Une Surprise Inoubliable pour Maman

Sur le balcon, Sophie regarde dun air penaud sa bellemère, Madame Jeanne, qui est assise dans lobscurité sur le banc devant limmeuble: fautil lappeler ou pas? Si elle lappelle, Jeanne relève la tête, secoue négativement la têteelle veut rester un peu plus longtemps seule. La vieille ne sort prendre lair que quand le banc est totalement libre; les conversations de ses voisines de limmeuble sur les charges de copropriété, la flambée des prix des produits ou dautres sujets urbains lui sont incompréhensibles. Elle a vécu toute sa vie à la campagne et depuis deux ans elle vit chez son fils et sa bellefille.

«Elle est complètement dépendante,» soupire Sophie en se tournant vers son mari, Marc. «Il faut enfin exaucer son souhait.»

«Attends un peu, tout nest pas encore prêt pour la relocation,» répond Marc.

Il y a deux ans, la maison de Madame Jeanne a brûlé, il ne reste plus quun seul soubassement. En plus de la maison, tout a disparu: la remise avec le poulailler, la petite serre. À ce moment-là, elle était au marché où elle vendait ses concombres et ses tomates du potager. Une étincelle, soit sur une prise, soit dun appareil quelle a oublié déteindre, a déclenché le feu qui sest rapidement propagé grâce au vent fort, la laissant arriver à la ruine. Les villageois se souviennent encore, le cœur serré, de la façon dont elle courait dans la cour noire, couverte de suie, hurlant de désespoir. Elle vivait seule, les poules sont parties saines et sauves, mais la maison était son bien le plus précieux.

Après lAVC de Madame Jeanne, son fils Pierre et sa bellefille Sophie lamènent chez eux. Pendant longtemps, la vieille reste à moitié paralysée, puis elle commence à se relever petit à petit.

«Maman, reposetoi encore un moment, trop marcher vous fait du mal,» insiste Sophie.

«Non, je me remets à marcher, puis je retournerai à mon village,» répond la bellemère.

Tout le monde pense alors quelle a perdu la raison. Peutelle ne pas se rappeler ce qui sest passé? Tous commencent à la questionner doucement.

«Vous croyez que je deviens folle?» ricane Madame Jeanne à Sophie. «Bien sûr que non, je me souviens que ma maison a brûlé, que jai été à lhôpital. Je pensais minstaller chez ma voisine, Pauline, qui est aussi seule; je laiderai à la maison, je cumulerai ma pension, et je pourrai reconstruire petit à petit. Je sais que vous avez des finances modestes, et que ma petitefille grandit pendant que joccupe sa chambre. Je suis un fardeau ici.»

Personne nose dire que la voisine Pauline est décédée récemment et que toute la famille se dispute la maison, menaçant de porter plainte les uns contre les autres. Tout le monde redoute un deuxième AVC. Pauline était la personne la plus chère à Jeanne, non seulement par le cœur mais aussi parce quelle habitait tout près. Jeanne a aussi une petite sœur, Amélie, qui vit au nord, où le climat est rude. Les deux fils de Pierre, PierreJunior et Dimitri, sont souvent en mer; le dernier, Antoine, est marinmécanicien, toujours en voyage.

Ce qui pèse le plus sur Jeanne, cest de vivre dans la chambre de sa petitefille étudiante, Lucie, qui ne peut même pas inviter damies chez elle. Elle a limpression que les jeunes filles doivent se rassembler chez quelquun.

«Grandmère, ce nest plus comme avant, on communique maintenant via Internet!» explique Lucie.

«Questce que cette communication?» sétonne Jeanne. «On ne peut même pas prendre le thé ensemble.»

En plus détouffer Lucie, Jeanne ne veut pas être un poids pour Pierre et Sophie. Elle voit leurs finances serrées, essaie de les aider à nettoyer et à cuisiner, mais elle ny parvient pas comme le fait la bellefille: elle marche avec peine, sa main gauche répond mal. Quand elle apprend le décès de Pauline, elle pleure longtemps, puis déclare:

«Mes enfants, ne vous fâchez pas, mais jai décidé: placezmoi dans une maison de retraite. Pierre, tu as une procuration, je lai même signée à lhôpital, tu peux régler tout pour moi. Sil faut vendre mon terrain pour payer, faitesle, même à petit prix, tant que je suis couverte.»

Sophie, Pierre et Lucie protestent, mais petit à petit, la grandmère les convainc. Pierre soccupe des démarches pour la maison de retraite et affirme quil a déjà vendu le terrain, mais les formalités sont un vrai labyrinthe bureaucratique. Il donne de largent au directeur, qui reste pourtant sur la réserve, attendant son tour. Le temps passe, lautomne approche, ils veulent déménager et laisser les enfants et la petitefille en paix.

Lorsque Jeanne revient de sa promenade du soir, elle lance, dès la porte:

«Pierre, si tu ne memmènes pas à la maison de retraite lundi, jirai moimême! Jirai voir le directeur et je dirai: donnezmoi un lit, vous avez déjà reçu largent, lÉtat doit me prendre en charge!»

Tout le weekend, Pierre disparaît. Il réapparaît tard dimanche soir, chuchote nerveusement avec Sophie, puis annonce à sa mère quil a tout arrangé avec le directeur: demain elle aura un lit, même une chambre à elle.

Le lendemain, ils partent dans la vieille «Renault» de Pierre. Jeanne ne comprend pas pourquoi son fils conduit vers son ancien village alors quils doivent aller dans la direction opposée.

«Maman, ils ont refait la route, on doit faire le détour,» répond Pierre.

Ils traversent les villages voisins, puis arrivent dans le hameau où Jeanne habitait autrefois. La vieille femme ferme les yeux, ne voulant pas voir les ruelles familières ni le terrain vendu il y a deux ans. En fermant les paupières, elle sent la voiture freiner et pénétrer dans un portail. Elle ouvre les yeux et voit la même porte souvrir sur son ancien terrain, désormais occupé par une nouvelle maison en briques rouges, où lattend, souriante, sa sœur Amélie. Tout devient flou, elle a limpression de perdre connaissance.

Quand elle reprend ses esprits, elle embrasse sa sœur, puis explique tout, même comment elle a failli gâcher la surprise.

«Maman, personne ne voulait vendre le terrain, nous avions prévu de construire tout de suite!» explique Pierre. «Nous navions pas voulu te le dire, nous avons simplement pris un crédit, et Antoine a envoyé une bonne somme, les travaux ont commencé rapidement. Maintenant tu as trois pièces, une grande cuisine avec véranda, une chaudière à deux circuits, une douche, un WC. Ta sœur Amélie, qui vit ici depuis six mois après avoir quitté le nord, a aidé à la rénovation, attendant de te retrouver, mais cétait une surprise! Si tu avais attendu deux semaines de plus, le grange aurait été totalement achevé avec le poulailler, mais tu ne voulais pas attendre! Antoine arriverait dans deux semaines, et tu as tout changé!»

Madame Jeanne pleure, rit, serre tour à tour sa sœur, son fils, sa bellefille, sa petitefille, sans savoir comment les remercier. Qui aurait pu imaginer une telle surprise? Ils avaient gardé le silence, craignant un second AVC de joie! Quelle joie davoir de tels proches!

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