Quand la vieille dame seffondra, nul ne la secourut; ce qui suivit lorsquelle tenta de ramper laissa tout le monde sans voix.
Dans un hypermarché du 15ᵉ arrondissement, Madame Lucienne, quatrevingtdix ans, franchit lentrée en sappuyant sur son vieux bâton de marche en chêne. Chaque pas était une lutte : ses jambes tremblaient, son dos criait sous le poids dune vie solitaire, mais elle devait acheter du pain et du beurre pour son petitdéjeuner.
Elle erra entre les allées, examinant les produits dun œil curieux. Sous le col dun foulard à pois séchappaient quelques mèches grises. Elle prit une miche de pain, mais à la lecture du prix2,30, elle la reposa. Un paquet de beurre toucha alors ses doigts; elle le tourna, soupira profondément, comme si le coût était une plaisanterie cruelle.
Les étiquettes semblaient gonflées dune arrogance presque satirique. Elle remit plusieurs articles au rayon, consciente quil ne resterait peutêtre pas assez deuros pour le strict nécessaire. Le magasin bourdonnait: les clients poussaient leurs chariots, indifférents à la silhouette vacillante qui avançait péniblement.
À la fin dun couloir, elle trébucha; une douleur aiguë traversa sa jambe comme une lame invisible.
«Aïe ça fait mal», cria-t-elle, tombant sur le carrelage froid, son bâton glissant de ses mains.
Quelques clients se retournèrent, figés un instant, puis reprirent leurs courses. Un homme près du rayon des yaourts continua à choisir, un caissier feignit labsence de tout bruit. Madame Lucienne tenta de se relever, mais ses jambes refusaient de coopérer. Elle sagrippa au bâton, se redressa, puis retomba de nouveau.
Elle balaya la salle du regard, espérant un secours qui ne venait jamais. Ses lèvres tremblaient, ses yeux se remplissaient de larmes. Elle étendit la main comme pour supplier, mais personne ne savança. Un jeune homme sortit son téléphone, commença à filmer, persuadé dassister à une farce.
Essoufflée, elle rampa vers la sortie, une main agrippée au bâton, lautre glissant sur le carrelage glacé. Le vacarme du magasin sestompa, ne laissant que son souffle lourd et des gémissements étouffés. Chaque pas était une agonie, mais elle poursuivait, persuadée de franchir le seuil et de retrouver le chemin du domicile.
Les clients sécartèrent, leurs regards mêlant pitié et indifférence, comme sils avaient décidé que ce drame nétait pas le leur.
Alors, une petite fille, pas plus de cinq ans, apparut. Elle tenait un ourson en peluche, le pressait contre son cœur. Sinclinant doucement, elle fixa Madame Lucienne et demanda dune voix timide:
«Maman, ça te fait mal? Où sont tes enfants?»
La vieille femme leva les yeux ; un sourire faible et bienveillant se dessinait sur son visage. La fillette étira son minuscule bras vers la dame, tentant de laider à se relever.
Sa mère, voyant la scène, accourut, souleva Madame Lucienne, la posa sur un banc et appela immédiatement lambulance. Pendant que les secours arrivaient, la petite, prénommée Mélusine, serra la main de la vieille dame et murmurait: «Ne ten fais pas, tout ira bien.»
Quand lambulance sébranla, le magasin sombra dans un silence lourd. Ceux qui, il y a quelques minutes, avaient observé lagonie avec indifférence, ne pouvaient plus se regarder sans rougir.
Seule la petite Mélusine avait montré ce quest la véritable humanité: elle ne sétait pas détournée, navait pas fui, navait pas eu peur. Dans ce rêve étrange où la logique se tordait comme les allées du supermarché, elle fut lunique âme à briller.







