**Journal dun homme**
«Aimée, choisis : cest moi ou tes vieux parents ! » Cette fois, mon mari était intraitable.
«Théophile, tu sais bien que je te suivrais au bout du monde. Mais ne rejette pas mes parents. Toi-même las dit : ils sont âgés. Aie un peu de cœur »
«Je ne veux plus les voir ! Mais si tu veux leur rendre visite, libre à toi, ô fille modèle. » Théophile me jeta un regard accusateur.
Mon premier mariage fut avec un homme qui avait combattu en Algérie. Clément me semblait courageux, indomptable. Et il létait. Major décoré, vétéran endurci.
Notre fils, Mathis, naquit. Mes parents ne tarissaient pas déloges pour leur gendre et leur petit-fils.
«Maintenant, Aimée, ta mère et moi pouvons partir en paix. Clément est un homme solide. Tu es entre de bonnes mains, ne le déçois pas. » Mon père ne manquait jamais une occasion de me rappeler combien mon mari était parfait.
Pourtant, Clément ignorait Mathis. Si lenfant tendait les bras vers lui, cétait toujours la même excuse : une partie de pêche, une réunion danciens combattants, ou une mauvaise humeur soudaine. Peu à peu, Mathis cessa de chercher son père.
Pire encore, Clément sombra dans des dépressions violentes. Alors, mieux valait ne pas lapprocher. Je méloignai. Mathis avait cinq ans quand Clément, ivre mort, enfilà son uniforme et menaça notre fils avec son pistolet dhonneur. Ce fut la fin. Je compris que la guerre lavait brisé. Je ne pouvais risquer nos vies. Nous divorçâmes dun commun accord.
Mes parents me couvrirent de reproches :
«Mauvaise épouse ! Où trouveras-tu un tel mari ? Tu le regretteras amèrement ! »
Le temps me donna raison. Clément ne fut plus quun chapitre clos. Il erra des années avant dépouser une femme sourde-muette.
Mon second mariage vint vite. Pour mon travail, je voyageais souvent dans les villages, rédigeant des contrats. Cest ainsi que je rencontrai Théophile Lenoir, un haut fonctionnaire. Beau, élégant, souriant, il me conquit aussitôt. Nos désaccords professionnels mamenèrent à son bureau plusieurs fois. Une douce complicité sinstalla.
«Aimée, je vous invite à dîner. Demain, je vous raccompagnerai moi-même. » Il baisa ma main avec galanterie.
Jacceptai dun hochement de tête. Mathis était chez mes parents, je pouvais me laisser aller.
Et puis, tout senchaîna. Une passion brûlante nous unit. Théophile, plus jeune de six ans, divorcé, avait une fille de sept ans.
Je savais que mes parents le désapprouveraient. Trop jeune, trop léger, un «jeune imberbe». Peu mimportait. Je laimais comme jamais.
«Papa, maman, je me remarie. Théophile vous invite au restaurant. »
Ils restèrent bouche bée :
«Tu plaisantes ? On pensait que tu reviendrais vers Clément. Vous avez un enfant ! »
«Oubliez Clément, comme il a oublié Mathis. Demain, vous rencontrerez mon fiancé. Ne mentionnez pas mon ex. »
Théophile arriva avec des cadeaux et une proposition :
«Après le mariage, vivons ensemble. Vous vieillissez, nous serons là pour vous. »
Mon père gratta sa nuque :
«Soit Mais où ? Nous sommes dans un deux-pièces. Aimée a son appartement, légué par son ex. Et toi ? »
«Je rêve dune maison à trois étages. Jy logerai tout le monde. »
Nous eûmes un mariage joyeux. Théophile moffrit une croisière en Méditerranée. Nous voyagerions à travers lEurope, emmenant Mathis et sa fille. Son ex nous confiait volontiers lenfant.
Théophile traita Mathis comme son fils. Mais sa fille, Juliette, me toisait en silence, chuchotant à loreille de son père.
Trois ans plus tard, nous emménageâmes dans notre maison. Tout était pensé pour mes parents : cuisine et chambre au premier, notre suite au deuxième, Mathis au troisième. Une cuisine dété, un garage spacieux complétaient lensemble.
Puis vinrent les cadeaux : une moto pour les vingt ans de Mathis, une voiture pour moi, une cure thermale pour ma mère, un bateau pour mon père.
Pourtant, mes parents et Mathis prenaient tout pour acquis, critiquant Théophile. Lui feignait lindifférence :
«Je veux la paix. Quils jasent. Je les respecte, je pourvois à tout. Mais leur idéal reste Clément. Je ne peux y rivaliser. »
Peu à peu, la famille se disloqua. Mes parents ne comprirent jamais que lamour va dans les deux sens.
Le temps passa. Mathis présenta une jeune femme, Véronique.
«Elle vit avec moi. »
«Ta fiancée ? Ta femme ? »
Il lentraîna sans répondre.
Je me résignai. Mais Véronique nétait pas timide.
«Aimée, nous voulons le deuxième étage. Jattends un enfant. » Affalée à la cuisine, cigarette au bec, elle avalait mon café.
Elle nous appelait par nos prénoms, refusant le vouvoiement :
«Cest démodé. Nous sommes égaux. »
«Tant que je commande, tu respecteras mes parents. Sinon, la porte est ouverte. »
Elle hurla :
«Mathis ! Elle me met dehors, enceinte ! »
Mon fils me poussa violemment. Je tombai, me cognai la tête. Réveil à lhôpital, commotionnée.
Théophile, furieux, voulut porter plainte. Je refusai, mentant sur ma chute. La trahison de Mathis me déchira.
À mon retour, il sagenouilla :
«Pardon, maman. » Je lembrassai, croyant à la réconciliation.
Mais ce soir-là, Théophile murmura :
«Sais-tu que Véronique a partagé notre lit pendant ton absence ? »
«Quoi ? »
«Elle sest glissée près de moi, ivre. Je lai chassée. »
Que faire ? Le dire à Mathis ? Il ne me croirait pas.
Mes parents attisèrent la haine :
«Théophile te trompe ! Chasse-le ! »
À force dentendre des mensonges, on y croit. Nos disputes devinrent quotidiennes. Théophile partit.
Un mois plus tard, une amie mapprit lavoir vu avec une inconnue. Idiote que jétais ! Un tel homme ne reste pas seul.
Je le récupérai. Linconnue nétait que Juliette, célibataire endurcie à vingt-cinq ans.
Théophile me posa un ultimatum :
«Choisis : moi ou tes parents. »
Mes parents, si faibles dhabitude, retrouvaient toute leur verve contre lui. Nous quittâmes la maison, achetant une petite bâtisse à rénover. Dix ares de tranquillité.
Mes parents maccablèrent dinjures :
«Tu nes plus notre fille ! Tu nous abandonnes ! Véronique veut nous jeter en hospice ! »
Je nécoutai plus. Avec Théophile, nous vivons enfin en paix. Nous nous sommes même mariés à léglise.
**Leçon :** Mieux vaut être une épouse aimée quune fille exemplaire.







