Cher journal,
Aujourdhui, mon cœur est lourd comme une pierre de grève. Ma mère, Marie Dupont, est alitée depuis des semaines, ses souffrances sont un rappel brutal que le temps ne fait pas de cadeau. Nous vivions autrefois dans un petit appartement douillet du 15ᵉ arrondissement, mais la maladie a tout changé. Jai dû accepter de vendre notre deux-pièces, non pas par caprice, mais pour financer lopération coûteuse qui sauverait la vie de ma mère. En tant quéducatrice à la crèche du quartier, mon salaire ne couvre même pas les quelques euros nécessaires aux médicaments.
Lopération a enfin eu lieu, et Marie a pu reprendre le chemin de la rééducation, mais elle reste désormais confinée à son fauteuil roulant. Sans le soutien dun revenu stable, nous nous sommes réfugiés dans une vieille cabane délabrée à la périphérie de Lyon, un endroit qui ressemble plus à un dépotoir quà un foyer. Malgré le chaos, les murs de cette cabane ne ressemblent pas à ceux dun squat ; ils sont le théâtre silencieux de notre lutte quotidienne.
Chaque soir, après ma journée à la crèche, je rentre les mains vides mais le cœur plein de volonté. Je ramène à ma mère un peu de soupe réchauffée, parfois même un morceau de pain que je compte à la pièce. Lhiver sannonce glacial et le froid sinsinue déjà dans nos maigres couvertures. Toutes nos économies ont disparu, il ne nous reste plus quune chose : un tableau que ma mère a peint dans sa jeunesse, représentant un bosquet de pins où se promenait un jeune couple amoureux. Cest le dernier vestige de ses rêves et, paradoxalement, notre dernier espoir de survie.
Je le regarde chaque fois que je le peux, les yeux humides. Ce nest pas seulement une toile, cest le souvenir dune vie qui aurait pu être différente. Jai entendu dire que les collectionneurs les plus extravagants paient des fortunes pour une œuvre qui raconte une histoire. Alors, jai décidé dessayer de la vendre à lhôtel Le Grand Palais, cet écrin de luxe où les millionnaires se pavanent comme des paons. Jai attrapé un prospectus décrivant le nouvel hôtel de la capitale, et je me suis jurée que, même si le destin me réservait le rejet, je ne baisserais pas les bras.
Parallèlement, un autre drame se joue à des kilomètres de là. Sébastien Moreau, propriétaire de la chaîne hôtelière «Les Rives dOr», voit son monde seffondrer. Après deux ans de mariage avec ma douce Claudine, la relation sest fissurée et, le 12 novembre, ils ont divorcé. Sébastien rêvait denfants, mais le temps jouait contre lui; à quaranteetun ans, la fertilité nest plus un sujet de plaisanterie. Le divorce la laissé sans repère, et chaque nuit, le vide de la chambre lui rappelle ce qui ne reviendra jamais.
Un jour, pressé de surprendre sa femme avec un bouquet de roses noires, il rentre chez eux en retard à cause dun vol retardé. En ouvrant la porte, il découvre Claudine dans les bras dun autre homme, nu sous une serviette. Le choc le fait vaciller ; la trahison le frappe comme un coup de massue. Claudine, imperturbable, le défie en criant que cest lui qui a détruit leur union, que son absence constante la poussée à chercher de la chaleur ailleurs.
Désemparé, Sébastien part en trombe, son cœur en miettes, et se retrouve sur la route, sans savoir où aller. Le soir même, il erre jusquau même hôtel où je tente désespérément de faire accepter mon tableau. Il sy trouve, furieux, à la recherche de la responsable de ce chaos. Quand il découvre mon œuvre accrochée dans le couloir, il la reconnaît instantanément : cest le même tableau qui, il y a longtemps, décorait le salon de son enfance, où il avait autrefois passé des étés heureux avec ses parents.
Lémotion le submerge. Il jette la toile au sol, la ramasse, et, les larmes aux yeux, me supplie de lui pardonner, de comprendre que le destin la mené ici. Il savoue être mon père, un secret qui était enterré depuis des années, et que la mort de ma mère la poussé à fuir ses responsabilités. Il me raconte alors la fois où, jeune soldat, il avait été filmé dans un court métrage publicitaire, ce qui avait attiré lattention dune ancienne amante, Maria, qui lavait quitté en apprenant quelle était enceinte.
Aujourdhui, la vérité éclate comme un éclair sur nos vies. Marie, après des mois de rééducation, se lève enfin de son fauteuil, prête à épouser Sébastien. Moi, je quitte la crèche, je minscris à un cours dartisanat pour prendre la relève dans lentreprise familiale. Quant à Claudine, elle retourne à sa petite ville, où elle vit avec sa mère, survivant grâce à la pension de retraite.
Dans le hall de lhôtel, le tableau retrouve enfin sa place, accroché au mur du salon, symbole dune famille recomposée, despoirs retrouvés et de douleurs surmontées. Chaque matin, le soleil qui filtre à travers les grandes fenêtres fait scintiller la peinture, rappelant à tous que, même dans les cendres, une étincelle peut renaître.
Je ferme ces lignes le cœur plus léger, sachant que, malgré les tempêtes, la vie trouve toujours un chemin pour se frayer une place.
À demain, cher journal.







