28mai2025
Aujourdhui jai encore revu le fil de ma vie comme un vieux film dont on ne sait plus où il sarrête. Je mappelle Églantine, jai trente ans et jai longtemps vécu dans lombre dune amourette qui ne menait nulle part. Jusquà lâge de trente ans, jai erré parmi les rencontres sans jamais trouver le mariage, et, à force de fatigue, jai fini par accepter dêtre la petite amie de Paul, un collègue que je pensais discret. Au départ je ne savais pas quil était déjà marié, mais il na pas tardé à le laisser tomber dès quil a senti que je mattachais à lui.
Je nai jamais osé le réprimander ; au contraire, je me suis critiquée, men voulant dêtre si fragile, de navoir pas trouvé un mari à temps, de voir les années ségrener comme du sable. Physiquement, je ne suis pas une beauté à couper le souffle, mais je suis plutôt jolie, légèrement rondelette, ce qui, à mon avis, me donne un air plus mûr.
Notre relation navançait pas. Rester la maîtresse me répugnait, mais abandonner Paul me terrifiait. Javais peur de la solitude. Un jour, mon cousin Sébastien, de passage à Lyon pour un déplacement professionnel, est venu me rendre visite. Nous avons partagé un déjeuner simple dans ma petite cuisine, comme autrefois quand nous étions enfants, et je lui ai tout raconté, les larmes aux yeux, sans filtre.
Au même moment, ma voisine, Martine, est passée pour jeter un œil à mes achats. Je suis sortie un quart dheure, et, à mon retour, le concierge a sonné. Sébastien a ouvert la porte, pensant que jétais rentrée, et sest retrouvé nez à nez avec Paul, debout sur le seuil, en survêtement, mâchant un sandwich au jambon.
Églantine, tu es là ? a demandé Paul, perdu.
Elle est dans la salle de bains, a deviné Sébastien.
Pardon, qui êtesvous pour elle ? a balbutié Paul.
Je suis son petit ami, civil. Et vous, questce qui vous amène ici ? a répliqué Sébastien, le saisissant par le col. Tu nes pas celui dont Églantine me parlait, le marié qui fait les gros titres ? Si je te revais encore, je te jette du haut de lescalier, compris ?
Paul sest débattu, est sorti en trombe, et je suis revenue quelques minutes plus tard, le cœur en vrac. Sébastien ma tout raconté.
Questce que tu as fait ? Qui la demandé ? ai-je sangloté. Il ne reviendra jamais.
Il ma alors proposé un autre homme, veuf du village de SaintJeandeLuz, qui naccepte plus les femmes après la mort de sa femme. Il ma juré quaprès son prochain déplacement, il viendrait me chercher, que nous partirions ensemble, que je le rencontrerais.
Cest impossible, Sébastien, je ne peux pas ai-je protesté. Je ne veux pas dun mari inconnu, ni dun scandale.
Mais il a insisté, rappelant que «cest lanniversaire de ma sœur», et quelques jours plus tard, nous étions déjà en route pour le village. La femme de Sébastien, Lydie, avait dressé une table sous le chêne près du bain public. Les voisins et les amis de Sébastien, dont le veuf Alexandre, étaient venus fêter. Je ne connaissais jamais Alexandre, cétait sa première rencontre avec moi.
Après le dîner, je suis repartie à Lyon, pensant à ce veuf discret, à sa timidité. «Il doit penser sans cesse à sa défunte épouse», me suisje dite, «pauvre homme, si peu de chaleur dans son cœur».
Une semaine plus tard, un samedi, on a sonné à ma porte. Sans my attendre, jai ouvert et jai vu Alexandre, un sac à la main.
Bonjour, Églantine, je passais par le marché et je me suis dit que, maintenant que nous nous connaissons, je pourrais vous rendre visite, a-t-il bafouillé.
Je lai invité à entrer, lui proposant du thé. Il a sorti un petit bouquet de tulipes du sac, les a tendues. Mes yeux se sont remplis de lumière. Nous avons parlé du temps, des prix du marché, et, après le thé, il sest levé pour partir. Enfilez son manteau, il sest arrêté à la porte, sest retourné et a dit :
Si je partais maintenant sans vous dire quoi que ce soit, je ne pourrais pas me pardonner. Depuis une semaine, je ne pense quà vous. Jai même demandé ladresse à Sébastien.
Jai rougi, baissé les yeux.
Nous nous connaissons à peine aije murmuré.
Ce nest rien, lessentiel, cest que je ne vous déplaise pas. Puisjettu ? Je sais que je ne suis pas un cadeau. Jai une petite fille de huit ans, elle vit chez sa grandmère.
Son tremblement était palpable.
Une fille, cest une joie, un bonheur, aije dit rêveuse. Jai toujours voulu être mère.
Encouragé, il a pris mes mains, ma tirée vers lui et ma embrassée. Après le baiser, il a lu dans mes yeux des larmes.
Estce que je vous dérange ? atil demandé, inquiet.
Au contraire, je naurais jamais imaginé une telle douceur, ni une telle paix. Je ne vole rien à personne aije répondu.
Depuis, nous nous voyons chaque weekend. Deux mois plus tard, nous nous sommes mariés à SaintJeandeLuz et nous avons installé notre vie dans le village. Jai trouvé un poste dassistante dans la crèche locale. Un an plus tard, notre petite fille est née, suivie dune seconde ; les deux sont choyées, aimées, entourées daffection.
Alexandre et moi vieillissons ensemble, notre amour se bonifie comme un bon vin qui se garde en cave. Sébastien, lors des repas, me lance souvent un clin dœil :
Alors, Églantine, quel mari taije trouvé ? Tu ne cesses de rayonner. Je nai jamais conseillé le mauvais, écoute ton frère!
Je naurais jamais imaginé que ma vie, autrefois pleine de doutes, se transformerait en une histoire de bonheur simple, ancrée dans la douceur dun petit village français.







