L’ART DE VIVRE : Les Délices de la Vie

Laurent, comment as-tu pu? On se moquait de cette paysanne tout juste débarquée! je le lançai en sortant de la cuisine, outré par la trahison de mon mari.
Pardon, Élodie, une bêtise ma pris. Jai encore du mal à comprendre comment je me suis retrouvé au lit de «La Brioche» répondit Laurent, fronçant les sourcils, maudissant, cigarette au bec.

Dans notre immeuble de la rue de la République sest installée une jeune famille: Nicolas, Luce, et leur petite fille de cinq ans, Violette. Nous avions trente ans, nos fils six, les nouveaux venus vingtcinq. Étant au même étage, nous avons rapidement tissé des liens.

Luce était une villageoise très appliquée, passionnée de cuisine. Gâteaux, tartes, quiches occupaient une place dhonneur ; cest sans doute pourquoi elle entrait toujours dans la cuisine comme une barrique débordante. En plaisanterie, Laurent nous appelait «La Brioche» à cause de ses formes généreuses. La cuisine de Luce était tapissée de bocaux de conserves, un véritable musée. De mon côté, je me pensais beau et soigné, tandis que Luce arpentait les pièces en peignoir usé, une petite queue de cheval rebelle. Son mari, Nicolas, maigre comme un roseau, et leur fille dodue étaient toujours bien nourris cétait le seul mérite de Luce.

Malgré tout, je lappréciais. Nicolas était routier, souvent en vadrouille, et il lavait rencontrée dans un hameau isolé, lorsquil était entré dans lépicerie du village pour acheter des cigarettes. Luce avait tout de suite jeté son dévolu sur le grand mince. Nicolas na jamais eu la chance de passer inaperçu.

Neuf mois plus tard, Luce a donné naissance à une petite fille au fils du routier. Nicolas a emmené Luce et leur bébé à la ville. Quand jai présenté cette nouvelle famille à ma mère, elle a catégoriquement refusé de reconnaître ni la «paysanette» Luce, ni la petitenièce. Nicolas a dû louer un appartement.

Mon Laurent critiquait toujours lapparence de Luce.
Comment ne pas saimer? Une femme ne doit pas se négliger me lançait-il.

Ma mère est tombée malade, une grippe légère au début. Nous nous relayions pour la soigner, moi et Laurent, à tour de rôle. Avec le temps, nous avons cherché une aideàdomicile. Luce sest proposée.
Je viendrai un peu pour vous rendre service, et jai besoin dun cadeau pour mon mari : une barque gonflable pour la pêche. Mais ne le dites pas à Nicolas, que ce soit une surprise. sest réjouie Luce en acceptant le petit boulot.

Luce, ne noie pas ma bellemère de nourriture, elle na plus dappétit à cause de sa maladie, lui aije demandé.

Le destin a voulu que je sois envoyé en mission longue durée. Après avoir donné mes instructions à Laurent, à mon fils et à Luce, je suis parti dans une autre ville.

Un mois plus tard, je suis revenu. Laurent baissait les yeux, Luce évitait tout contact.
Maman, prépare les mêmes pommes de terre que chez Tante Luce, et ses boulettes étaient délicieuses, ma dit mon fils dès que je suis franchi le seuil.

Tante Luce ta offert cela? aije demandé, méfiant.
Oui, elle a amené Violette chez nous, et a repris papa, a confirmé mon fils.

Je commençais à deviner quelque chose. Nicolas était en route, moi en mission Le soir, après avoir nourri mon mari, je lai confronté.
Laurent, je sais tout, ne te défends pas, mon fils a tout raconté, disaisje, espérant quil admette.
Rien na eu lieu, «La Brioche» voulait juste réparer le robinet, a répondu Laurent, sans rougir.

Détendstoi, ça ne sert à rien de sen faire, je ne pense pas que tu voulues tromper Luce, lui aije soufflé, soulagé.

Pourtant, Laurent commençait à rendre visite plus souvent à ma mère alitée, y restant de longues heures. En la rejoignant, je la trouvais calme, soignée, mais seule. Je cherchais mon mari et «La Brioche».

Jai sonné à la porte de Luce.
Une Luce épuisée a ouvert, et, en arrièreplan, mon mari, affaibli, gisant dans le lit.

En bon homme de la ville, je suis rentré sans un mot. Je narrivais pas à croire ce que je voyais: Laurent, que je traitais de négligent et de malpropre, samusait intimement avec elle!

Franchement, je ne ressentais pas de jalousie envers la cuisinière. Quand Laurent a accouru, je lai brusquement dirigé vers la salle de bains.
Prends une douche, lavetoi soigneusement! Tu tamuses? Je raconterai tout à Nicolas. Il te le demandera! laije menacé en ricanant. Jimaginais Nicolas, maigre, se battre les poings devant le nez de Laurent.

Luce a avoué à Nicolas son infidélité. Je ne sais pas comment son mari, ce «téméraire», a réagi, mais une semaine plus tard, toute la famille a quitté les lieux. En partant, Nicolas, en me voyant, a déclaré avec fierté:
Ce nest pas étonnant, qui résisterait à ma Luçienne?

Le temps a passé. Un jour, je recroise «La Brioche».
Salut, mon amie! Tu es toujours vexée? Pas de raison. Chez nous, la petite vie tourne à plein régime. Je ne me suis pas lassé, et ton mari semble content. Tu pars souvent en mission On ne laisse pas un mari affamé longtemps, ma rappelé Luce la règle de la vie à la campagne. Je lai regardée, cette femme qui avait tout chamboulé avec son rire franc et ses mains pleines de farine. Son regard pétillait, elle semblait plus vive que jamais. Jai hoché la tête, sans colère, sans haine juste une drôle de tristesse mêlée dadmiration. Elle avait raison, peut-être, sur bien des choses. Le soir, en réchauffant une de ses anciennes conserves, jai souri à vide. La vie, comme une vieille marmite, finit toujours par laisser passer des saveurs quon nattend plus.

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