Dans le tumulte de lhypermarché Carrefour de Marseille, la cinquantaine dannées sétaient empaquetées en un corps frêle. Madame Madeleine Dubois, quatrevingtdixans, avançait péniblement, appuyée sur sa vieille canne de hickory. Chaque pas faisait trembler ses jambes, son dos criait chaque fois quil sinclinait, comme si le sol voulait lavaler. Pourtant, elle devait acheter du pain, du beurre, de quoi tenir le mois à venir, seule depuis la mort de son époux.
Elle longeait les allées, ses cheveux gris surgissant sous son foulard à carreaux. Elle saisit une miche de pain, la regarde le prix affiché, secoue la tête et la repose. Puis, un paquet de beurre la fait frissonner ; elle en tourne lemballage, pousse un soupir qui se perd dans le bruit des caisses et des chariots. Les étiquettes semblaient se moquer delle, gonflées à lexcès, comme un rappel cruel que son portemonnaie ne tiendrait même pas le minimum.
Le supermarché était une fournaise dactivité. Les clients, pressés, ignoraient la silhouette vacillante qui trimbait entre les rayons. Au bout dune allée, son pied senlisa dans un tapis décousu. Une douleur aiguë, tranchante comme une lame, traversa sa cheville. « Ah ça fait mal », hurlatelle, et seffondra sur le carrelage froid, sa canne dévalant dans un cliquetis sourd.
Quelques acheteurs tournèrent la tête. Un instant, leurs regards se figèrent, puis ils se détournèrent, comme sils refusaient daccepter la scène. Un homme devant le rayon des yaourts continua de choisir, le caissier à la caisse fit mine dêtre absorbé par les codesbarres, et un jeune homme sortit son téléphone pour filmer, trouvant lincident « divertissant ».
Madame Dubois tenta de se relever, mais ses jambes ne répondirent pas. Elle sagrippa à sa canne, se redressa, puis retomba, le souffle court, les lèvres tremblantes, les yeux inondés de larmes. Elle leva une main tremblante, suppliant en silence, mais aucun secours ne vint. Le cliquetis du scanner se mêla à son halètement, à son gémissement étouffé. Chaque pas vers la sortie était une agonie, mais elle avançait, poussée par lespoir de rentrer chez elle.
Des silhouettes sécartaient, indifférentes, leurs regards un mélange de pitié feinte et datteinte de la routine. Leurs voix sétaient muées en un murmure lointain, comme un voile qui ne voulait plus se soulever. Puis, comme un rayon de lumière inattendu, une petite fille, pas plus de cinq ans, sapprocha. Dans ses bras, un ourson en peluche aux yeux brillants. Elle se pencha, fixa Madeleine du regard et demanda dune voix douce :
« Grandmaman, ça vous fait mal? Où sont vos enfants? »
Madeline leva les yeux, un faible sourire se dessina sur son visage fatigué. La fillette tendit sa petite main, essayant daider la vieille femme à se relever.
Sa mère, alertée, surgit. Elle saisit Madeleine, la posa doucement sur un banc dattente, et composa immédiatement le 15. Pendant que lambulance approchait, la petite Perrine serra la main de la vieille dame et murmura :
« Nayez pas peur, tout ira bien. »
Quand lambulance siffla, emportant Madeleine vers lhôpital, le supermarché sombra dans un silence pesant. Ceux qui, quelques minutes plus tôt, observaient sans réagir, ne pouvaient plus se regarder en face.
Seule cette petite fille, au cœur tendre, avait montré ce que signifie réellement lhumanité : ne pas fuir, ne pas détourner le regard, offrir son aide même quand le monde semble sen détacher. Inoubliable, son geste resta gravé comme le seul éclair de compassion dans la nuit de lindifférence.







