Trop vieille pour le bonheur

«Trop vieille pour aimer», me souvienton aujourdhui, comme dun vieux souvenir qui se souvient encore de lui-même.

«Maman, à quoi bon courir après des rendezvous? Bientôt vous serez la nounou de vos petitsenfants, et vous jouez encore à lamour!» lança Nathalie, la filledefamille, en remuant son thé dun geste nonchalant, son visage affichant un sourire à demi caché. Odette resta figée, tasse à la main, sentant son cœur se contracter. Elle posa lentement la tasse sur la soucoupe, essayant de camoufler le tremblement de ses doigts.

«Nath,» commençatelle à voix basse, «ça fait cinq ans que je suis seule, et je nai que cinquante ans. Jaimerais moi aussi être heureuse, tu sais.» La bruine de la jeune femme se transforma en un rire aigu qui lui trancha les oreilles.

«Oui, vous pouvez bien sûr le souhaiter,» répliqua Nathalie en sappuyant sur le dossier de sa chaise, «mais il est difficile de trouver un jeune homme maintenant, et vous, où allezvous? Ce nest pas le moment.» Les joues dOdette rougissaient, loffense se nouait dans sa gorge. Elle se leva, rassembla les tasses, les mains peu coopératives.

«Le goûter est terminé,» lançatelle sèchement. Nathalie haussa les épaules, sortit sans un au revoir, et rentra dans sa chambre. Odette resta seule dans la cuisine, appuyée contre lévier, le regard perdu sur la cour grise. Les paroles de la bruine sétaient enfoncées comme une écharde. Étaitelle vraiment inutile? Son temps étaitil révolu?

Pendant deux jours, Odette erra, évitant la conversation. Arthur, son fils, tentait de comprendre, mais elle léloignait. Que dire? Se plaindre de sa femme? Non, elle ne voulait pas devenir la bellemère qui sème la discorde.

Le troisième jour, son amie de lécole, Geneviève, lappela pour un thé. Odette accepta, pensant quun changement dair lui ferait du bien. Geneviève laccueillit dans une chaleureuse étreinte, la conduisit à la cuisine, et toutes deux sassirent à la table. En voyant les yeux familiers de Geneviève, Odette sentit son cœur se fissurer.

«Gali, jai limpression que ma vie a pris le mauvais virage,» commençatelle en serrant sa tasse chaude. «Il y a un an, Arthur a ramené sa femme. Les jeunes économisent pour acheter un logement. Jessaie dêtre une bonne bellemaman. Nos relations sont même chaleureuses. Je suis heureuse pour mon fils, mais je veux être aimée et aimer à nouveau Mais ma bruine me dit que je suis trop vieille pour de nouvelles aventures. Peutêtre atelle raison»

Geneviève posa sa main sur la sienne.

«Odette, elle na rien à dire,» affirmatelle, ferme. «Je suis restée seule à trente ans après mon divorce. Jai tout donné à mes enfants, je me suis oubliée. Ils sont partis, je suis seule. Maintenant je ne sais même plus comment chercher quelquun. Toi, ne perds pas de tempsagis.»

Odette se sentit soulagée, la compréhension de son amie la réconfortait.

«Écoute, Od» dit Geneviève, pensive, «jai un cousin, Thierry. Un homme respectable, cinquantetrois ans, divorcé depuis cinq ans, deux enfants adultes. Je pourrais vous présenter, vous verrez ce que le destin fera»

Le cœur dOdette saccéléra. Lidée daccepter était effrayante, mais rester seule pour toujours létait davantage.

«Essayons!» déclaratelle.

Ils décidèrent de se retrouver dans un petit café de la vieille ville de Lyon. Odette arriva légèrement en avance, jouant nerveusement avec le tissu de sa robe. Bientôt, la porte souvrit et apparut un homme dâge moyen au sourire timide : Antoine.

«Odette? Enchanté, Geneviève na cessé de parler de vous,» ditil en sasseyant. Ils commandèrent un café et commencèrent à parler, dabord hésitants, puis peu à peu plus détendus. Antoine raconta son métier dingénieur, ses deux filles qui vivaient déjà seules, comment il sétait reconstruit après le divorce. Odette partagea son deuil du mari décédé subitement, la lente acceptation de cette perte.

Tous deux portaient sur leurs épaules le poids dune vie entière, ils navaient plus besoin de jouer un rôle. Deux âmes fatiguées mais non brisées, prêtes à se donner une seconde chance.

Le soir, Antoine raccompagna Odette jusquà larrêt de bus, lui tendant un petit bouquet de marguerites du marché.

«Cest modestement» balbutiatil.

Odette serra le bouquet contre son cœur et sourit largement.

«Merci, elles sont magnifiques.»

De retour à la maison, Arthur laccueillit en sifflant en voyant les fleurs.

«Maman, regardetoi! Tu brilles comme une étoile! Quelquun a clairement fait impression,» lançatil en clignant de lœil.

Odette rit, enlacé son fils, heureuse quil ne sy oppose pas.

«Il est trop tôt pour en parler,» réponditelle, un peu gênée, «mais jai passé un bon moment avec quelquun de bien.»

À ce moment, Nathalie fit irruption dans la cuisine, le regard dur.

«Et après? Où vont vous mener ces rendezvous?» lançatelle.

Odette, prise au dépourvu, balbutia.

«Nath, je tai déjà dit que cest trop tôt»

«Ce nest pas tôt!» rétorqua la bruine, «tu sais bien que ce monsieur ne tintéresse que pour ton appartement!»

Des larmes montèrent aux yeux dOdette. Arthur bondit, saisit la main de sa femme.

«Nathalie, quel ridicule! Tu ne connais même pas cet homme!»

Nathalie, les bras levés, répliqua: «Je ne laccuse pas, je le vois simplement. Il y a tant descrocs autour, on ne peut faire confiance quà la famille, Arthur.»

Odette se retira dans sa chambre, ferma la porte et seffondra sur le lit, le bouquet innocent reposant sur la table. Étaitelle naïve? Les mots de la bruine étaient cruels, et le pire était quelle les prononçait sous les yeux de son fils, essayant de le retourner contre sa mère.

Les semaines suivantes, Odette continua à rencontrer Antoine. Chaque sortie apportait joie et légèreté : promenades dans le parc, cinéma, cafés. Un jour, Antoine parla davenir.

«Odette, je ne veux pas précipiter les choses, mais accepteraistu de venir vivre avec moi? Notre petit deuxpiezetdemi ne sera pas trop étroit, et jai une maison de campagne où lon pourrait passer lété. Je veux une relation sérieuse.»

Odette sentit son cœur se réchauffer.

Elle rentra chez elle, prête à annoncer les paroles dAntoine à Nathalie, à prouver que tous les hommes ne sont pas des charlatans. Mais au coin de la rue, elle aperçut Nathalie avec une amie, assises sur un banc, sans la remarquer.

«Je ne sais plus quoi faire! Arthur veut un enfant, et je ne suis pas prête. Tout reposait sur la grandmère, qui soccupait du petitenfant pendant que je travaillais. Maintenant elle a trouvé lamour, elle plane» cria la bruine.

Odette séloigna silencieusement, contournant la maison. Une froideur sinstalla en elle. Nathalie ne pensait quà elle-même, à ses projets, et Odette nétait pour elle quune nounou gratuite.

Le soir, autour du dîner, Odette demanda à son fils :

«Arthur, de combien avezvous encore besoin pour lapport du premier achat?»

Arthur leva les yeux, surpris.

«Encore cinq cent mille euros. Mais, maman, on ne vous demande rien»

«Je sais,» acquiesça Odette. «Je vais puiser dans mes économies et vous les offrir, pour que vous ayez enfin votre propre maison.»

Arthur se leva, enlacent sa mère.

«Maman, merci! Cest incroyable!»

Nathalie fit une moue contrariée. Arthur se tourna vers elle.

«Nath, remercie ta mère!»

Odette la fixa droit dans les yeux.

«Elle ne me remerciera jamais. Je ne voulais pas être une nounou gratuite, jai choisi de me choisir moimême.»

Arthur resta sans voix.

Odette raconta tout: la conversation dans la rue, les plans de Nathalie pour lutiliser comme gardedenfant et pourquoi elle essayait de saboter la relation avec Antoine.

Arthur pâlit, se retourna vers sa femme, le visage déformé.

«Cest vrai, Od?»

Nathalie resta silencieuse, le regard baissé.

«Réponds!» lançatil, furieux.

Elle répliqua:

«Je voulais ce qui était le mieux pour nous, avoir quelquun pour aider avec lenfant.»

«Pars! Rassemble tes affaires et pars, je ne veux plus jamais te voir.»

«Arthur, tu deviens fou!»

«Cest toi qui as perdu la raison. Je demande le divorce!»

Nathalie éclata en sanglots, mais les larmes ne touchèrent pas Arthur. Il la laissa rassembler ses affaires, et la porte se referma derrière elle.

Arthur seffondra sur une chaise, la tête entre les mains. Odette sapprocha, le serra.

«Pardonnemoi, mon fils. Pardonne que je naie pas vu ce quelle était. Pardonne que je ne taie pas protégé.»

«Tout ira bien, papa.» murmuratil.

Trois ans plus tard.

La maison de campagne était envahie de verdure. Le soleil de juillet brûlait, mais sous le treillis, où trônait une longue table, lair restait frais. Odette dressait les salades, souriante. Antoine soccupait du barbecue. Arthur berçait le petit Maxime, trois mois, pendant que sa femme Irène dressait la table. Les deux filles dAntoine, Catherine et Léa, jouaient avec le bébé, le cajolant.

«Quel petit bout de chou!» sexclama Catherine, caressant le menton de Maxime. «Antoine, comment astu eu un fils aussi beau?»

Arthur rit: «Cest grâce à Irène, je ny touche pas!»

Léa sassit à côté, faisant des grimaces au bébé.

Odette observait cette scène, le cœur débordant damour. Une grande famille réunie autour dune table, rires, joie, chaleur. Elle croisa le regard dArthur, qui lui envoya un sourire rempli de gratitude, damour et de bonheur.

Odette rendit son sourire, la vie sétant enfin arrangée à sa façon, à la leur.

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À Chacun Son Temps