couloir, il la aidée à ramasser, lui a souri. Grand, beau, avec une fossette au menton. Il la invitée à prendre un café, elle a accepté.

Il la courtisait à lancienne, avec des fleurs et des compliments. Elle, trentedeux ans, jamais mariée malgré des propositions, se consacrait à son métier, le temps pour lamour était rare. Il parlait peu de ses parents: «Ma mère vit loin, dans un petit village, je la vois deux fois par an. Mon père est décédé, je suis seul avec ma mère.» Elle ny avait pas prêté attention. Une erreur.

Sa bellemère était petite, frêle, les cheveux blancs tirés en un chignon serré. Elle observait Maëlys comme on examine un morceau de viande au marché. Chaque phrase était piquée.

«Ta robe est jolie, mais un peu trop ample.»

«Tiens le bouquet correctement, sinon il ressemble à un balai.»

«Guillaume, tu es sûr? Pas trop tôt?»

Guillaume souriait, se dédoublant. Maëlys acquiesçait, supportait. Le mariage sest déroulé, Claudine est partie. Maëlys a respiré.

Mais la bellemère appelait chaque jour, demandait tout sur Guillaume, prodiguait conseils à la volée. Guillaume acquiesçait, Maëlys se fâchait en silence, évitant les disputes.

Puis Claudine a commencé à venir régulièrement, dabord pour les fêtes, puis «juste pour passer». En deux semaines, tout changeait: elle déplaçait les meubles, ne cuisinait que ce que Guillaume aimait, ignorait Maëlys, critiquait sa cuisine, son ménage, ses vêtements.

«Guillaume, regarde les rideaux sales, je les laverais à ta place.»

«Maëlys, pourquoi ne pas changer de coiffure, cest démodé.»

«Encore des pâtes? Guillaume, tu naimes pas les pâtes! Je vais te préparer des boulettes.»

Guillaume se taisait, séclipsait dans une autre pièce, Maëlys devait se défendre seule.

«Claudine, je sais ce que je dois préparer pour mon mari.»

«Ne te fâche pas, je veux le meilleur pour vous.»

Dans les yeux de Claudine, il y avait un froid glacial, une aiguille. Elle la supportait par politesse, mais à cœur ouvert, elle la voyait comme une intruse.

Huit ans passent, aucun enfant. Les médecins évoquent le stress, lâge. Claudine laisse entendre que cest Maëlys qui est fautive. Guillaume reste muet. Maëlys pleure en secret, la nuit, pour que personne nentende.

Finalement, les visites de la bellemère se font plus rares, Maëlys apprend à ignorer les piques. Ils vivent, pas heureux, mais pas en enfer.

Puis Guillaume est de nouveau hospitalisé. Trois heures après lappel, Claudine surgit avec un sac énorme, des casseroles, lair résolu.

«Je reste ici longtemps. Guillaume ne doit pas être laissé sans surveillance.»

Maëlys se lève du banc, secoue son blouson. Elle doit rentrer. Ses affaires, sa vie sont ailleurs, même si la bellemère gère la maison.

Elle monte les escaliers, ouvre la porte dentrée. Une valise lattend, vieille, bleue, les coins usés.

Claudine sort du salon, les mains encore mouillées.

«Tes affaires sont déjà rangées», ditelle en pointant la valise près de la porte. «Tu peux les prendre.»

Maëlys reste figée, le bruit de ses oreilles sintensifie.

«Quoi?»

«Tu as bien compris. Guillaume a besoin de repos, pas de tes crises. Il ma appelé, il dit que tu ténerve constamment. Tant quil est malade, il vaut mieux que tu vives ailleurs.»

«Guillaume il a dit?», souffle Maëlys, à bout de souffle. «Ce nest pas vrai.»

«Cest la vérité, ma petite. Il a demandé que je te renvoie. Pas pour toujours, juste le temps quil se remette. Tu iras chez une amie.»

Maëlys sapproche de la valise, sassied, louvre. À lintérieur, ses vêtements, pulls, sousvêtements, entassés sans ordre.

«Vous navez aucun droit», murmuretelle.

«Jen ai, je suis la mère de Guillaume. Je sais ce qui lui faut.»

Maëlys lève les yeux, regarde la bellemère droit dans le visage. Cette dernière croise les bras, le regard de pierre.

«Vous avez appelé Guillaume? Je le rappelle.»

«Appelezle, sil vous plaît, il confirmera.»

Maëlys décroche le portable, les doigts tremblants, compose le numéro de son mari. Le bip retentit longtemps. Puis la voix de Guillaume, endormie, faible.

«Allô?»

«Guillaume, cest moi. Ta mère dit que tu as demandé que je parte. Cest vrai?»

Silence lourd. Maëlys retient son souffle.

«Guillaume?»

«Maëlys, ta mère pense que cest mieux ainsi. Vous vous disputez, je ne peux pas rester stressé. Je je ne peux pas supporter ça maintenant.»

«Alors tu veux que je parte?»

«Oui, je veux que tu ailles quelque part pendant quelques semaines, que je parte, et que tu reviennes.»

«Et si elle ne part pas?»

«Elle partira. Ne fais pas la scène, daccord? Je suis vraiment mal. »

Maëlys raccroche, sassied sur le sol du hall, le dos contre le mur. Claudine la surplombe, un sourire victorieux.

«Alors, convaincue? Prends ta valise et pars.»

Les yeux de Maëlys se ferment. Tout se déchire comme une corde trop tendue qui finit par rompre. Une douleur lointaine, sourde, mêlée à un soulagement inattendu.

«Daccord», murmuretelle. «Je pars.»

Elle se lève, prend la valise, lourde, remplie de tout ce que Claudine a jeté à lintérieur. Elle enfile son blouson, prend son sac.

«Tu sais quoi, Claudine?», sarrêteelle à la porte. «Je ne reviendrai pas.»

«Comment? Guillaume»

«Quil vive avec vous. Si vous comptez tant pour lui, alors laissezle le faire. Jai supporté vos piques pendant huit ans, votre mépris. Je pensais que ça finirait, mais je réalise que je nai plus à endurer. Jen ai assez.»

Claudine pâlit.

«Tu te permets quoi!? Guillaume ne te laissera pas partir!»

«On verra.»

Maëlys sort, ferme la porte, descend les escaliers, traîne la valise. Dans la rue, elle sort son téléphone et compose Sophie.

«Sophie, cest Maëlys. Je peux venir chez toi? Jai besoin dun toit, de mes affaires»

Elle monte dans un taxi, indique ladresse. Le chauffeur met la radio, une pop française passe. Maëlys regarde les bâtiments, les arbres, les passants, son esprit vagabonde.

Guillaume, son mari, calme, fiable, mais lamour quelle ressentait était devenu forcé, une obligation. Il na jamais défendu. Quand la mère parlait, il restait muet. Quand elle était en détresse, il se retirait. Elle supportait parce que cétait la «bonne» chose à faire, parce quelle était mariée, parce que lâge la poussait, parce quelle avait peur.

Le taxi sarrête devant lappartement de Sophie. Maëlys paie, monte au troisième étage. Sophie laccueille en peignoir, une tasse de café à la main.

«Maëlys, questce qui se passe?»

«Je peux rester chez toi? Pas longtemps, le temps de trouver un logement.»

«Bien sûr, entre, raconte.»

Elles restent à la cuisine jusquà tard. Maëlys raconte, pleure, rit. Sophie écoute, hoche la tête, sert du thé.

«Tu sais, Maëlys, je pensais toujours que tu méritais mieux que ce Guillaume.»

«Vraiment?»

«Tu es intelligente, belle, travailleuse. Lui il ne te traite pas comme il faut. Sa mère técrase, et il ne fait rien. Tu mérites de vivre librement.»

Maëlys acquiesce. Le divorce devient une option. Elle nest pas prête à le décider, mais le besoin de respirer est là.

Une semaine passe, Guillaume sort de lhôpital. Il lappelle, veut quelle revienne. Il promet que tout ira mieux, que la mère est partie, quil la manque.

«Maëlys, pourquoi tu ne réponds pas? Viens, parlons.»

«Guillaume, tu comprends ce qui sest passé?»

«Sa mère était peutêtre un peu trop mais elle sinquiétait pour moi.»

«Et qui sest inquiété pour moi? Toi?»

«Je Maëlys, arrête de»

«Je ne commence pas, jarrête. Je dépose le dossier de divorce.»

«Quoi! Tu deviens folle pour divorcer à cause dune dispute?»

«Pas à cause dune dispute, à cause de huit ans. »

Il raccroche. Il continue dappeler pendant plusieurs jours, puis se tait.

Maëlys trouve un petit studio en périphérie, le loue, déplace ses affaires, sinstalle. Elle travaille, se promène, lit. Elle se sent vivante pour la première fois depuis longtemps.

Un mois plus tard, Claudine réapparaît, demande à la rencontrer. Maëlys accepte, par curiosité.

Elles se retrouvent dans un café. Claudine, plus âgée, affaiblie, sinstalle, commande un thé.

«Maëlys, je voulais te parler.»

«Je técoute.»

«Guillaume disparaît. Il ne mange plus, il ne prend plus soin de lui. Il dit que tu ne veux plus le voir.»

«Jai demandé le divorce.»

«Mais pourquoi? On aurait pu pardonner. Je ne voulais pas te blesser.»

Maëlys sourit.

«Claudine, huit ans tu mas rabaClaudine, huit ans tu mas rabaissée, mais aujourdhui je me libère enfin et je marche vers ma propre liberté.

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