— Je pensais que tu étais juste venue faire le ménage — a souri ma belle-mère en fouillant dans mes valises.

Je pensais que tu viens seulement pour ranger, samuse la bellemaman en fouillant mes valises.
Tu mentends, Édouard? je te parle, et tu restes collé à ton téléphone!

Jentends, jentends. Que voulaistu dire?

Adélaïde serre les poings. Le ton glacial et lindifférence dÉdouard depuis des mois la font exploser. Lui, les yeux rivés sur lécran, ne lève même pas le regard.

Je voulais parler de nos vacances. Mais comme dhabitude, ça test égal!

Adélaïde, je suis fatigué. On en discute demain?

Demain! Toujours demain! Et aujourdhui, la vie ne passe pas?

Édouard décroche enfin du téléphone, regarde sa femme avec irritation.

Tu te plains? Jai trop de travail, la tête me fait mal. Pas le temps pour des vacances.

Tu as toujours du travail! Et quand aije eu la dernière vraie conversation? La dernière sortie à deux?

Adélaïde, stop. Ne commence pas.

Mais elle ne peut plus se retenir. Les reproches, les nondites, la solitude dans leur appartement saccumulent.

Ne commence pas? Tu vois même pas que jexiste? Je ne suis pour toi quun meuble? Jai préparé le dîner, lavé tes chemises, et tu me fais la sourde oreille?

Édouard se lève, range son téléphone.

Je vais chez mon frère. Ici, cest que disputes.

Cours! sécrie Adélaïde. Comme dhabitude, la discussion passe à côté, tu fuis chez ton ami!

La porte claque. Adélaïde reste seule au centre du salon, les mains tremblantes, la gorge serrée. Elle se dirige vers la cuisine, se rafraîchit leau, sassoit à la table et pose la tête sur ses mains.

Que se passetil dans leur mariage? Avant, ils riaient, faisaient des projets, rêvaient. Aujourdhui, ils sont deux étrangers sous le même toit. Édouard est toujours au travail ou chez des amis. Elle tourne en rond, cuisine, nettoie, et personne ne la remarque.

Adélaïde attrape son téléphone et écrit à son amie Nathalie: «Je peux venir chez toi?»

Nathalie répond aussitôt: «Bien sûr! Quy atil?»

«Je ten dis plus plus tard. Je pars dans trente minutes.»

Mais elle ne part pas. Elle sassied, réfléchit, puis lidée lui traverse lesprit: aller chez sa bellemaman, Madame Thérèse, à la campagne.

Madame Thérèse habite une grande maison dans le petit village de SaintJean, construite par le père dÉdouard. Édouard ne sy rend que rarement, toujours trop occupé. Adélaïde y a déjà aidé de temps à autre, et la bellemaman lapprécie.

Adélaïde monte, ouvre le grenier et sort une vieille valise de voyage. Elle y met robes, pulls, jeans, trousse de toilette, livres, chargeur. Elle ne sait pas combien de temps elle partira; peutêtre une semaine, peutêtre plus. Elle a besoin de respirer, de silence, de se retrouver.

Lorsque Édouard rentre tard le soir, elle «dort», du moins fait semblant. Il se glisse sur son côté du lit sans la toucher.

Le matin, elle se lève tôt, enfile son manteau, prend la valise, laisse un mot sur la table de la cuisine: «Je suis partie chez ta mère. Je laiderai. Je reviendrai quand jaurai fait le point.» puis sort.

Le car vers SaintJean dure trois heures. Assise à la fenêtre, elle regarde les champs et les forêts défiler. Son cœur est inquiet, mais aussi étrangement léger. Elle a fait un choix: ne plus rester à ruminer, ne plus déclencher une nouvelle dispute, simplement partir.

Le village laccueille avec le silence et lodeur de lherbe coupée. La maison de Madame Thérèse se dresse au bord du village, derrière un petit bois. Adélaïde ouvre le portail, suit le sentier et voit la bellemaman, en tablier, en train de nettoyer des pommes de terre dans un grand bassin.

Adélaïdette? sétonne-telle. Doù vienstu?

Bonjour, Madame Thérèse. Je suis venue.

Madame Thérèse essuie ses mains sur son tablier, se lève. Cest une femme solide, aux épaules larges, au visage rond et souriant, les cheveux blancs tressés en une tresse.

Entre, entre! Édouard?

Non, je suis seule.

Seule? demandetelle en regardant la valise. Tu restes longtemps?

Je pourrais rester un moment, si cela ne dérange pas.

Pas du tout, ma chère! Viens, je prépare du thé.

Elles entrent dans le hall frais, puis dans la grande cuisine lumineuse, où laneth et le pain frais remplissent lair. Sur le rebord, des bocaux de confiture, des torchons brodés.

Adélaïde pose la valise près de la porte. Madame Thérèse saffaire à la cuisinière, sort des tasses, tranche une tarte.

Assiedstoi, reposetoi. Le chemin a dû être long.

Merci.

Et Édouard? Il travaille?

Adélaïde reste muette. Madame Thérèse la regarde attentivement.

Vous avez une dispute?

Oui, répond doucement Adélaïde. Jai besoin de prendre du temps.

Madame Thérèse hoche la tête, verse le thé.

Je comprends. Les hommes sont parfois froids, changeants. Il faut savoir les soutenir, mais pas seffacer.

Je ne sais pas faire, avoue Adélaïde, ou peutêtre il ma déjà oubliée.

Arrête ces bêtises! sinterrompt la bellemaman. Édouard taime, il est simplement submergé par le travail. Reposetoi ici, tu retrouveras tes forces.

Adélaïde acquiesce, même si elle ne croit pas vraiment.

Où puisje dormir?

La chambre de la fille dÉdouard, juste à côté. Le lit est frais, je viens de le changer.

Elle monte dans la petite chambre donnant sur le jardin, pose la valise sur une chaise et sassied sur le bord du lit. Le téléphone vibre: un message dÉdouard: «Jai lu ton mot. Tu pars vraiment chez ta mère?»

Elle répond: «Oui.»

«Pourquoi?»

«Il le fallait.»

«Quand reviendrastu?»

«Je ne sais pas.»

Plus aucun message. Elle pose le téléphone, se couche, regarde le plafond. Une douleur sourde et un soulagement étrange se mêlent.

Le soir, elles dînent ensemble. Madame Thérèse parle du potager, des voisins, du toit qui fuit.

Je dis à Édouard de venir maider, mais il na jamais le temps.

Il travaille trop, confirme Adélaïde.

Beaucoup, répond la bellemaman. Mais à quoi ça sert? Gagner de largent, mais la vie passe à côté. Il ne rend pas visite à sa mère, il ne remarque pas sa femme.

Adélaïde écoute, incrédule.

Je ne veux pas juste mhabituer, souffletelle. Je veux quon maime, quon me respecte.

Cest légitime, répond Madame Thérèse. Et tu ne dois pas supporter ce qui devient insupportable. Parfois il faut parler, sans cris, sans reproches.

Jai peur que ce soit trop tard.

Pas tant que vous êtes toutes les deux en vie.

Les jours passent. Adélaïde shabitue au rythme du village: matin au jardin, petitdéjeuner, aprèsmidi à la ferme, soirée à broder ou à discuter. Édouard lappelle une fois par jour, demandant des nouvelles, mais elle répond à la vavite, sans savoir quoi dire.

Un aprèsmidi, assises sur le porche, arrive la voisine, tante Valérie.

Oh! Des invités! Qui estce fille qui vient aider?

Ma bru, Adélaïde.

Ah! Et Édouard?

Il travaille, répond Madame Thérèse.

Bien sûr, travaille, sesclaffe la voisine. La bru vient juste pour ranger, quelle bonne fille!

Adélaïde garde le silence, laissant la tante parler. Quand Valérie part, Madame Thérèse sourit.

Cest bien quelle croie ça. Sinon elle commencerait à dire que la bru a fui.

Je nai pas fui, je prends juste une pause, rétorque Adélaïde.

Je sais, ma chère, répond la bellemaman.

Quelques jours plus tard, Adélaïde commence à déballer la valise. Elle sort vêtements froissés, doit les repasser. Madame Thérèse arrive du jardin, voit la pile de vêtements, et ricane.

Je pensais que tu venais juste pour ranger, mais on dirait que tu te prépares pour lhiver.

Adélaïde, les mains tremblantes, sexcuse.

Pardon, je ne voulais pas abuser de votre hospitalité.

Lâchetoi, plaisante la bellemaman, en tapotant son épaule. Tu restes aussi longtemps que tu veux. Tu comptes rester ici ou retourner chez toi?

Adélaïde sassoit, hésite.

Je ne sais pas. Ici, je me sens bien, paisible. Penser à revenir me rend nostalgique.

Alors tu nes pas prête, conclut Madame Thérèse. Le temps nous le dira.

Elle se tourne vers elle, douce comme une mère.

Édouard est mon fils, je laime, et je sais quil a tort. Sil ne veut pas changer, je comprendrai que tu partes. Mais si tu restes, aidele à devenir meilleur, apprendslui à te chérir.

Et sil refuse?

Alors tu dois vraiment partir, ne perds pas ta vie pour quelquun qui ne te voit pas.

Adélaïde hoche la tête, les mots de la bellemaman résonnent.

Plus tard, le téléphone sonne.

Adélaïde, reviens!

Non, répondelle.

Comment? Tu es ma femme!

Une femme que tu ne vois plus, que tu nentends plus.

Édouard reste muet.

Aije changé?

Non, tu nas pas changé. Je ne peux plus vivre ainsi.

Que veuxtu de moi?

Que tu sois présent, corps et âme. Que tu tintéresses à ma vie.

Je mintéresse!

Quand astu demandé comment jallais pour la dernière fois?

Elle le regarde, le visage durci.

Voilà, pensey.

Elle raccroche, les mains tremblantes, mais le cœur ferme.

Madame Thérèse, debout dans lentrée, sourit.

Bien joué, continue comme ça. Laissele réfléchir.

Les jours suivent, Adélaïde se sent presque prête à rester pour toujours, aidant à la ferme, vivant une existence calme. Un matin, une voiture arrive devant la maison. Édouard descend, sapproche du porche. Madame Thérèse ouvre la porte.

Bonjour, maman.

Bonjour, mon fils. Entre.

Il entre, voit Adélaïde à la cuisinière.

Salut,

Salut, répondelle, serrant une cuillère.

Madame Thérèse retourne au jardin.

Pourquoi estu venu? demande Adélaïde.

Pour toi.

Je ne veux pas revenir.

Pourquoi?

Parce que rien na changé.

Édouard sapproche, plus près.

Ça a changé. Jai compris que je te perdais. Je ne veux plus que ça se reproduise.

Des mots, répond Adélaïde, un sourire amer. Tu les diras joliment, puis tout retombera comme avant.

Non, ditil en secouant la tête. Cette fois, cest sincère. Tu es la plus importante pour moi.

Les larmes montent aux yeux dAdélaïde.

Je suis fatiguée dêtre invisible. Je veux être aimée, valorisée, utile.

Tu les, ditil en prenant ses mains. Pardonnemoi, jai été idiot, enfermé dans le travail, oubliant que la maison tattend.

Comment te faire croire?

Donnemoi une chance. Je le prouverai.

Elle le regarde, les mêmes yeux qui lavaient séduite autrefois, désormais remplis de regret et despoir.

Un seul essai, répondelle. Si tu redeviens comme avant, je partirai à jamais.

Je ne redeviendrai pas, je le promets.

Madame Thérèse revient du jardin, sourit aux deux.

Alors, les tourtereaux, on se réconcilie?

On essaie, répond Édouard en serrant sa mère. Merci de lavoir accueillie.

De rien, mon fils. Elle est une bonne épouse, prendsen soin.

Ils partent le soir. Adélaïde serre Madame Thérèse dans ses bras.

Merci pour tout.

Reviens quand tu veux, mais la prochaine fois avec ton mari.

Sur le chemin du retour, le silence sinstalle dans la voiture. Édouard regarde Adélaïde par la fenêtre.

Tu tiendras vraiment ta promesse?

Je le ferai. Mais cest la dernière.

Ils arrivent à lappartement. Tout est identique: les murs, le mobilier. Mais quelque chose a changé en elle. Elle ne se sent plus étrangère.

Édouard pose la valise dans le couloir.

Déballe tes affaires, je préparerai le dîner.

Toi? sétonnetelle.

Oui. Il est temps que japprenne à aider à la maison.

Elle sourit, espérant que cette fois le renouveau tiendra.

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— Je pensais que tu étais juste venue faire le ménage — a souri ma belle-mère en fouillant dans mes valises.
«Tu n’as rien accompli», disait l’homme. Mais il ne savait pas que son nouveau patron était mon fils d’un précédent mariage.