Quel est le bien le plus précieux, au-delà de largent?
Je mappelle Élodie, jai trente ans, et André, mon mari, et moi sommes mariés depuis presque dix ans. Nous avons deux enfants, de vrais tourbillons de vie. André travaille à lusine de SaintÉtienne, moi je suis animatrice dans une crèche de notre quartier à Lyon. Le portemonnaie crie famine: presque tout notre salaire part au remboursement de crédits, il ne reste presque rien pour le quotidien.
«Élodie, on va fêter ton anniversaire? Cest ton trente», me lance André, les yeux brillants denvie de me mettre à lhonneur. Mais les sous nous manquent, et je ne peux que répondre: «Et on servira quoi aux invités? Des craquelins et leau du robinet?»
Il me rassure: «Pas besoin de grand banquet. Un petit gâteau, des bonbons, un thé, et on invite nos parents ainsi que quelques proches. Dailleurs, ton frère arrive bientôt de Paris.»
«Oui, Antoine a dit quil passera à la fin du mois, mais je ne suis pas sûre de le convier.»
«Pourquoi? Cest un homme daffaires, il pourra peutêtre nous offrir un petit quelque chose. Et même sil ne donne rien, la famille sera réunie.»
Je reste indécise. Travailler sans cesse avec les toutpetits et navoir jamais assez dargent me pèse lourdement. Après réflexion, je décide dappeler les proches pour les inviter à prendre le thé chez nous. Jai même contacté mon frère Antoine. Il vit à Paris depuis des années, dirige une grande société de construction. Il na jamais eu le temps de fonder une famille, louvrage le consume.
Depuis son installation à la capitale, Antoine a grimpé les échelons avec une fortune qui a changé son caractère: il est devenu fier, hautain, se moquant de nous comme de pauvres ratés. Son attitude me fatigue ; jai fini par réduire nos échanges au strict minimum.
«Tu viendras à mon anniversaire?», aije demandé, même si ma mère naurait jamais approuvé cet invité.
«Oui, jy serai!», a-t-il répondu dès quil a entendu parler du «fête familiale». «On la fait où? Un restaurant?»
«Non, on reste à la maison, on boira du thé et on papotera.»
«Ah, daccord», a-t-il souri, oubliant nos soucis financiers. «Je réfléchis à ce que je peux faire.»
Le jour J, la plupart de nos proches sont venus, mais Antoine était absent. Il a bien fait le voyage depuis Paris, mais nest pas passé à la maison.
Ma mère, Nathalie, ma alors remis une petite boîte.
«Questce que cest?» aije demandé, surprise.
«Je ne sais pas, il ne ma rien dit.»
En ouvrant le paquet, jai découvert une vieille statuette en porcelaine.
«Questce que je suis censée faire de ce bibelot?», aije protesté, déçue.
«Appelle ton frère et remerciele pour le geste, même si ce nest pas grandchose.»
Après avoir entendu son absence et ce présent sans valeur apparente, je nai plus voulu parler à Antoine. Mais, à la fin de laprèsmidi, il a appelé.
«Je nai pas pu venir, jai des affaires plus importantes que de siroter du thé.»
«Alors le cadeau était superflu.»
«Un bibelot?», a rétorqué Antoine, moqueur. «Tu ne comprends rien aux choses de valeur. Cest un antiquité, ça vaut pas mal dargent. Un ami me la donné, mais ça ne correspondait pas à mon décor, du coup je lai refilé.»
«Que veuxtu que jen fasse?», aije demandé, la colère montante.
«Posele sur la commode, laissele te rappeler les sous que vous ne gagnerez jamais.», at-il ri, puis a ajouté dune voix sèche: «Ne le vends surtout pas! Chaque mois, prendsle en photo, envoiemoi le compterendu. Je ne laisserai pas vos finances senrichir à mes frais.»
Ces exigences mont glacée. Jai refusé, mais ma mère, voulant éviter le clash, a commencé à prendre les photos en douce et à les lui envoyer.
Quelques mois plus tard, la situation financière sest aggravée: André a perdu son emploi et les crédits nous écrasent.
«Ne tinquiète pas, je retrouverai un poste bientôt,» a tenté de me rassurer André, sans succès.
«On na même plus à manger,» aije rétorqué en regardant la statuette. «On devrait la vendre, elle vaut de largent. Ça nous servirait à couvrir les factures, au moins pour commencer.»
«Antoine ta interdit!» sest exclamé André.
«Et alors? On va mourir de faim? Si on ne la vend pas, où la placeronsnous?»
Je me suis donc rendue chez un antiquaire, ai vendu la pièce et récupéré une somme suffisante pour rembourser les prêts. Le poids sest levé, André a trouvé un emploi dans la logistique et la vie sest un peu adoucie.
Mais le calme fut de courte durée. Ma mère a cessé denvoyer les photos à Antoine. Elle ne voulait pas lui révéler que la statuette était partie. Elle a trouvé des excuses, mais le businessman ne sest pas laissé berner. En revenant à Lyon pour affaires, il a voulu vérifier que son «cadeau» était toujours là, et a compris quil était parti.
«Comment va mon cadeau? Il tranche toujours le regard sur la commode?», a-t-il exigé, débarquant sans prévenir.
«Euh il a trouvé dautres admirateurs,» aije avoué, prise au dépourvu.
«Comment?», a demandé Antoine, incrédule. «Questce que tu veux dire?»
«Je lai vendue,» aije balbutié. «Nos dettes nous ont forcés à le faire.»
«Tu las donnée pour les dettes!», sest mis à trembler le visage dAntoine. «Je tavais interdit de la vendre! Qui ta donné ce droit?»
«En fait, cest toi qui mas donné le droit en la passant par maman.», aije rétorqué.
«Non!Je voulais quelle reste chez vous!», a crié le frère.
«Arrête tes mensonges!», aije explosé. «À quoi me sert ce bibelot? Il a traîné des mois sur une étagère sans servir à rien. Si nous ne lavions pas vendu, nous aurions fini à la rue.»
«Ça ne me regarde pas!Vous devez vous débrouiller.», a rétorqué Antoine, furieux.
«Alors cest fini!», aije lancé. «Tu nas jamais pensé à nos problèmes, seulement à ton orgueil.»
«Je men vais!», a hurlé le frère, enfilant son manteau. «Je ne reviendrai plus jamais dans votre petite maison!»
Ce fut la dernière parole dAntoine. Sa colère était telle quil a quitté Lyon, laissant derrière lui une tension qui sest dissipée dès son départ. Sans lui, je nai plus eu à redouter ces regards de supériorité. La vente de lantiquité a réglé nos comptes, et cela a compté bien plus que le ressentiment dun frère.
Maman, bouleversée par leurs querelles, a continué daimer ses deux enfants avec la même indifférence, tentant de rester à lécart du conflit. Quant à Antoine et à moi, nos chemins se sont éloignés, chacun suivant sa propre vie.







